L'affaire des religieuses "congolaises" (suite...)


Le point de vue du canoniste Edward Peters, après les propos du Pape lors de la Conférence de presse en vol de retour du Mexique (23/2/2016)

>>> Sur ce sujet:
¤ Casuistique jésuite et sœurs congolaises (Hilary White)
¤ Le difficile métier de porte-parole (Riccardo Cascioli)
¤ Le Magistère est-il en sûreté sous François? (Fr Hunwicke)
¤ Paul VI et les religieuses violées au Congo (Magister)

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Sur l'aspect historique de cette affaire, Teresa signale un article très détaillé et très clair (i.e: assez facile à lire...) du blog <Mahound's Paradise>: "ANATOMIE D'UN MYTHE JESUITE"




Sur son blog <In the light of the law>, le canoniste américain Ed Peters revient à son tour sur la conférence de presse du Pape et ses propos sur la contraception en relation avec une présumée autorisation de Paul VI donnée à des religieuses, au Congo dans les années 60 (il ne s'agissait pas uniquement, contrairement à ce qu'on a pu croire, de religieuses congolaises mais aussi de soeurs européennes missionnaires au Congo), de recourir à la contraception.
De ce fait très grave (malheureusement pratiquement ignoré en France, si l'on excepte Jeanne Smits qui consacre à l'épisode deux articles sur son blog), on retiendra deux aspects complémentaires:

¤ Le fait que le Pape en personne, l'enseignant suprême sur terre de la parole du Christ, s'appuie, peut-être par ignorance, peut-être par calcul, sur un fait historiquement douteux, voire carrément faux, et en fasse un élément à part entière du Magistère de l'Eglise (c'était l'approche du Père Hunwicke et de "Father Z").
¤ Le fait que le Pape ait laissé une porte ouverte à une modification d'un pilier de l'enseignement moral de l'Eglise, à propos de la contraception.

On se reportera à l'article de Sandro Magister, en particulier à sa conclusion, pour les aspects "techniques".

Le second aspect est l'approche privilégiée dans cet article par le canoniste respecté Ed Peters (que j'ai trouvé une fois de plus via mon amie Teresa).

Anecdote en marge (mais pas tellement!): dans un récent article que j'ai traduit (cf. Bergogliomania), Ed Peters s'en prenait à John Allen, à qui il reprochait de défendre François envers et contre tout, quoi qu'il dise ou fasse, allant, pour ce faire, jusqu'à interpréter ses silences.
Il ne s'en prive pas non plus ici, alignant sans indulgence son article sur "les nonnes congolaises" (mais au moins, Allen en a parlé!!)

Malentendu sur la (présumée) "affaire de contraception au Congo"


Edward Peters
canonlawblog.wordpress.com
21 février 2016
Ma traduction


Même pour les standards de son règne, le point-presse que François a effectué lors de son vol de retour en provenance du Mexique a provoqué un nombre inhabituel de questions. Je voudrais en aborder ici une seule.

En préambule, je constate que le souci ne porte pas sur le négatif - prouver que quelque chose ne s'est pas produit -, mais sur l'affirmatif - prouver que ce présumé "quelque chose" s'est bien produit.
Cela dit, toutefois, il semble maintenant presque certain que la «permission» ou l'«approbation» que selon François, son prédécesseur le Pape Paul VI aurait donnée aux religieuses confrontées au Congo au viol d'utiliser la contraception, n'existe tout simplement pas. Voir par exemple le Père Zühlsdorf ("Father Z") ou John Allen (*).

Malheureusement ce mythe a été invoqué par le pape comme s'il s'agissait d'un fait de l'histoire de l'Eglise, et, plus important encore, d'une manière qui suggère qu'il pourrait être un précédent à prendre en considération pour décider si la contraception peut aussi être utilisée pour prévenir la grossesse dans certains des cas de malformations congénitales possibles. Cette affirmation placerait les remarques de François sur la contraception dans un contexte très différent. Nous n'en sommes plus à méditer sur un point d'histoire de l'Église (aussi intéressant puisse-t-il être), maintenant nous avons affaire à un enseignement moral de l'Eglise. Les enjeux deviennent dramatiquement plus élevés.

Alors, voici ce que je pense: non seulement la permission donnée aux nonnes du Congo ne semble pas exister, mais, même si elle existait sous une forme quelconque, ELLE NE POURRAIT PAS, selon moi, être utilisée par François (ou toute autre personne vouée à penser avec l'Église) pour remettre en cause l'enseignement établi de l'Eglise selon lequel «chaque acte conjugal [quilibet matrimonii usus] doit nécessairement conserver sa relation intrinsèque à la procréation de la vie humaine» (Humanae vitae §11) et qu'est par conséquent «exclue toute action qui, soit avant, au moment de, ou après un rapport sexuel conjugal [coniugale commercium], est spécifiquement destinée à empêcher la procréation, que ce soit comme une fin ou comme un moyen» (Humanae vitae §14).

Évidemment, l'histoire des religieuses du Congo (ou celle les religieuses des Balkans dans les années 1990, pour prendre une autre variante du mythe) ne concernait pas l'acte conjugal, mais des religieuses faisant face à des actes criminels de rapports sexuels violents; la question du Congo ne concernait pas les anomalies congénitales possibles, il s'agissait d'empêcher le sperme des violeurs d'atteindre les ovules qui avaient peut-être ovulé. Entre des femmes confrontées à des viols et des femmes inquiètes de malformations congénitales possibles, il n'y a tout simplement pas de parallèle qui soit pertinent à la question morale de la contraception. On peut aimer ce fait ou le détester, mais on ne peut pas le modifier ou l'ignorer.
En outre, l'enseignement de l'Eglise sur l'immoralité des actes conjugaux sous contraception, est, à ce qu'il me semble, enseigné infailliblement; mais, même si je devais me tromper sur cette affirmation technique, il n'y a aucun doute à propos du contenu de cet enseignement, à savoir que la contraception dans les rapports sexuels matrimoniaux, qu'elle soit faite comme une fin en soi ou comme un moyen pour une autre fin, est objectivement immorale.

On pourrait discuter, je pense, si les rapports sexuels hors mariage sont soumis aux mêmes exigences morales que celles auxquelles sont tenus les rapports matrimoniaux. Humanae vitae n'a pas, pour autant que je puisse voir, répondu à cette question (ndt: et pour cause!). Mais, quant à savoir si une autorisation prétendument donnée à des religieuses de prendre des mesures contraceptives face au viol établit un précédent pour les conjoints qui veulent utiliser la contraception pour leurs relations sexuelles par peur de malformations congénitales possibles, la conclusion semble inéluctable: il n'y a pas de parallèle entre les deux cas, et il n'y a donc pas de précédent établi.

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Note d'Ed Peters

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(*) Une note sur l'article d'Allen cité ci-dessus:
Comme je le craignais, Allen a une fois de plus fait valoir que la non-action papale est en fait une action du pape.

Après avoir affirmé que le cardinal Montini était «proche des courants ayant façonné [la revue] Studi Cattolici» et qu'on «supposait» que Montini avait approuvé un article défendant la contraception pour des religieuses congolaises, une hypothèse dont Allen affirme qu'elle «sembla être confirmée par la suite», quand devenu pape, Montini accorda une promotion à l'un de ses auteurs (ndt: Pietro Palazzini, nommé cardinal, cf. Magister), Allen vient couronner ce chateau de cartes journalistique avec une "plaisanterie": «le Vatican [sic] n'a jamais désavoué la position de 1961 [prise par les théologiens, non par Montini], de sorte qu'elle resta une option légitime. Pour les Italiens - et souvenez-vous que François a des ascendances italiennes ... cela voulait dire que Paul VI approuvait».

Grand Dieu! Je répète, grand Dieu!
Il y a des italiens qui n'apprécieront peut-être pas la façon dont Allen juge leurs compétences logique...
Mais ma question est: combien de conjectures à partir d'hypothèses basées sur le silence un journaliste peut-il faire avant que quelqu'un crie "Assez !"?
Voici un exemple: Dieu aurait pu arrêter tel ou tel mal s'il l'avait voulu, mais il ne l'a pas arrêté, alors bingo, Dieu est l'auteur du mal. Parlons de mauvaises compétences logiques! Sérieusement, il y a beaucoup de choses terribles dont John Allen n'a jamais parlé, et encore moins qu'il a condamnées; pouvons-nous supposer que son silence sur ces questions signale son consentement ? Si la réponse est non, la même déférence, ne devrait-elle pas accordée à un pape? [ndt: pour une fois, je ne suis pas certaine qu'Allen a tort!... mais de façon compréhensible, Ed Peters essaie de "sauver" François]