Mgr Paglia rectifie, la Bussola répond
Très "édifiant" échange entre le secrétaire de Mgr Paglia et le directeur de la Bussola à propos d'un récent éditorial de ce dernier mettant en cause la gestion par le premier du diocèse de Terni (7/4/2016)
>>> Selon que vous serez Bertone ou Paglia
Il y a quatre jours, j'ai traduit un article de Riccardo Cascioli sur la différence de traitement, de la part des médias, entre Mgr Paglia (ex-évêque de Terni, diocèse où il s'est signalé par une gestion pour le moins hasardeuse, et actuel président du Conseil Pontifical pour la Famille), et le cardinal Bertone, le secrétaire d'Etat de Benoît XVI, actuellement cible d'un harcèlement médiatique proche du lynchage à cause du financement de l'appartement qu'il occupe.
Aussitôt après avoir publié l'article, un lecteur attentif m'avertissait, lien à l'appui: "Mgr Paglia semble être innocent". Ce que j'ignorais.
Mais on va voir que les choses sont un tout petit peu plus complexes.
Il m'était évidemment difficile de faire plus que des vérifications superficielles sur l'internet italien, pas vraiment prolixe sur le sujet, sur des faits passés et qui avaient semble-t-il eu un impact surtout local, en tout cas bien moindre que l'affaire Bertone.
Et je ne pouvais pas désavouer un article qui avait été écrit par un autre (un journaliste d'une honnêteté au-dessus de tout soupçon, il faut le préciser), quand j'avais commencé par en valoriser le contenu; j'avais donc répondu à mon lecteur:
(...) L'énorme dette qu'il a laissée au diocèse, c'est un fait. Déjà Benoît XVI avait nommé un administrateur apostolique pour essayer de débrouiller cette affaire, qui doit être restée interne à l'Eglise. Ce n'est peut-être pas de la malhonnêteté, mais c'est au moins de l'imprudence.
Par ailleurs, Riccardo Cascioli n'a pas l'habitude d'écrire n'importe quoi, et il doit être mieux informé que nous, au moins en tant qu'italien. S'il avait écrit des choses fausses, il aurait certainement reçu une demande de mise au point.
Eh bien, justement aujourd'hui, Riccardo Cascioli publie un échange qu'il a eu avec le secrétaire de Mgr Paglia. Plus exactement un "droit de réponse", et sa propre mise au point.
Il est effectivement très bien informé.
Vu le rôle important de Mgr Paglia comme conseiller présumé du Pape (et compte tenu de ma participation indirecte à l'article en cause), il me semble que c'est plus qu'un simple commérage ecclésiastique, et qu'il justifie une traduction.
Mgr Paglia rectifie, la Bussola répond
Le "droit de réponse" de Mgr Mensuali, secrétaire de Mgr Paglia
Monsieur le Directeur,
Je vous remercie de l'espace que vous aurez l'amabilité de m'accorder pour la rectification par voie de presse que nous sollicitons auprès de vous, au sujet de l'attention réservée à Mgr Vincenzo Paglia dans votre éditorial du 3 avril dernier. Attention insuffisante et, même viciée par des négligences et des inexactitudes qui ne peuvent être laissées sans correction. Davantage de soins dans la recherche des faits et des circonstances insérés dans l'article, vous aurait conduit à vérifier, à partir de sources fiables, que les chiffres de la dette du diocèse de Terni représentent la moitié des 35 millions que vous avez improprement rapportés.
Le lecteur de la Nuova Bussola est convaincu, par ailleurs, que la dette contractée par le diocèse est entièrement imputable aux années où Mgr Paglia était son pasteur de 2000 à 2012, alors qu'il est constant que le diocèse de Terni, en 2000, était déjà dans un état de tension financière, (aussi pour plusieurs dettes de paroisses) qui s'est ensuite amplifié au fil des ans. Il est vrai que sous la gestion de Mgr Paglia, la dette a encore augmenté. Mais il est vrai aussi - une circonstance toujours incompréhensiblement gardée cachée - que les actifs du même diocèse, dans la même période, et donc par rapport à la valeur initiale de l'an 2000, ont bien triplé. Et c'est cette augmentation qui a récemment permis l'octroi de prêts bancaires.
Malheureusement, il faut le répéter à votre décharge, cela n'a jamais été dit, et ainsi la réalité a été falsifiée. Voilà pourquoi insinuer qu'il y a eu banquroute, expression technique de la loi pénale, c'est déclarer un faux inacceptable. Et la vente d'une partie des actifs déjà initiée par Mgr Paglia est la voie que le nouvel évêque poursuit.
Vous vous interrogez, dans l'éditorial, sur certains silences relatifs aux dettes de Terni. Mais la réponse est facile: en réalité, les financements obtenus de l'IOR et de la CEI (..) ont été et sont toujours garantis. De là, le manque de "nouvelles".
Dans votre éditorial, vous affirmez encore que Mgr Paglia est "dans le collimateur de la justice" depuis un certain temps. Vos lecteurs ont donc le droit (et le devoir) de savoir la nature et le nombre d'enquêtes actuellement en cours contre le prélat. Vos propos, en effet, mentionnent comme certitude une action judiciaire encore en cours à l'heure actuelle. Nous vous informons au contraire qu'au moins en ce qui concerne le Parquet de Terni, tous les rameaux d'enquête qui avaient impliqué Mgr Paglia dans le passé ont fait l'ojet d'un non-lieu. Avec une mention particulière pour l'archivation de l'enquête sur le château de Narni, au sujet de laquelle le juge de l'enquête préliminaire, dans le décret d'archivation a écrit que "Mgr Paglia s'avère avoir toujours agi dans l'exercice de sa charge pastorale, dans le seul but méritoire d'assurer à la vie de la ville une compensations en termes sociaux et culturels". Partageant ainsi la requête d'archivation du ministère public, dans laquelle était soulignée la totale extranéité aux faits contestés de l'évêque, première victime des agissements criminels d'autres personnes". Ces mots ont été largement rendus publics le jour de l'archivation en septembre 2015, et retraçables sur Internet. De même, toutes les autres enquêtes, d'importance bien moindre, s'avèrent archivées par le même Parquet. Comme vous le comprendrez, l'énorme différence entre écrire qu'une personne est soupçonnée depuis un certain temps et mentionner qu'au contraire, elle l'a été dans le passé et a été blanchie sur toute la ligne, saute aux yeux.
Nous nous trouvons finalement entièrement d'accord avec vous quand vous écrivez en conclusion de l'éditorial qu'il est déconseillé "de prendre certains récits pour argent comptant".
Signé: Le secrétaire de Mgr Vincenzo Paglia, Mgr Riccardo Mensuali
La réponse de Riccardo Cascioli
Cher Monseigneur Mensuali,
Je prends note de la rectification, à laquelle je me permets toutefois de répondre sur les points les plus importants:
1. D'abord, je voudrais répéter que l'éditorial en question ne concernait pas une enquête sur le diocèse de Terni "à l'ère Paglia", qui nécessiterait beaucoup plus d'espace, mais posait simplement une question: comment est-il possible que, dans le régime de transparence dont on nous dit qu'il est une nouveauté actuelle de l'Eglise, un évêque responsable d'une dette énorme procurée à un diocèse, au point d'être l'objet de plusieurs enquêtes, pouvait rester à un poste de grande responsabilité. Les faits se réfèrent donc à des choses déjà connues et publiées par différents organes d'information. Je rappelle par ailleurs que l'archivation de ces affaires est très récente, la dette record du diocèse est au contraire un fait déjà acquis depuis 2013, alors que Mgr Paglia est au Conseil pontifical pour la famille depuis 2012;
2. Vous me contestez le terme de banqueroute; mais à part le fait que tous les journaux ont parlé à l'époque de l'ouverture d'une enquête pour banqueroute, se référant à la dette du diocèse de Terni, je tiens à souligner que, quand en février 2013, l'Administrateur apostolique Mgr Vecchi a été envoyé pour prendre en main la situation, il ne restait littéralement pas un euro dans les coffres du diocèse. C'est-à-dire qu'on n'a pas été en mesure de payer les salaires, les factures et ainsi de suite. Le pire a été évité grâce à l'aide immédiatement garantie par le Saint-Siège pour couvrir la dette. Dites-moi comment on pourrait définir «techniquement» une telle situation;
3. Vous dites que la dette n'est pas de 35 millions, mais de la moitié. Si le chiffre que vous proposez était vrai, il serait incompréhensible que le Saint-Siège, avec la CEI, ait garanti déjà en 2013 une couverture de 25 millions d'euros. Les 17,5 millions dont vous parlez ne sont que l'exposition (voir ICI) auprès des banques (prêts, facilités de crédit, etc.). Mais à ceux-ci doivent être ajoutés de nombreuses autres dettes: factures d'entreprises de construction, de professionnels, honoraires d'avocats et bien d'autres. Déjà dans ses premiers mois de travail, Mgr Vecchi et ses collaborateurs avaient trouvé des dettes pour 25 millions. Qui depuis lors ont encore grandi et il semble que les "découvertes" ne sont pas encore terminées. C'est pourquoi, en citant des chiffres déjà publiés, j'ai écrit qu' «on parle de 35 millions». Mais même si à la fin, la dette se révèle autour de 30 millions, il ne me semble pas que cela changerait beaucoup la question. Et même si le chiffre que vous donnez était vrai, on ne pourrait pas non plus pousser un soupir de soulagement: ce serait encore un scandale inacceptable dans l'absolu, encore plus pour un diocèse qui compte à peine 160 mille baptisés (probablement le record du monde de la dette par habitant), une claque pour une ville ouvrière où les gens ont du mal à boucler les fins de mois. Je ne pense pas que c'est ce que François entendait en disant qu'il voulait une Eglise pauvre;
4. En ce qui concerne les rapports avec la Magistrature, vos propos semblent en réalité confirmer ce que j'ai écrit. Vous niez d'abord qu'il y ait des enquêtes sur Mgr Paglia, mais vous précisez ensuite: «au moins en ce qui concerne le Parquet de Terni, tous les rameaux d'enquête qui avaient impliqué Mgr Paglia dans le passé ont été archivés». Il me semble clair que ce «au moins en ce qui concerne le Parquet de Terni ..» laisse supposer qu'ailleurs, au contraire, quelque chose d'autre est encore en mouvement. Par ailleurs, il me semble que, dans le passé, le Procureur qui s'est occupé des enquêtes sur le diocèse de Terni, a personnellement écrit à François pour expliquer ce qui était arrivé à Terni et la responsabilité de Mgr Paglia.
5. Quant au classement sans suite du rôle de Mgr Paglia dans l'enquête sur le château de Narni - je rappelle que le chef d'accusation le plus grave contre l'évêque était celui d' "association de malfaiteurs" - je m'en remets aux décisions du juge. Mais si pour la justice italienne l'affaire du château de Narni voit Mgr Paglia libéré des charges, il y a bien d'autres responsabilités qui devraient compter pour le Saint-Siège: le fait est qu'en 2011, avec une dette ayant déjà atteint 22 millions, le diocèse de Terni se lançait dans l'achat d'un château pour 2 millions d'euros, plus six autres millions pour la restructuration. Une folie.
Ce qui fait que la question posée dans mon précédent éditorial reste toujours valide: comment est-il possible qu'un évêque si éloigné des comportements que devrait avoir un bon père de famille reste tranquillement à la tête du Dicastère de la Famille?
Riccardo Cascioli