L'Eglise des martyrs (I)


Le Père Scalese, religieux barnabite, qui vit à la première personne une immersion dans un milieu 100% musulman (en Afghanistan), réagit à l'assassinat de quatre Soeurs de Mère Teresa, la semaine dernière au Yémen (13/3/2016)

 

Caritas Christi urget nos

Il y a une semaine, quatre soeurs Missionnaires de la Charité (l'ordre fondé par Mère Teresa) étaient assassinées à Aden, au Yémen, lors d'une attaque "islamiste" contre un hospice tenu par leur communauté.
L'évènement a eu un maigre écho médiatique (le Figaro a fait un compte-rendu). Il faut croire que certaines nouvelles sont plus dignes que d'autres de faire les gros titres. On verra plus bas ce qu'en dit le Père Scalese....

Hier, TV 2000 (la chaîne de la CEI) a rendu publique la dernière lettre écrite par les soeurs martyres (cf. www.mondoemissione.it).
L'une de leurs consoeurs, Sœur Serena, lit ici leur bouleversant témoignage (cf Annexe).




Le Père Scalese, barnabite, se trouve actuellement en Afghanistan, à Kaboul, où, m'a-t-il dit, il est pratiquement le seul prêtre catholique, à l'exception de quelques aumoniers militaires. Il vit à l'ambassade d'Italie, où se trouve l'unique lieu de culte catholique admis pour la communauté internationale en Afghanistan. la situation est très tendue, et les déplacements très compliqués.

L'assassinat des quatre religieuses lui inspire cette très belle réflexion sur "l'Eglise des martyrs". Il nous rappelle qu'au-delà des "périphéries" chères à François - et pour cette raison très en vogue dans les médias et dans une certaine gauche -, il existe d'autres périphéries, qui ne sont pas les bidonvilles des mégapoles, pas non plus les "périphéries existentielles" des riches, et qui à cause de cela sont totalement ignorées.

Mes anges



Père Giovanni Scalese CRSP
11 mars 2016
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction


Il y a une semaine, quatre Missionnaires de la Charité, Sœur Anselme, Sœur Judit, Sœur Marguerite et Sœur Reginette ont été brutalement assassinés à Aden, au Yémen. On s'est à juste titre plaints que la nouvelle n'ait pas eu l'écho qu'elle méritait dans les médias. Mais faut-il s'en étonner? Quelqu'un croit-il encore en l'indépendance et l'objectivité de la presse? Il est évident que seules "passent" les nouvelles qui servent les intérêts des puissances qui contrôlent les différentes chaînes médiatiques. S'il s'était agi d'un nouveau cas de pédophilie ecclésiastique, ils nous auraient brodé dessus pendant des semaines; mais ce ne sont que quatre religieuse qui sont mortes, et en plus noires: que voulez-vous donc? avec tous les morts qu'il y a chaque jour dans ces pays, vous voulez que cela intéresse quelqu'un? Non, cela ne DOIT intéresser personne.
Heureusement, il y a encore des canaux d'information qui parviennent à échapper, au moins partiellement, à la censure. Eh bien, à travers ces canaux, la nouvelle de la mort des Sœurs de Mère Teresa est parvenue à ceux à qui elle devait parvenir, et je dirais qu'elle a même eu la résonance qu'elle méritait.

Dans la petite communauté chrétienne de Kaboul aussi, bien sûr, la nouvelle a fait sensation. Pas seulement parce que nous nous trouvons dans une situation similaire (quelques catholiques plongés dans une réalité à 100% islamique et avec une guerre civile en cours), mais aussi parce que là aussi il y a une petite communauté de Missionnaires de la Charité, avec une composition très similaire à celle des religieuses assassinées au Yémen: une rwandaise, une kenyane, une Indienne et une Philippine. Et elles aussi sont exposés à d'éventuelles attaques, certes pas de la part des pauvres gens qui aident, mais de groupes qui utilisent l'Islam uniquement comme un paravent pour leurs objectifs politiques.

Ce ne sont pas les seules religieuses présentes dans notre Mission: en plus d'elles, il y a deux autres petites communautés, avec leur témoignage simple et désintéressé, qui rendent l'Eglise présente dans un environnement, au moins en apparence, complètement imperméable au christianisme. Dans l'impossibilité, comme je le suis, de réaliser la mondre activité pastorale extérieure, ces sœurs sont mes bras et mes pieds; mieux, mes «anges». Bien entendu, pour elles aussi, toute forme de «prosélytisme» est interdite; mais ce n'est pas pour cela qu'elles sont là: elles sont venues pour servir le Christ chez les derniers, chez les "rebuts" ('scarti', selon le mot cher au Pape, ndt) de la société, chez ceux dont personne ne prendrait soin. Et leur travail est très apprécié, non seulement par les gens ordinaires, mais par le gouvernement lui-même. Et je suis honoré d'être ici pour les servir: de leur annoncer la parole de Dieu, de pouvoir célébrer l'Eucharistie pour ellee, de pouvoir leur donner l'absolution. Si vous voulez, mon travail est un travail d'arrière-garde, mais précieux pour ceux qui sont sur la brèche pour combattre le bon combat chaque jour. Certains pourraient penser: mais qui vous le demande? à quoi bon rester ici à risquer sa peau, quand il n'y a aucune perspective d'évangélisation et de développement pour l'Eglise? Je pourrais dire avec saint Paul: Caritas Christi urget nos (l'amour du Christ nous pousse).

La mort tragique des quatre Missionnaires de la Charité m'a inspiré quelques réflexions, sans aucune prétention, que je veux partager avec vous.

* * *

1. L'Eglise d'aujourd'hui, est une Eglise de martyrs. cela peut sembler étrange: nous nous plaignons toujours de l'état comateux dans lequel verse l'Église d'aujourd'hui; nous avons l'impression qu'elle se rapproche de son extinction finale; et pourtant, jamais (peut-être même pas dans les premiers siècles) il n'y a eu autant de chrétiens qui ont versé leur sang pour leur foi. On s'attendrait à ce que seule une Eglise forte puisse exprimer des martyrs; et au contraire ... Mais la chose ne devrait pas surprendre plus que cela, parce qu'il en a toujours été ainsi. Je me souviens du regretté Père Fasola, qui nous expliquait pourquoi le martyre de la petite Agnès eut, en son temps, un tel écho: parce qu'elle avait pratiquement sauvé, par son sang, une Église romaine autrement destinée à disparaître. Les petites "Agnès" daujourd'hui sauveront peut-être, avec leur sacrifice, une Église qui semble avoir perdu son chemin dans un monde qui, à son tour, semble devenu complètement fou.

2. L'Église des martyrs est l'Église issue de Vatican II; ce n'est pas une Église préconciliaire (en disant cela, je ne veux pas opposer une "nouvelle" Eglise à l'Eglise des siècles passés: l'Église de Vatican II est l'Église de toujours, qui a seulement fait quelques ajustements extérieurs, laissant inchangé l'héritage qui lui a été transmis). Avec tout le respect dû au rite tridentin et aux fidèles qui, légitimement, continuent à le fréquenter, les Sœurs de Mère Teresa assistent chaque jour à la messe Novus Ordo, et de cette messe, elles puisent la force qui leur permet d'accomplir leur humble travail et ... d'affronter le martyre (quand elles sont arrivées en Afghanistan, il y a dix ans, elles ont mis deux conditions: avoir la messe quotidienne et pouvoir revêtir leur habit). Je dis cela parce qu'il y a encore des gens qui alimentent le doute que la nouvelle liturgie n'est pas complètement valide ou au moins légitime (dans un de ses derniers Commenti Eleison , Mgr Williamson soutenait que les évêques et les prêtres ordonnés dans le nouveau rite devraient être ré-ordonnés, avec précaution et sous conditione!); ils pensent que l'Eglise de Vatican II ne peut pas produire de saints. Mais les quatre religieuses martyrs montrent que la grâce de Dieu est encore à la portée de tous dans l'Eglise aujourd'hui: il suffit de se mettre en condition de la recevoir.

3. Cette Église des martyrs n'est pas l'Église européenne ou américaine (et même pas l'Église, tellement exaltée, d'Amérique Latine), qui semble avoir perdu la tête à courir derrière le monde; mais l'Église de "périphérie", non pas celle des bidonvilles en marge des grandes villes, qui fait tellement "chic" aujourd'hui, mais plutôt celle des pays oubliés de tous, utiles seulement pour être exploités économiquement, politiquement et stratégiquement, les pays africains et asiatiques. À une époque, au moins aussi longtemps que ces peuples étaient considérés comme «sous-développés», il était très à la mode de parler de l'Afrique et de l'Asie; aujourd'hui qu'ils ont commencé à se faire entendre, nous avons réalisé qu'eux aussi ont une tête, qui toutefois ne partage pas toujours nos idéologies; et nous avons donc commencé à les regarder de haut en bas (vous rappelez-vous la réaction du Cardinal Kasper lors du débat animé à l'occasion des deux derniers synodes?). Et c'est précisément dans ces pays que l'Eglise connaît une floraison inattendue. La grande majorité des Missionnaires de la Charité (mais pas seulement) vient des Église jeunes (vous vous imaginez, vous, une fille de chez nous se mettre à faire le travail des Sœurs de Mère Teresa?). Cela ne signifie pas que les chrétiens africains et asiatiques sont tous des saints: ce sont pécheurs comme nous, et peut-être plus que nous. Ils n'ont pas la culture que nous avons; mais ils ont une chose que nous avons perdu: la foi. Et c'est cette foi, simple et inébranlable, qui leur permet de consacrer toute leur vie au service des «plus pauvres parmi les pauvres» et, s'il le faut, de la sacrifier pour le Christ. Tandis qu'en Occident, les chrétiens s'amusent avec la communion pour les divorcés remariés, l'abolition du célibat des prêtres et le sacerdoce (ou au moins, allez, le cardinalat) pour les femmes, grâce à Dieu, dans le reste du monde, il y a des chrétiens qui, en silence, servent les derniers et versent leur sang pour leur foi.

Que Dieu les bénisse!

Annexe


(*) La lettre des 4 religieuses

«Chaque fois que les bombardements se font plus intenses, nous nous agenouillons devant le Saint-Sacrement exposé, implorant Jésus miséricordieux de nous protéger nous et nos pauvres et d'accorder la paix à cette nation.

Nous ne nous lassons pas de frapper au cœur de Dieu, confiantes qu'il y aura une fin à tout cela. Comme la guerre continue, nous en sommes à calculer la nourriture qui nous reste et nous nous demandons: aurons-nous assez pour aujourd'hui? Les bombardements se poursuivent, les tirs sont partout, et nous avons seulement de la farine pour aujourd'hui. Comment allons-nous faire, demain, pour nourrir nos pauvres?

Avec une confiance aimante et un total abandon, nous courons toutes les cinq vers notre maison d'accueil, même au plus fort des bombardements. Nous nous refugions parfois sous les arbres en pensant que c'est la main de Dieu qui nous protège. Et ensuite, nous courons à nouveau très vite pour rejoindre nos pauvres qui nous attendent, sereins. Ils sont très vieux, certains sont aveugles, d'autres avec des handicaps physiques ou mentaux. Tout de suite, nous commençons notre travail, nettoyant, lavant, lcuisinant, utilisant les derniers sacs de farine, les dernières bouteilles d'huile, tout comme l'histoire du prophète Elie et de la veuve.

Dieu ne peut jamais manquer de générosité aussi longtemps que nous restons avec Lui et ses pauvres. Lorsque les bombardements sont lourds, nous nous cachons sous les escaliers, toutes les cinq toujours ensemble: nous vivons ensemble, nous mourons ensemble avec Jésus, et Marie notre Mère».