Tout ce qui reste


"All that remains": un grand film qui exalte un catholique japonais exemplaire ayant survécu à Nagasaki, mais qui n'a pas trouvé de distributeur en salle. A méditer (9/8/2016)

>>> La notice wikipedia de Takasashi Nagai
>>> Le film est en DVD chez Ignatius, mais il n'est disponible que pour la zone 1.

 

Avant son voyage en Bavière, en septembre 2006, Benoît XVI avait reçu à Castelgandolfo la télévision bavaroise pour un long entretien à coeur ouvert, qui à l'époque avait été suivi par 6 millions d'allemands (cf. beatriceweb.eu/Blog06).

Interrogé sur le grand nombre de canonisations décrétées par Jean Paul II, il répondait:


(...) chaque Conférence épiscopale devrait choisir, voir ce qui est plus opportun, ce qui peut nous apporter réellement quelque chose et (..) rendre ces figures plus visibles – il ne faut pas qu’il y en ait trop – des figures qui laissent des traces profondes. Elles peuvent le faire par la catéchèse, la prédication, on pourrait peut-être leur consacrer des films. J’imagine de très beaux films. Moi naturellement je ne connais bien que les Père de l’Eglise: un film sur Augustin, et un aussi sur Grégoire de Nizance et sa personnalité si particulière, sa façon de fuir sans cesse les responsabilités toujours plus grandes qui lui étaient confiées et ainsi de suite. Il faut essayer de réfléchir à tout cela: il n’y a pas que les situations mauvaises auxquelles sont consacrés tant de films, il y a des figures merveilleuses de l’histoire, qui ne sont pas du tout ennuyeuses, qui sont très actuelles. Bref il faut essayer de ne pas trop peser sur les gens, mais de leur proposer les figures qui restent actuelles et dont on peut s’inspirer.


Magnifiques propos, mais malheureusement, les films qui mettent en scène l'Eglise sous un jour positif (contrairement à ceux qui montrent son visage le plus sordide, comme le récent "Spotlight", soi-disant enquête sur les abus sexuels de la part de prêtres, salué jusque par les sites "catholiques", et même des blogs de "curés 2.0") ont un mal fou à trouver des financements, et quand ils en trouvent, ils ont encore plus de mal à trouver un distributeur. Et si par miracle (je dis bien: miracle) ils surmontent ces deux obstacles, ils sont démolis par la critique "laïque" et accueilli avec réserve par les mêmes sites catholiques qui ont applaudi "Spotlight"). On se rappelle du film de Mel Gibson "Passion".. Autres exemples récents, deux films que j'ai réussi à voir malgré tout: "Risen" (unanimement présenté comme un navet, ce n'était pas mon sentiment"), et "Cristeros". Et un film annoncé mais jamais distribué en France, sur le sauvetage de nombreux juifs par Pie XII ("Shadows of truth").

Voici encore un exemple, un film d'un réalisateur américain qui répondait au voeu du Saint-Père, en évoquant une grande figure du catholicisme japonais moderne, et auquel Marco Respinti consacrait hier un article qui donne (c'est au moins cela!) envie d'en savoir un peu plus sur la personnalité de son héros, un survivant de Nagasaki, Takasashi Nagai.
Il est vrai que le double holocauste nucléaire au Japon est couvert par le voile pudique de l'oubli, le crime sans nom ayant été commis par les maîtres du monde.
Le film, réalisé avec un petit budget, est disponible uniquement en DVD, mais malheureusement (pour une question technique de zone des DVD) il n'est disponible que dans la zone 1, soit l'Amérique du Nord, et en principe pas "lisible" en France. Je dis "en principe"... je laisse mes lecteurs faire leurs propres recherches pour contourner cet empêchement, à supposer que ce soit par un moyen légal.

Le saint qui à Nagasaki vainquit même la bombe atomique


Marco Respinti
8 août 2016
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

9 août 1945. Quelques secondes après 11h02, le temps qu'il faut à une bombe de 25 kilotonnes pour couvrir la distance entre l'aéronef et l'explosion, 40 mille des 240 mille habitants de Nagasaki, au Japon, sont instantanément vaporisés, laissant derrière la séquelle de 50 mille autres horriblement mutilés et une pléthore incalculable de ruines dans le corps et l'esprit pendant des années et des années.

Parmi les survivants de la deuxième bombe atomique de l'histoire larguée sur des êtres humaine, une hécatombe, un crime horrible, il y a Takasashi Nagai (1908-1951), auquel le réalisateur et producteur Ian Higgins (déjà auteur en 2009 de The 13th Day sur les apparitions de Fatima) dédie All That Remains (bande-annonce: www.youtube.com), un film en DVD diffusé par Ignatius Press à San Francisco. Délicat et cru en même temps, le film est l'un de ceux qu'il faut voir et montrer autant qu'il est possible. Une petite perle du cinéma indépendant, alternatif et à petit budget qui utilise d'intelligents stratagèmes de postproduction pour surmonter les inévitables problèmes techniques de ceux qui ne peuvent pas se permettre des investissements pharaoniques, et qui exploite avec maestria le talent superbe du casting, en premier lieu Leo Ashizawa, dans le rôle principal.

Le film mélange habilement les prises directes et les images d'archives glaçantes, et nous restitue une histoire que le monde a gardé trop caché.
Takasashi descend d'une famille de nobles samouraïs, confucéenne et shintoïstes, mais ne sont pas ces croyances qui dominent sa jeunesse. C'est plutôt l'athéisme dont sont imprégnés les milieux scientifiques qu'il fréquente. Il étudie en effet la médecine, et se spécialise en radiologie. Et arrive au fatidique Nagasaki, lui qui est originaire de Matsue. Mais sur le lit de mort de la mère, en 1930, Takasashi entame un voyage long et profond à la recherche du sens de l'existence, peu satisfait des réponses préfabriquées et stupides du rationalisme.

Il découvre l'histoire des "kakure kirishitan", les «chrétiens cachés» contraints pendant des siècles à la clandestinité après la persécution meurtrière des XVIe et XVIIe siècle, quand, après un moment de grande faveur, la foi catholique «étrangère» et «au service» des pouvoirs européens fut interdite avec une cruauté particulière (voi ici - en italien - www.iltimone.org). Un passé glorieux, qui trouve précisément à Nagasaki un centre de "revitalisation" quand, alors que le Japon commençait timidement à se rouvrir après s'être fermé comme une huître, la ville devint le centre du catholicisme japonais pendant la période Meiji (1869-1912). Takasashi rencontre ici l'institutrice Maria Midori Moriyama, et avec sa famille (chefs des kakure krisihitan depuis sept générations) elle commence à lui enseigner la sublimité inégalée de la foi catholique. Tout se passe la veille de Noël de 1932, lors de la messe de minuit à laquelle Midori a invité Takasashi.

Quelque chose de grand, et de grandiose, arrive. Le lendemain Takasashi sauve la vie de Midori en faisant un diagnostic d'appendicite aiguë et en la portant dans les bras dans la neige à l'hôpital le plus proche. Mais le nationalisme japonais se profile et même la guerre, la guerre sino-japonaise. Au front, en Mandchourie, Takasashi a le temps et l'opportunité de toucher du doigt la douleur et la cruauté, et de repenser au catholicisme, mais aussi à Midori. Finalement, il est baptisé le 9 Juin 1934 sous le nom de Paul, en mémoire de Paul Miki, le martyr chrétien crucifié avec 25 compagnons en 1597 sur les collines autour de Nagasaki.

Le DVD de All That Remains contient également un court métrage d'animation tourné par Higgins en 2015, 26 martyrs (cf. www.youtube.com), bref, poignant, opportun, ainsi qu'une deuxième contribution du père mariste américain Paul Glynn, auteur en 2009 du livre A Song pour Nagasaki publié par Ignatius Press, inspiré par l'écrivain catholique japonais Shusaku Endo (1923-1996), et co-auteur sur ce site de deux articles, sur les «chrétiens cachés» du Japon et sur les martyrs de Nagasaki au XVIe siècle.

Entre Takasashi et Midori il y avait depuis longtemps de la tendresse, discrète, voilée, mais forte. En 1934, ils se marient dans la cathédrale Urakami à Nagasaki. Dans l'intervalle, Takasashi est devenu un radiologue important, et même renommé. Il rencontre saint Maximilien Kolbe, qui de 1931 à 1936 se trouve au Japon. Mais le bonheur ne dure qu'un instant, et Takasashi découvre qu'il a la leucémie. Il le découvre en 1945, alors que le Japon est en guerre avec les États-Unis depuis quatre ans. On lui donne seulement deux ou trois années de vie, et avant de l'emporter, cette horrible peste doit le réduire à la paralysie, cloué dans son lit. La douce Midori ne sait pas quoi faire d'autre que s'adresser à la Vierge du Ciel, s'adresser à elle jusqu'à ce flash aveuglant du 9 Août 1945.

Takasashi survit à «Fat Man» (tel était le nom de code de la bombe atomique qui a rasé la capitale du catholicisme japonais) mais pas Midori; d'elle, il ne reste qu'un chapelet carbonisé dans les ruines de ce qui fut autrefois leur maison. Comme, de façon inattendue, il y avait en ce tragique matin du brouillard, l'avion qui largua la bombe le fit d'un endroit différent de celui prévu, amortissant (si l'on peut dire) son effet. Et quelqu'un en réchappa. Mais pas au déchirement et à la douleur. Takasashi reste seul à élever ses enfants (après la catastrophe d'Hiroshima, Takasashi les avait déplacées à six kilomètres de la ville) et face à la folie humaine, devient un signe de contradiction. D'un côté, il y a la mort infligée inutilement avec cet ordre sans précédent, de l'autre l'aveuglement du nationalisme japonais qui se déchire les vêtements parce que Tokyo, vaincue, et vaincue par la bombe atomique, décide de se rendre. Folie d'une seconde, après quoi reste le néant.

Néant physique creusé par la réaction en chaîne de l'uranium et néant de l'esprit vidé même des dieux les plus faux et les plus menteurs: ceux de l' idéologie, vide de sens , comme toute idéologie, et ceux des religions-mensonges qui n'existent pas. C'est dans ce contexte que le Dr Nagai Takasashi, le chapelet toujours en main, conquiert le surnom sous lequel il est connu, «le saint d'Urakama». Au milieu de la catastrophe la plus terrible, il est le témoignage que la vie est toujours forte, et même que la foi se renforce. Prostré et et anéanti dans le physique, comme l'ensemble du Japon, il montre que dans l'homme, il y a autre chose, il y a bien plus dans l'homme qui se confie à Dieu. Il lui aurait été facile de se demander, face à Hiroshima et à Nagasaki, où était Dieu, mais la pensée ne l'a jamais effleuré.

Emblème de l'espérance, et de l' espérance chrétienne, il est devenu un symbole pour tous, un symbole auquel l'empereur Hirohito rendra même visite en 1949. Ses écrits sont devenus un monument de foi, d'espérance et de charité, et sa maison est maintenant un musée dirigé par son petit-fils. Lui, qui était très catholique, et surtout un converti (c'est-à-dire un «traître»), est devenu le signe d'un Pays, d'un patriotisme authentique et jamais banal devant qui même le seigneur «divin» du soleil levant a dû s'incliner.
Le film de Higgins imagine son dernier instant comme un rêve dans lequel la belle Midori l'appelle parce qu'il est temps de venir. Les portes de la cathédrale s'ouvrent toutes grandes et les gens assis sur les bancs se tournent en souriant pour accueillir l'entrée des époux comme au jour de leur mariage, des époux qui cette fois montent au ciel. Les larmes ne viennent pas toutes de pusillanimes. Takasashi Nagai est un Serviteur de Dieu et All That Remains un chef-d'œuvre.