Un pont entre les deux Papes


Une longue interview du Père Lombardi dans un quotidien espagnol. François installe-t-il un homme à lui pour contrôler l'activité de la Fondation Ratzinger et l'inscrire coûte que coûte dans la continuité avec son propre pontificat? (11/10/2016)

>>> Voir aussi l'exposé du Père Lombardi à l'occasion de la biographie de Benoît XVI "Servitore di Dio e dell'umanità"
¤ "Mon" Ratzinger (I)
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"Mon" Ratzinger (II)


Merci à Carlota d'avoir traduit cette interview du père Lombardi parue dans le journal espagnol El Mundo (qui n'est pas un journal de droite, me dit-elle par euphémisme... ou peut-être est-ce de l'humour!).
L'auteur de l'interview n'est autre qu'une vieille connaissance José Manuel Vidal, prêtre défroqué, hyper-progressiste (bien entendu!) et hyper-bergoglien (bien entendu). Nous l'avons souvent croisé dans ces pages, pas forcément en bien! (cf. https://goo.gl/9Aj2cS)
Je ne veux pas mettre totalement en doute la bonne foi (et la sincérité, lorsqu'il parle de Benoît XVI) du Père Lombardi, mais cette interview vaut vraiment la peine d'être lue, ne serait-ce que pour comprendre POURQUOI il a été nommé à la tête de la Fondation Ratzinger. Un signe supplémentaire (au moins, il me semble) du contrôle que François veut avoir sur tout, et en particulier sur l'utilisation qui pourrait être faite de l'oeuvre de son "bien-aimé" prédécesseur, en mettant en place un homme à lui pour la gérer dans le sens de ses intérêts. Comme s'il fallait éviter à tout prix que le grand héritage de Benoît XVI ne tombe en de "mauvaises" mains (car certes, il n'aurait pas manqué de noms éminents, laïcs et ecclésiastiques, pour remplir cette tâche!);

A cet égard, le passage ci-dessous, si on l'extrait de sa gangue de langue de bois est particulièrement éclairant:

François m’a dit : « Ça va se terminer pour toi à la Salle de Presse et tu vas te charger de la Fondation Ratzinger ». (...) Nous avons continué à parler et François m’a également dit qu’avec la Fondation, nous devons nous consacrer à donner une impulsion et prendre une part active dans le travail de réflexion culturelle avec une perspective plus large de dialogue avec la théologie. Avec une perspective qui, en étant compatible avec la foi, puisse réellement aider le monde d’aujourd’hui. C’est dans ce sens que j’interprète le travail que m’a confié François. Un travail très important, parce qu’il sait très bien et apprécie l’énorme service que Benoît a rendu à l’Église. Il y a une merveilleuse relation de considération et de syntonie de François avec son prédécesseur. Je me sens bien de passer d’un service à un autre, parce que cela concrétise l’esprit de continuité qu’il y a entre les deux Papes et la profonde relation qu’il y a entre les deux personnes.

ENTRETIEN
L’ex-porte parole du Saint Siège et président de la fondation Ratzinger


JM Vidal
www.elmundo.es
04/10/2016
Traduction de Carlota

* * *

Lombardi: "Le Pape François a le don de la communication"

On l’appelle l’homme tranquille, celui qui murmurait aux oreilles de deux Papes. Le jésuite Federico Lombardi a été plus qu’un porte-parole à l’usage du Saint-Siège. Il a incarné durant des années la voix officielle de l’Église. Il a su être aux marches du service [de communication] auprès de Benoît et de François , sans cesser de dorloter et chérir les journalistes, des « instruments indispensables » pour la communication de l’Église . Il continue à tendre des ponts, désormais comme président de la Fondation Ratzinger, il ne se voit pas comme Général de la Compagnie de Jésus et assure que «François a le don de la communication ».

J.M.V. : Quel bilan faites-vous de vos dix années à la tête du Bureau de presse du Saint Siège?
P. F. L. : Le bilan ce sont les journalistes et les catholiques qui doivent le faire. Ce sont eux qui doivent dire si j’ai fait un bon travail ou non. Cela a été une expérience très importante et très riche dans ma vie, cette collaboration au service de deux Papes très différents. Et déjà auparavant je travaillais au Vatican avec Jean-Paul II. Trois papes en 25 ans. C’est une expérience très profonde. Comme exercice professionnel de communication et comme expérience spirituelle de proximité avec les papes qui sont des personnes merveilleuses qui ont marqué la vie de l’Église durant ces dernières décennies. C’est un service avec les journalistes et pour les journalistes. Il s’agit de les aider à bien comprendre ainsi qu’informer et commenter d’une manière adéquate la vie de l’Église. Dans ce sens informer, pour moi cela a été un service de dialogue et de pont entre l’Église institutionnelle et le monde la communication. Cela a été aussi une bonne expérience d’amitié et de rencontre personnelle avec de nombreux journalistes du monde entier. De différentes nations et de différentes orientations. Et toujours avec l’idée de collaborer, pour offrir un bon service à toutes les personnes qui désirent avoir une information profonde sur l’Église dans le monde d’aujourd’hui.

J.M.V. : Avez-vous appris quelque chose des journalistes durant votre temps comme porte-parole du Saint Siège?
P.F.L. : Je dois dire que mon expérience a été très bonne. J’ai essayé de servir les journalistes de tout mon cœur. Leur donner la matière et de l’information utile dont ils avaient besoin pour bien faire leur travail. Et avec une attitude positive et de disponibilité.

J.M.V. : Les médias et les professionnels sont-ils des instruments indispensables pour l’Église ?
P. F. L. : Naturellement. Il y a des journalistes qui ont une orientation et une syntonie plus grande avec l’Église parce qu’ils partagent ses idéaux et ses intentions. Il y en a d’autres qui ont une vue différente. Ils peuvent interpréter les faits sans bien comprendre quelles sont les intentions évangéliques profondes du pape, parce qu’ils ne les partagent pas. En tous cas, touts les personnes qui font sérieusement leur travail et méritent qu’on les aide à comprendre correctement la réalité de l’Église. Dans ce sens il y a eu un respect mutuel. (!!!)

J.M.V. : Et comme preuve de ce respect mutuel, les journalistes vous ont rendu un hommage à Rome, il n’y a pas longtemps…
P. F. L. : Je ne me suis jamais senti attaqué. Je me suis toujours senti respecté et apprécié des journalistes.

J.M.V. : Allez-vous regretter de ne pas être dans l’avion lors du prochain voyage du pape?
P.F.L. : Non, j’ai toujours pensé que j’exerçais un service. Il est terminé et maintenant je fais autre chose. Ce n’est pas une tragédie. C’est tout à fait normal d’avoir différentes affectations. Je suis très content de collaborer avec les Papes. Mais j’étais très consciente que ce service n’allait pas être éternel. Maintenant j’ai une autre tâche.

J.M.V. : La Communication a-t-elle changé au Vatican avec le Pape François?
P.F.L. : Le style de Communications du Pape François est très différent de celui de Benoît. Avec Benoît il y avait une Communications très riche en contenus, des contenus très profonds et théologiques. François a un charisme très spécial d’expression concrète et directe, de proximité avec le monde d’aujourd’hui et avec les personnes. C’est une Communications plus concrète et directe, et avec une syntonie profonde entre le peuple et le Pape François. Et naturellement le service de communication pour ma part a été différent, dans le sens que, avec Benoît c’était plus un service d’interprétation, de simplification de ses messages, de divulgation. Avec François, les messages sont compris plus directement. Et le service consiste à aider les différents médias, en particulier numériques, à recevoir rapidement le message de François, qui est particulièrement adapté à la communication d’aujourd’hui. Avec des phrases courtes, percutantes, avec des messages simples. La puissance de communication de François a quelque chose de très spécial. Le pape a le don de la communication. (!!!)


J.M.V.: Cela vous gêne-t-il que nous les journalistes nous continuions à vous étiqueter comme ex-porte-parole ou c’est un titre de gloire ?
P.F.L. : Ce n’est pas un problème. C’est une réalité.

J.M.V.: Vous vous êtes déjà mis à fond dans de nouvelles tâches.
P.F.L. : J’ai désormais de nouvelles charges et je vais voir en quoi elles consistent et comment les interpréter. C’est une période un peu de transition car j’ai commencé à voir ce qu’est la Fondation Ratzinger et ce que je peux y faire. En plus, la Congrégation Générale des Jésuites est là, je vais lui consacrer un mois et demi. Ensuite je verrai si j’ai une autre mission à la Compagnie, afin que cela puisse aller avec celle de la Fondation.

J.M.V.: On dit que cela pourrait être vous le nouveau Général [des Jésuites].
P. F. L. : Non, non et non. Je suis tout à fait tranquille. C’est absolument impossible.

J.M.V.: Le bruit court que votre nom serait parmi ceux des papables noirs.
P.F.L. : Non, il n’y aucune possibilité. Cela n’a aucun sens. Ne serait-ce que du fait de mon âge. J’ai 74 ans.J.M.V.: Juste l’âge pour un mandat de 6 ou 7 ans…
P.F.L. : Non, non... Ce n’est pas ce que demandent aujourd’hui les jésuites.

J.M.V.: Ils demandent quelqu’un de plus jeune?
P.F.L. : Et qui puisse avoir le temps de gouverner.

J.M.V.: Est-il possible de faire des pronostics sur les éventuels successeurs d’Adolfo Nicolás ?
P.F.L. : Non, c’est totalement exclu. C’est aller contre la réalité, parce qu’il n’y a aucune candidature. Ce qui compte c’est le processus de discernement, qui se fait au niveau de la Congrégation Générale, processus dans lequel l’on parle deux par deux.

J.M.V. : Les rumeurs.
P.F.L. : C’est cela. Avant non, il n’y a ni candidatures, ni groupes, ni listes de candidats. Chacun a la responsabilité de son discernement.

J.M.V.: Mais nous les journalistes, nous, nous aurons à faire des pronostics.
P. F. L. : Ce ne serait pas sérieux.

J.M.V.: Quel que soit l’élu, le nouveau Préposé Général sera franciscain, c'est-à-dire, quelqu’un en totale syntonie avec le pape François ?
P. F. L. : C’est clair que la Compagnie de Jésus vit dans un pontificat et, comme toujours, elle doit servir l’Église dans la perspective que le vicaire du Christ nous indique. Il y a naturellement une syntonie entre la Compagnie de Jésus et le Pape, qui est jésuite. La Compagnie souhaite servir l’Église, soutenir le pape et être, comme toujours, à son service. La Compagnie soutient tous les papes.

J.M.V.: Qui que ce soit.
P. F.L. : C’est la mission de la Compagnie.

J.M.V.: Avec une syntonie particulière avec le Pape François ?
P. F.L. : Il est évident qu’il y a une syntonie importante avec François. C’est une bonne chose. Nous sommes dans l’Église guidée par le pape François et nous devons le suivre et nous adapter à son esprit. C’est ce qui est naturel. Logiquement, les orientations que prendra la congrégation tiendront compte de cette situation.


J.M.V. : De porte-parole du Saint Siège à président de la Fondation Ratzinger. En quoi consiste votre nouveau travail ?
P.F.L. : J’ai maintenant une mission spéciale qui consiste à continuer l’héritage culturel et théologique de Joseph Ratzinger, Benoît XVI. Au moyen de prix, de publications et de congrès de théologie. C'est-à-dire perpétuer l’esprit de Joseph Ratzinger en soutenant son rayonnement à travers la contribution de la théologie et de la culture de l’Église. Non seulement nous devons réfléchir sur ce que Ratzinger a dit mais maintenir son esprit, favoriser le dialogue entre l’Église et la culture actuelle. La fondation a cette mission. Pour la mener à bien, nous maintenons beaucoup de collaborations avec des institutions variées, comme des universités dans le monde, des congrès, des publications et différentes initiatives.

J.M.V.: Comment s’est faite votre mutation à la direction de la Fondation Ratzinger ?
P.F.L. : François m’a dit : « Ça va se terminer pour toi à la Salle de Presse et tu vas te charger de la Fondation Ratzinger ». Et j’ai pensé : « Je ne sais pas si c’est mon affaire que d’organiser des congrès et des choses comme cela ». Puis ensuite j’ai compris qu’avoir travaillé avec Benoît XVI avait été très important pour moi, et pouvoir continuer à travailler avec lui était une opportunité, un don. Je ressens comme un don le fait de pouvoir être près du Pape émérite en cette période fondamentale, le temps de la préparation à la rencontre avec Dieu. Nous avons continué à parler et François m’a également dit qu’avec la Fondation, nous devons nous consacrer à donner une impulsion et prendre une part active dans le travail de réflexion culturelle avec une perspective plus large de dialogue avec la théologie. Avec une perspective qui, en étant compatible avec la foi, puisse réellement aider le monde d’aujourd’hui. C’est dans ce sens que j’interprète le travail que m’a confié François. Un travail très important, parce qu’il sait très bien et apprécie l’énorme service que Benoît a rendu à l’Église. Il y a une merveilleuse relation de considération et de syntonie de François avec son prédécesseur. Je me sens bien de passer d’un service à un autre, parce que cela concrétise l’esprit de continuité qu’il y a entre les deux Papes et la profonde relation qu’il y a entre les deux personnes.

J.M.V. : Comment va Benoît XVI ?
P.F.L. : Il est au temps de la préparation de la rencontre de Dieu. Le livre de ses dernières conversations, qui je pense va être rapidement publié en espagnol, a pour moi une valeur particulière, parce c’est son testament. C’est son testament de comment il se prépare à la rencontre final de la vie. Un testament d’une grande profondeur et d’une merveilleuse sincérité, qui peut nous aider nous tous dans notre spiritualité. Je considère que c’est un privilège d’être en syntonie avec ce grand homme. Dans un petit dialogue que j’ai tenu avec lui quelques semaines après, concrètement sur la Fondation, sur le sens de ma tâche aujourd’hui, il m’a dit : « C’est très important que nous nous engagions dans le soutien au développement d’une théologie dans l’Église qui s’insère profondément en elle, et qui se fasse depuis l’intérieur de la théologie et non depuis l’extérieur, avec des interventions de discipline». C’est pour moi, venant d’un Pape émérite, qui a été auparavant préfet de la Doctrine de la Foi, c’est très important. Benoît pense que la recherche de la vérité et la recherche du dialogue théologique doivent croitre vers l’intérieur, avec un esprit d’aggiornamento (en italien dans le texte) positif. Comme celui qu’il montre dans son livre sur Jésus.