Un monde sans Dieu, et sans boussole


Voilà ce qu'on perçoit, aux réactions de certaines (beaucoup de) personnes, touchées plus ou moins directement par le récent séisme en Italie centrale. Une réflexion très pessimiste de Maurizio Blondet (3/9/2016)




Cela n'a évidemment rien à voir avec ce Pape. Mais tous les optimistes béats qui, il y a trois ans, voyaient dans son élection un nouveau printemps de l'Eglise provoquant un "effet Bergoglio" se sont peut-être (et nous ont) lourdement trompés. En réalité, la haine pour l'Eglise semblerait n'avoir pas faibli, c'est même l'inverse qui se produit, et même les "croyants" s'y mettent!

On pourra dire, peut-être à juste titre, que Blondet est excessivement pessimiste, et que le témoignage noir qu'il a entendu à radio diffère de celui du prieur du monastère de Norcia, qui racontait que les habitants de cet autre village s'étaient spontanément rassemblés sur la place, sous la statue de saint Benoît, certains s'étant même joints aux moines pour réciter le chapelet.
Ou bien que ce sont les deux faces d'une même médaille : les deux sortes de réaction existent (mais il est certain que les journalistes tendront plus facilement leur micro aux témoignages du premier type) .

Cette rage sinistre qu'on ressent à Amatrice (*)


(*) Epicentre du séisme, le village a été quasiment englouti

Maurizio Blondet
30 août 2016
Ma traduction

* * *

«Non, ce n'est pas le moment de leur parler de Dieu ...» c'est à peu près (je cite de mémoire) ce que j'ai entendu dire à la radio par des prêtres, des moines et un évêque qui avaient «apporté leur réconfort» aux victimes du tremblement de terre, à ceux qui ont perdu des membres de leur famille à Amatrice, ou même juste leur maison, leurs affaires et leur voiture. Le ton, entre frayeur et déprime, permettaint de comprendre pourquoi: les survivants s'étaient retournés contre eux. Les bons religieux leur avait tendu une main et ils l'avaient mordue, furieux; pleins de rage contre Dieu, bien sûr.

Hélas, c'est compréhensible. Depuis cinquante ans, l'Église proclame un Dieu optimiste et toute bonté; un Dieu qui ne châtie jamais, au point que même l'enfer est vide, et malheur à celui qui essaie de dire que les maladies, les guerres, les catastrophes peuvent être «des punitions et des avertissements»; un Dieu progressiste et bienfaisant; la Messe n'est plus «le sacrifice de la croix», mais «le repas pascal», elle n'évoque pas la mort judiciaire dans le supplice, mais la résurrection. Depuis le Concile, l'Eglise a assuré que ce n'est pas l'homme qui est né pour servir Dieu, mais le contraire: Dieu est au service de l'homme: «La seule créature que Dieu a aimé pour elle-même», chante Gaudium et Spes, «tous les biens de la terre doivent s'ordonner en fonction de l'homme, centre et sommet de tout», qui «a été constitué seigneur de toute la création visible pour la gouverner et l'utiliser, en glorifiant Dieu».

Puis vint le tremblement de terre, trois cents proches et amis, enfants et grands-mères meurent, et tu découvres, pauvre moine ou prêtre, que les survivants ne veulent pas «les consolations de la foi» (lesquelles, d'ailleurs?), mais une chose précise: savoir pourquoi Dieu, toute miséricorde et omnipotence, n'a pas sauvé les parents et les amis, ou la Fiat Punto écrasée par les gravats, ou les personnes mortes sous les dalles de béton qui servent de toitures. Autrement, qu'il aille au diable, lui et son Dieu, ça, nous ne lui pardonnons pas! Mais quelles prières!

J'espère qu'ils ont pris conscience, moines et religieuses, et brave évêque qui ont eu la main mordue par ces (appelons-les ainsi) fidèles, de la triste réalité: que le Dieu qu'ils essaient de prêcher depuis le Concile, le Dieu au service de l'homme «centre, sommet, créateur et maître de la création» est un faux Dieu. Qui peut plus ou moins fonctionner aux journées de la jeunesse, aux rassemblements festifs et le dimanche sur la place Saint-Pierre (plus ou moins), mais qui n'a rien à dire à ceux qui ont perdu leurs enfants sous les décombres; il n'a pas le mot juste pour «expliquer» ce qui est arrivé et arrive à l'homme depuis des milliers d'années, le mystère de la souffrance infligée par cette nature dont il serait «le couronnement» et le seigneur. Le Seigneur est quelqu'un d'autre, et on le voit ici.

«POURQUOI SOUFFRIR SI C'EST INUTILE?»
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Elle est terrible la condition d'une Église sans voix, mordue par les «fidèles». Terrible la condition des fidèles, des hommes d'aujourd'hui devant la tragédie: subir une souffrance irrémédiable sans motif, dont on ne sait pas donner la raison, qu'on rejette au lieu de l'accepter, qui n'apporte aucune expiation, c'est déjà une condition très semblable à l'enfer; si on ajoute les imprécations, la rage et les blasphèmes, la ressemblance avec la damnation éternelle devient presque identité.

J'écris cela après avoir lu le blog de Constance Miriano, grande croyante. Elle avait lancé une campagne de prière, parmi ses amis croyants, pour qu'ils recommandent au Père les âmes de ceux qui, étant morts dans leur sommeil et sans avoir le temps de recommander leur âmes à Dieu, avaient besoin de cette aide .

Eh bien, le blog a été investi par des milliers de «blasphèmes» et d'«insultes surréalistes»; des gens qui «écumant de rage et vomissant des insultes», lui lançaient des accusations plus qu'irrationnelles, de délire psychiatrique (ndt: apparemment, elle a effacé les messages injurieux). La plupart du temps sur le ton du politiquement correct: prier pour les morts «violait la vie privée» des morts eux-mêmes; offensait leur autonomie et leur liberté («Comment oses-tu, s'ils n'étaient pas croyants?»), sans réfléchir un seul instant qu'un cadavre n'a plus aucune autonomie ni liberté. Certains ont menacé de la dénoncer, supposant (pas tout à fait à tort) que quelque procureur ouvrirait une enquête sur cet abus intolérable, qui consiste à recommander à Jésus les âmes des étrangers, profitant du fait qu'ils «ne peuvent pas refuser», ni se défendre (contre quoi? contre le salut éternel ...). Constance signale «parmi les plus enragés, plusieurs soi-disant catholiques». Je suppose que ceux-ci ont «accepté pleinement la nouveauté du Concile»; à savoir que de Dieu, l'homme ne doit attendre que la joie; pourquoi souffrir, en effet, si c'est inutile?

C'est la question qui résonne dans l'enfer.
Cette rage m'est bien connue: je ne peux pas aborder la question de la religion et de sa nécessité, sans éveiller les mêmes abboiements rageurs de raillerie, de dérision, de haine - excessifs, et visiblement non motivés. Ce sont (...) des exorcismes de pauvres âmes perdues, qui avec l'insulte et la dérision exorcisent la peur qui les anime: "et si c'était vrai? si je devais changer de vie?". Des âmes qui ne veulent pas être sauvées, qui ne veulent pas qu'on prie pour elles - autre ingrédient de l'enfer.
Le problème est que ce bouillonnement de colère, de haine et de terreur, ce pandémonium dont les moines et les prêtres ont fait l'expérience en allant parmi les «gens ordinaires» touchés par une catastrophe, mettra peu de temps à se coaguler en action. Action collective, de rue ou législative. Parmi mes lecteurs éructants, il y en a qui sont surpris: "comment se fait-il que mon pays l'église soit plus grande que la mairie?" (parce qu'elle était là des siècles avant ... mais lui, ignorant, ressent cela comme une injustice - une injustice contre la laïcité sécularisée, la modernité dans laquelle il vit). Un autre, à propos des attentats suicides islamiques en profite pour hurler: "Il faut interdire toutes les religions! Elles sont la cause de l'intolérance et des guerres! Des millions de victimes de l'Inquisition!".

Tôt ou tard, plus tôt que tard, ce hurlement, ces cris, deviendront acte législatif; le parlement l'approuvera; peut-être sous la pression «populaire» qui aura commencé à tuer des religieuses et des prêtres et à détruire des églises.

Je ne veux pas évoquer ici le troisième secret de Fatima, ou les visions de Cornacchiola. Il me semble avoir compris qu'à Amatrice et alentours, ces prêtres ont senti un danger inconnu, extrême.

«Vous êtes le sel de la terre; mais si le sel perd sa saveur, avec quoi l'assaisonnera-t-on? Il n'est bon à rien, qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes» (Matthieu 5,13).

Je m'étais toujours demandé pourquoi il ne suffisait pas que le sel insipide fût jeté, mais qu'il devait être «foulé aux pieds par les hommes». Je crains que ce ne me soit devenu plus clair.