L'inquiétude du cardinal Zen


Alors que se profile un accord entre la Chine et le Vatican, l'archevêque émérite de Hong-Kong dénonce la nouvelle forme d'Ostpolitique engagée par "l'Eglise de François" (10/8/2016)


Ces derniers développements sont à mettre en perspective avec l'interview accordée par François en février dernier au quotidien chinois anglophone Asia Times: le Pape cherchait visiblement à arrondir les angles (c'est une litote) avec le gouvernement chinois, s'attirant des critiques acerbes pour ses "complaisances" vis-à-vis du régime communiste (cf. Real politik vaticane )

Assiste-t-on à une nouvelle étape de la liquidation de l'ère Benoît?...

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Pour situer correctement (du moins je l'espère) le problème, voici ce qu'on pouvait lire ces jours-ci sur La Croix, et le commentaire de <Corrispondenza Romana>, qui résume un appel du cardinal Zen, publié en italien et en anglais sur le site <Asianews>

Le cardinal de Hong Kong confirme l’accord entre la Chine et le Vatican


La Croix
Dorian Malovic
6/8/2016

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Le dialogue entre la Chine et le Vatican se poursuit. Les discussions s’approfondissent sur l’accord initial annoncé en février dernier sur le délicat sujet de la nomination des évêques en Chine. Un accord final sur le sujet se fera sans trahir les fondements de l’Église: « Une, sainte, catholique et apostolique » et sans abandonner ni sacrifier les fidèles et prêtres de l’Église clandestine de Chine. C’est en substance ce que le cardinal de Hong Kong (également consulteur de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, ndt), Mgr John Tong a écrit dans un long texte intitulé « Communion de l’Église de Chine avec l’Église universelle » publié dans les éditions du week-end de l’hebdomadaire catholique diocésain Kung Kao Po.

Le cardinal John Tong confirme ainsi qu’une équipe de travail romaine et pékinoise travaille ensemble depuis plusieurs mois afin de résoudre le problème des évêques et de leur nomination en Chine. Déjà en février dernier un premier « accord de travail » prévoyait que le pape sélectionnerait lui-même un nom sur une liste de personnalités agréées proposée par la Chine. Plusieurs listes seraient déjà en attente sur le bureau du pape pour choisir un évêque dans plusieurs diocèses vacants.

Tous les détails de ce texte commun ne sont pas encore définitivement fixés. La situation de l’Église de Chine étant d’une grande complexité, certaines situations diocésaines demandent un traitement particulier. Ainsi on ne sait pas clairement quel pourra être le destin de certains évêques souterrains déjà reconnus par Rome mais non par Pékin. À l’inverse, l’accord ne dit rien sur l’avenir des évêques illégitimes élus par Pékin et que Rome ne reconnaît pas. Enfin, on ne sait pas ce qu’il pourrait advenir si aucun des noms proposés par Pékin n’est acceptable pour le pape.

Très bien informé sur l’évolution du dialogue entre Rome et Pékin, le cardinal Joseph Zen, ancien évêque de Hong, Kong, s’est toujours montré très réservé sinon très critique à l’égard du moindre accord signé avec un « État athée » comme il l’a écrit sur son blog en décembre 2015. À ses yeux, on ne peut pas faire confiance au régime communiste de Pékin et il redoute qu’une reprise des relations diplomatiques entre Rome et Pékin ne se fasse qu’en sacrifiant certains dogmes et les nombreux fidèles, prêtres et évêques de l’Église souterraine chinoise qui n’a jamais voulu faire le moindre compromis avec le régime.
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Cardinal Zen: appel fort contre la nouvelle Ostpolitik en Chine


Corrispondenza Romana
7 août 2016
Ma traduction

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«Pendant de nombreuses années, nos ennemis n'ont pas réussi à nous faire mourir. Aujourd'hui, c'est des mains de notre Père que nous devons mourir. Très bien, nous allons mourir»: ce sont les mots très durs que l'évêque émérite de Hong Kong, le cardinal Joseph Zen, a utilisés pour photographier l'état actuel des rapports diplomatiques ambigus entre la Chine et le Vatican, rapports dans lesquels la perspective d'un compromis - autrement dit la reddition du Saint-Siège - semble se profiler de manière plus que concrète avec le risque que l'Église clandestine, fidèle à Rome, soit jetée dans la gueule de l'Association patriotique, totalement contrôlée par le régime communiste chinois.

Son Eminence n'utilise pas de circonlocutions dans l'appel publié par l'agence AsiaNews et affirme clairement qu'il craint «le spectre d'une déclaration provenant de l'autorité de l'Eglise», un texte qui dit en résumé «changer de cap. Ce qui était déclaré contraire à la doctrine et à la discipline de l'Eglise deviendra légitime et normal, tout le monde devra se soumettre au gouvernement qui gère l'Eglise, tout le monde devra obéir aux évêques qui à ce jour sont illégitimes et même excommuniés. Alors, ils ont eu tort pendant des décennies ces pauvres "confrontationistes"?». Et, pour écarter toute équivoque, le cardinal Zen précise avoir voulu lancer un appel «plein de tristesse et de douleur», justement «pour préparer les âmes à une telle éventualité, qui semblait autrefois impossible, et qui se présente aujourd'hui comme très probable». Spécifiant également comment, «dans notre acceptation des dispositions de Rome», il y a «une limite, la limite de la conscience. Nous ne pouvons pas suivre cet éventuel accord dans ce qui apparaît à la conscience comme manifestement contraire à la foi catholique authentique. Le Pape François a souvent défendu le droit à l'objection de conscience», donc «il ne refusera pas ce droit à ses enfants».

La décision du cardinal Zen n'est certes pas prise d'un coeur léger: «Ce sera pour moi un vrai déchirement du cœur, entre l'instinct salésien de dévotion au Pape et l'impossibilité de le suivre jusqu'au bout dans le cas, par exemple, où il encouragerait à embrasser l'Association patriotique et à entrer dans une Église totalement asservie à un gouvernement athée. Nous devrons refuser de faire ce pas justement parce qu'il est formellement en contradiction avec l'autorité pétrinienne. Oui, dans le cas envisagé (et en ce moment nous espérons encore fortement que ne se produira pas), nous voulons être fidèles au Pape (à la Papauté, à l'autorité du Vicaire du Christ), en dépit du Pape».

La validité de la Lettre de Benoît XVI aux catholiques chinois du 27 mai 2007 a été réaffirmée à plusieurs reprises par François. Il y est clairement affirmé que la prétention d'«organismes voulus par l'État», comme l'Association patriotique, «de se placer au- dessus des évêques eux-mêmes et de guider la vie de la communauté ecclésiale» ne correspond pas à la doctrine catholique.

L'évêque émérite de Hong Kong déplore également certaines «trames dans l'ombres»: il semble que les contacts entre la Chine et le Vatican se soient multipliés; bien que les négociations soient «devenues des affaires strictement réservées à la Curie romaine, pas la moindre information» ne semble être fournie aux membres de la Commission pour l'Eglise en Chine (1), Commission par ailleurs «silencieusement disparue. Après l'élection de François, on nous a informés que ses travaux reprendraient «au printemps 2014»; puis, plus un mot de Rome, pas de certificat de décès, pas de nécrologie. Une extrême grossièreté envers ses membres et ceux qui l'ont mis en place à l'époque!». D'où la claire dénonciation du cardinal Zen: «Il y a encore un chinois 'à Rome', mais il semble qu'il gêne. Ils l'ont exilé à Guam. Il est triste de voir que les grands promoteurs du dialogue l'éliminent au sein de l'Eglise».

S'il y a une chose dont nous n'avons pas besoin aujourd'hui, c'et une réédition de l'Ostpolitik du cardinal Agostino Casaroli. Au cas où ce serait la direction prise ici, mieux vaudrait changer de route avant. En admettant qu'il est encore temps ...

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NDT:
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(1) Cette commission a été instituée par Benoît XVI en 2007 « pour étudier les questions d’une plus grande importance, relatives à la vie de l’Eglise catholique en Chine » : elle réunissait des responsables des dicastères romains compétents en la matière et des représentants de l’épiscopat chinois et de congrégations religieuses (Zenit)
C'est précisément en 2007 que Benoît XVI a écrit sa LETTRE À L'EGLISE QUI EST EN CHINE (cf. beatriceweb.eu)