Les petits fourbes du petit Synode



Riccardo Cascioli s'insurge contre ceux qui voient dans le pontificat de François une "révolution", et ceux qui profitent du Synode sur la famille pour se poser en docteurs de la loi (parmi eux, des prélats opportunistes) et subvertir ainsi le Magistère (2/1/2016).

>>> Le livre de circonstance de Mgr Semaro (*)

 

Alberto Melloni, théologien progressiste et hyper-médiatisé (mais sa renommée n'a pas franchi les Alpes!) chef de file de l'"Ecole de Bologne" qui interprète Vatican II selon une herméneutique de rupture, et Mgr Semaro (figure familière que l'on voyait toujours au premier rang de l'assistance dans la cour du palais Pontifical de Castelgandolfo quand Benoît XVI y récitait l'Angélus), essaient de faire passer l'idée mensongère, le premier dans le Corriere della Sera et le second via un petit livre recensé flatteusement par Andrea Tornielli sur Vatican Insider, que jusqu'à Paul VI les couples irréguliers étaient admis aux sacrements et que c'est JP II, puis Benoît XVI, qui ont réinterprété la tradition dans un esprit de fermeture.

J'ajoute juste un commentaire personnel - pour ce qu'il vaut - à l'analyse (presque) impeccable du directeur de la Bussola.
D'abord, Riccardo Cascioli n'implique pas François dans ses critiques. Même si c'est compréhensible de sa part, et s'il ne le formule pas explicitement, cela contribue à accréditer l'idée d'un Pape qui serait otage à son insu, ou malgré lui, d'une faction progressiste: une théorie de plus en plus contestable à l'épreuve des faits.
Ensuite, à la lecture de l'article, il apparaît que déjà à l'époque de Paul VI, il y a eu des formulations hâtives et imprécises, voire imprudentes, dans le Magistère officiel (pour autant que je puisse en juger, cela n'a pas été le cas avec Benoît XVI, toujours extrêmement précis), avec pour résultat la nécessité de mises au point ultérieures. Rien de nouveau, donc, à ce sujet. Et l'expérience de François nous a appris, entre autres choses (!!) que les mises au points et les rectificatifs sont bien souvent moins médiatisés que l'information d'origine.

Les petits fourbes du petit Synode (**)


Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
31/12/2015
Ma traduction


«Au cours des deux derniers siècles, l'église des condamnations avait renoncé au chemin de l'annonce, pour tout condamner - la modernité bourgeoise, le libéralisme, le capitalisme, le communisme, la culture des droits, etc.».
C'est un passage exemplaire de la pensée d'Alberto Melloni, mis noir sur blanc sur le Corriere della Sera du 28 Décembre . Exemplaire car ce n'est que la dernière des interventions d'intellectuels, théologiens, évêques, qui entendent démontrer comment une révolution qui rompt brutalement avec le passé est en cours dans l'Eglise: le pontificat de François comme la "nouvelle Église" qui s'affirme enfin malgré mille résistances. D'où aussi la nécessité d'inventer des conspirations et des ennemis, afin de pouvoir légitimer n'importe quel bond en avant. Melloni lui-même - véritable chef de file de la progressiste "école de Bologne" - a été à l'époque du Synode parmi les chasseurs de conspirateurs les plus actifs.

Le Synode, justement, a été l'occasion d'intensifier cette lecture de l'Eglise qui n'a rien à voir avec ce en quoi l'Église a en revanche toujours cru: chaque pape a certainement sa sensibilité, sa spiritualité, ses priorités pastorales mais fondamentalement, il y a une continuité qui ne peut être interrompue, depuis le moment où le Christ a institué l'Eglise et jusqu'à ce qu'elle «trouve son accomplissement» au retour de Jésus. Pas plus que le magistère du Pape ne peut nier l'héritage de la foi que l'Eglise transmet depuis deux mille ans.

Dans le récit de Melloni et consorts, au contraire, il y a un passé à effacer et les deux siècles "condamnés" correspondent en gros à la période commençant avec l'émergence de la Révolution française; un laps de temps qui ne doit rien au hasard, si l'on considère que le cardinal Carlo Maria Martini, dans son testament spirituel, avait parlé d'une Église en retard de deux siècles. En somme, à les entendre, jusqu'à il y a un peu moins de trois ans, l'Église aurait vécu retranchée, construisant des murs, condamnant, fermant les portes, refusant la miséricorde. Certes, il y a eu la saison de Vatican II qui a enfin changé le cours de l'histoire de l'Eglise, mais malheureusement, les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI ont fermé ces portes qu'aujourd'hui enfin Franços rouvre (à noter que ceux qui, aujourd'hui brandissent l'obéissance aveugle au Pape contre quiconque se hasarde à poser de simples questions, sont les mêmes qui jusqu'à récemment, théorisaient et organisaient la désobéissance).

Inutile de rappeler que Jean-Paul II a été le Pape "missionnaire" par excellence, qui partout où il est allé, a invité à «ouvrir, et même ouvrir tout grand les portes au Christ», qui a apporté une contribution importante à la destruction du vrai mur qui existait entre l'Orient et l'Occident, qui a institué la fête de la Divine Miséricorde, à laquelle il a aussi consacré une encyclique, qui a "inventé" les Journées mondiales de la jeunesse et les Rencontres Mondiales des familles; tout aussi inutile de rappeler qu'à propos du Concile Vatican II, Benoît XVI, qui y a participé, a quelques titres de plus que Melloni pour l'expliquer, que le même Benoît XVI a posé clairement les termes du dialogue avec le monde islamique. Il est inutile de le rappeler à ceux qui le savent parfaitement mais qui n'attendaient que l'occasion d'en enterrer la mémoire pour formuler un projet idéologique d'Eglise.

Toutefois, il est stupéfiant de constater à quel point de nombreux ecclésiastiques, de nombreux évêques qui jusqu'à récemment s'exprimaient différemment, retournent - de manière plus ou moins explicite - à cette lecture qui nie la continuité.
De ce point de vue, le double Synode sur la famille a été un salle d'entraînement, et le directeur de la Civiltà Cattolica, le père Antonio Spadaro, interprète officiel auto-désigné de la pensée de François, avec son hymne continu à la révolution en cours, est certainement un entraîneur. Ce n'est pas pour rien que parmi toutes les questions relatives à la situation de la famille, la seule qui soit vraiment importante pour ces gens est l'accès à la communion des divorcés et remariés, et au cas oùle Synode n'y aurait pas suffi, ils nous l'ont fait abondamment comprendre dans l'après-Synode, quand ont été galvaudées les interprétations par de vrais "docteurs de la loi". Autrement dit: ayant décidé d'obtenir une chose, on cherche des arguties juridiques, des ptétextes historiques et des usages pastoraux pour la justifier. Choisissant évidemment des détails et en omettant d'autres.

Le dernier exemple, on le trouve dans l'essai de Mgr Marcello Semeraro, évêque d'Albano («Il Sinodo della famiglia raccontato alla mia Chiesa») tel qu'il est présenté par Vatican Insider [ndt: sous la plume d'Andrea Tornielli!!].
Mais que raconte donc Semeraro à ses fidèles, au sujet de ceux qui se trouvent dans des situations irrégulières?
En substance, explique Vatican Insider, jusqu'à l'avènement de Jean-Paul II, dans l'Église, on procédait déjà au cas par cas, admettant ainsi les divorcés remariés aux sacrements, dans l'application de la «pratique ecclésiale approuvée du for interne», également rappelée au dernier Synode. Par for interne, on entend un processus qui implique un fidèle (sa conscience) avec un prêtre dans le sacrement de la réconciliation et de la pénitence.

En confirmation de cette thèse, Mgr Semeraro cite un document de 1973 de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, approuvé par Paul VI, qui dit: «En ce qui concerne l'admission aux sacrements, les ordinaires du lieu voudront bien, d'une part, inviter au respect de la discipline en vigueur dans l'Eglise, et de l'autre, faire en sorte que les pasteurs d'âmes aient une sollicitude particulière pour ceux qui vivent dans une union irrégulière, appliquant dans la solution de ces cas, en plus d'autres moyens appropriés, la pratique ecclésiale approuvée du for interne».
Vatican Insider spécifie qu'il est clairement question de l'admission aux sacrements de ceux qui sont dans des unions irrégulières: «Mais sans l'ajout de précisions ou restrictions ultérieures. C'est Jean-Paul II, dans l'homélie pour la clôture du sixième Synode des Évêques (25 Octobre 1980) qui a pensé à ajouter la clause de l'engagement à vivre dans une "abstinence complète", jusqu'alors absent».

Le message est clair: jusqu'à Paul VI, l'Eglise admettait déjà à la communion - sous certaines conditions et au cas par cas -, les divorcés remariés. Le problème, le mur a été créé par Jean-Paul II, et confirmé par Benoît XVI.

S'il en était vraiment ainsi, ce serait un scoop, même les Pères synodaux ne s'étaient pas aperçus qu'il y avait déjà une pratique de ce genre approuvée par le Pape jusqu'en 1980. Et en effet, jusqu'à présent, personne ne s'est emparé de cet argument. La raison en est peut-être que dans le récit de Mgr Semeraro, il manque une partie de l'histoire. En effet, à la demande de clarification de la part de certains évêques, sur la signification de la "pratique écclésiale approuvée du for interne", Mgr Jean Hamer, Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, répondait en ces termes le 21 Mars 1975 (cf. www.zenit.org):

«Je voudrais aujourd'hui affirmer que cette phrase [probata praxis Ecclesiae] doit être comprise dans le contexte de la théologie morale traditionnelle. Ces couples [catholiques vivant dans des unions conjugales irrégulières] peuvent être autorisés à recevoir les sacrements à deux conditions: qu'ils essaient de vivre selon les exigences des principes moraux chrétiens, et qu'ils reçoivent les sacrements dans des églises où ils ne sont pas connus pour ne pas créer pas de scandale».

Donc, Jean-Paul II n'a rien introduit du tout, en l'occurrence, il n'a fait que répéter clairement ce qui était déjà le magistère de l'Eglise.

Ah, ces docteurs de la loi ....


NDT

(*) Né en 1947, ordonné en 1971, il est nommé en 2004 au siège suburbicaire d'Albano pour succéder à Agostino Vallini appelé à la curie romaine.
Il exerce différentes fonctions au sein de la C.E.I jusqu'à devenir en juin 2010, président de la commission épiscopale pour la doctrine de la foi l’annonce et la catéchèse. Il est également consulteur, au sein de la curie romaine, de la congrégation pour le clergé.
Le 13 avril 2013, le pape François, récemment élu, le nomme secrétaire du groupe de huit cardinaux chargé de le conseiller dans le gouvernement de l’Église et la réforme de la curie (wikipedia)

(**) Riccardo Cascioli utilise les suffixes diminutifs "furbetti" et "sinodino", pour exprimer peut-être que les premiers sont des gens de peu d'engvergure, et le second, un évènement en marge du vrai Synode.