Une communication de crise


Telle est celle du Vatican sous François. Andrea Gagliarducci s'interroge sur la confusion générée par le Pape, sur les ratés dans la transmission de son magistère, et sur l'inadéquation de l'appareil communicatif censé y remédier (8/3/2016)




Cela fait pas mal de temps que je n'avais pas traduit la rubrique hebdomadaire d'Andrea Gagliarducci sur "Monday Vatican". Il fait partie de ceux qui tout en ayant pris conscience du trouble que suscite ce pontificat, cherche des excuses au pape, soutenant notamment que certains, y compris au sein du Vatican, trament derrière son dos pour "pousser" leur propre agenda. C'est probable, et c'est une partie intégrante du problème. Mais selon moi, les faites s'ajoutent aux faits pour prouver que c'est le pape lui-même qui crée la confusion, et qu'il le fait sciemment avec une stratégie bien précise. Supposer qu'il est "un homme sous influence" est insultant pour son intelligence mais surtout très inquiétant pour l'Eglise - car si d'autres décident effectivement à sa place du message à transmettre au monde, l'Esprit Saint ne peut plus être invoqué comme garantie de la fiabilité du Magistère.
Ici, après le énième couac (l'attribution à Paul VI de propos qu'il n'a jamais tenus, sur les religieuses congolaises, qui a été interprétée comme une ouverture à l'usage de la contraception) il s'interroge sur la communication du Vatican. Celle du pape est chaotique, et celle de l'institution inadaptée, car elle ne répond pas aux exigences spécifiques d'un pontificat aussi imprévisible que celui-ci; et surtout, elle a oublié l'essentiel: l'évangile, qui en est le grand absent.

François: Communication de crise



Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com
29 février 2016
Ma traduction


Durant la conférence de presse en vol de retour du Mexique, François a prouvé une fois de plus que la praxis est plus importante pour lui que la doctrine, quand il a mentionné le "fameux" cas des religieuses congolaises qui auraient reçu l'autorisation de prendre la pilule contraceptive en raison d'un danger de viol. Pourtant, cette même phrase - analysée, discutée et même rejetée dans les blogs et les médias (Paul VI n'a en fait jamais prononcé ces mots) - démontre une chose: que la communication du pape est de plus en plus une question de communication de crise - et c'est comme telle que les médias du Vatican devraient la traiter.

Lors d'une rencontre avec les employés de la radio et de la télévision du Vatican, le 25 Février, Mgr Dario Edoardo Viganò, Préfet du Secrétariat des communications récemment créé leur a demandé d'accorder plus d'attention à cette communication de crise. Mgr Viganò a donné l'exemple spécifique des «pressions externes» tels que l' «affaire Pell» concernant des accusations contre le cardinal George Pell sur une couverture présumée d'actes de pédophilie. L'exemple fourni avait pour but d'expliquer que la communicationa de l'Église doit être plus proactive. Elle ne doit donc pas juste répéter les contributions positives apportées par les nombreuses initiatives que l'Église a entreprises partout dans le monde. Les médias du Vatican - a argumenté Mgr Viganò - sont évidemment chargés de donner cette information. Mais la communication du Vatican - a-t-il ajouté - doit tenir compte des pressions extérieures. Elle doit être en mesure de les prévoir, et même de les contrer.

L'une des questions jamais mentionnée explicitement, mais très présente est que la façon dont François communique oblige l'Eglise à faire fonctionner en permanence la communication de crise. Et le récent scandale médiatique sur l'utilisation présumée de contraceptifs par des religieuses congolaises est un exemple de premier plan.

François prend évidemment pour acquise la véracité de la légende urbaine selon laquelle Paul VI a accepté l'utilisation de la contraception par les religieuses comme un moindre mal dans une situation extrême. Et en disant cela, François l'a officialisée, bien que toutes les biographies de Paul VI insistent sur le fait qu'il est resté ferme dans l'opposition à la contraception. De plus, Paul VI, dans l'une des audiences publiques accordées à la Commission chargée d'étudier la question du contrôle des naissances, a demandé qu'ils ne fassent que des «déclarations sans ambiguïté».

Mais autant Paul VI (que François a appelé «un héros» à plusieurs reprises) aurait insisté pour que les autres évitent l'ambiguïté, autant François parle d'une manière qui laisse les questions ouvertes et ambiguës. Les phrases de François sont conditionnées par l'expérience de questions très pragmatiques, par exemple, par une solution douloureuse donnée à une situation qu'il a affrontée au confessionnal. Elles sont en fin de compte le fruit de son expérience de l'Eglise comme un «hôpital de campagne» appelé à appliquer les premiers soins aux blessures. Mais elles sont également affectées par une vision à courte vue, plus qu'une à longue vue.

Mais quand on pense sur le plus long terme, nous trouvons un pape François plus orthodoxe (??), qui se décrit comme un fils de l'Eglise, la «Sainte Mère» hiérarchique», et qui est imprégné d'une très forte spiritualité ignatienne. Pourtant, sa manière de raisonner, sa manière de mettre la praxis avant la doctrine, le conduit à faire l'objet de toutes sortes d'instrumentalisations.

C'est la raison pour laquelle la communication de l'Eglise, et surtout la communication sur ce pape, est toujours une communication de crise: parce que les paroles du Pape, prononcées dans des conversations personnelles, dans les remarques improvisées ("off-the-cuff"), dans des interviews dont la bureaucratie du Vatican n'est pas informée, engendrent une tendance (tilt: inclinaison). Que la tendance soit grave ou non doit être évaluée au cas par cas. Bien sûr, elle peut être facilement manipulée.

Aujourd'hui, la communication de crise ne consiste pas seulement à répondre aux attaques lancées par les ennemis extérieurs de l'Eglise.

Par exemple, la semaine dernière, le Saint-Siège et l'épiscopat de Belgique se sont défendus contre une class-action réclamant des dommages et intérêts pour les affaires de pédophilie dans le clergé. La Cour d'appel de Gand a déclaré que la Cour n'a pas compétence sur le Saint-Siège, et que les plaintes contre les évêques belges et les congrégations religieuses sont en violation du code belge de procédure civile. Pour résumer: une plainte abstraite pour des "fautes politiques" génériques et non spécifiées ne peut pas être portée contre l'Eglise, et les demandeurs doivent s'adresser spécifiquement à ceux qui ont commis la faute, expliquant précisément en quoi consiste la faute, et comment elle a causé des dommages. Il s'agit ici seulement de l'arrêt dans l'affaire civile pour les dommages et intérêts (l'affaire pénale est toujours en cours), mais c'est cependant un bon point pour l'Eglise. Comment se fait-il qu'aucune personne impliquée dans les communications du Saint-Siège n'ait publié une déclaration, expliqué le cas, et à la fin mobilisé l'opinion publique en faveur du raisonnement du Saint-Siège dans cette affaire? Pourquoi aucun représentant du Saint Siège n'a-t-il remarqué l'attaque contre sa souveraineté, qui n'a rien à voir avec le principe de la juste responsabilité selon laquelle la partie qui est coupable d'un crime doit être poursuivie?

Une réponse proactive à ces questions est clairement nécessaire. Mais le pape a également besoin d'aide dans la construction d'une nouvelle "narration" quand il parle off-the-script, parce qu'il se contredit parfois lui-même. À l'heure actuelle, la première impression est que le pape, plus qu'être simplement seul aux commandes, est en fait LAISSÉ seul aux commandes. François aime prendre des décisions par lui-même, mais en même temps, il est également exploité par ceux qui développent un agenda derrière son dos.

Il est facile de remarquer que chaque fois que François parle off the script, surtout quand il n'est pas totalement précis dans ses termes, il y a une large frange de personnes - pas seulement du monde profane - qui tirent parti de ses propos pour affirmer que l'Eglise vit une nouvelle ère et pour exalter la nouvelle approche du pape. En fin de compte , ils projettent les paroles du Pape François bien au-delà de ses intentions réelles. Cela arrive souvent, si souvent que le Pape a ressenti le besoin d'expliquer - par exemple - que sa fameuse phrase : «Qui suis - je pour juger?», se référant aux homosexuels, est directement tirée du Catéchisme de l'Église catholique; de préciser que les personnes divorcées et remariées civilement ne peuvent pas recevoir la communion sacramentelle; de justifier - et il le fait de plus en plus souvent - que sa pensée sociale n'est pas communiste (lors de sa dernière audience générale, rappelant les paroles d'Isaïe, il a plaisanté: «et Isaïe était pas communiste»).

A l'ère d'Internet, la gestion des communications du Vatican doit s'étendre sur de nombreuses lignes de front, et les qualités nécessaires pour lui permettre de réussir sont la culture, la prise de conscience des pressions externes et internes sur l'Eglise, et la pleine connaissance de la mission de l'Eglise. La grande réforme des communications du Vatican est-elle en mesure d'atteindre cet objectif?

En regardant la façon dont la réforme est conçue, nous répondrions «Non». La réforme de la communication est présentée comme un important remaniement de pouvoir, et cela pourrait également être vrai. Mais cette description ne correspond pas à tous les critères. Par exemple, Radio Vatican reste dans les mains des jésuites. Le P. Federico Lombardi, SJ, n'est plus le directeur général parce que le Directorat Général est devenu un bureau qui couvre tous les département de médias, pas seulement la radio. Mais le Directeur des Programmes est le P. Andrzej Majewski, et c'est un jésuite. Les jésuites ont toujours été chargés de la supervision de la radio, et seul un Pape peut leur enlever cette mission. François ne pourra guère le faire.

Plutôt qu'une réforme du contenu, les communications du Vatican vont connaître une rationalisation. Il y aura un seul Dicastère, le Secrétariat des communications, comprenant cinq départements: le département du directorat général, le département pastoral et théologique (qui recouvre plus ou moins les fonctions du Conseil Pontifical pour les Communications Sociales); le département technologique, le département éditorial et le département institutionnel.

Le département éditorial devrait être responsable des contenus et de la façon dont ils sont canalisées, et pour le moment Mgr Viganò prendra cette responsabilité. En fait, avant d'avoir un contenu unifié pour tous les médias du Vatican, ils doivent d'abord être réunis: la radio et la télévision du Vatican seront réunies en 2016, puis le nouveau dicastère prendra la relève des compétences de la Typographie, de la Maison d'édition du Vatican (la LEV), etc.

Le département institutionnel est représenté par le Bureau de Presse du Saint-Siège, mais c'est quelque chose qui n'est pas inclus dans le Secrétariat des communications. Le bureau de presse publie des informations concernant le pape et ses activités, distribue les discours du pape et fournit des informations officielles concernant le Saint-Siège et la Cité du Vatican. Cette activité est encore sous l'égide du Secrétariat d'Etat du Vatican, qui, en dépit de tous les projets de réforme anoncés, a conservé à ce jour ses fonctions et a maintenu un rôle central dans la réforme en cours.

En fin de compte, la conception de la réforme de la communication du Vatican concerne en grande partie la gestion, dans le but d'économiser de l'argent et de générer des profits. Les techniques de communication vont changer, mais rien ne changera dans la façon dont le message est délivré. Parce que la gestion du message sera toujours dans les mains du Secrétariat d'Etat, celui-ci sera appelé à traiter des questions de communication.

Le processus de réforme des communications du Vatican démontre un point plus général en termes de réformes du Vatican. La réforme de la Curie romaine, la réforme économique et la réforme de communication répondent à la nécessité de réduire les dépenses et générer des revenus. le Cardinal George Pell, Préfet du Secrétariat de l'économie, l'a expliqué clairement quand il a présenté la grande réforme des finances du Vatican en Juillet 2014.

Derrière cette réforme se trouve toujours le problème de chevauchement des intérêts que le pape Benoît XVI a essayé de supprimer, et qui est maintenant fermement en place sous ce pontificat. Le cardinal Pell est l'objet d'une très forte et très vilaine campagne médiatique. Les coups contre lui se répètent alors même qu'il se prépare à témoigner devant la Commission royale en Australie pour répondre à des accusations d'avoir couvert les abus sexuels sur mineurs quand il était archevêque de Melbourne. Ces coups nous aident à comprendre qu'en fin de compte, les poisons persistent encore derrière les murs du Vatican . Même le nouveau procès Vatileaks - qui doit de rouvrir ces jours-ci - en est une démonstration claire.

C'est un fait qu'il y a une absence de communication de crise efficace, capable de faire face aux attaques. Il est également vrai que beaucoup de ces attaques proviennent de l'intérieur même de l'Église, et donc une communication de crise ne peut pas être vraiment efficace. Et elle sera encore moins efficace s'il n'y a pas de vision commune .

Plutôt que d'une quelconque réforme structurelle - la discussion sur un unique Dicastère Vatican des médias a occupé les 20 dernières années - les communications du Vatican devraient probablement se concentrer sur une conversion de contenu, restaurant la centralité de l'Evangile. En fait, l'Evangile est le vrai absent dans toutes les discussions sur la communication du Vatican.

En réalité, le débat actuel est aujourd'hui revenu à ce qu'il était il y a 30 ans. Le débat sur l'herméneutique du Concile Vatican II a été restauré, et seuls quelques-uns (toujours de la même orientation théologique) revendiquent leur droit de parler de théologie, réduisant toutes les autres opinions au silence en les étiquetant comme «conservateur» ou «dépassés» . Lorsque le chroniqueur du New York Times Ross Douthat a essayé d'entrer dans le débat dans une perspective complètement laïque, il a été soumis à de pesantes attaques (cf. www.nytimes.com, traduction benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/chasse-aux-sorcieres-dans-leglise-misericordieuse). Douthat a également souligné la crise de contenu du pontificat de François, à travers une comparaison provocatrice avec Donald Trump (www.nytimes.com/2016/02/21/opinion/sunday/clash-of-the-populists.

Sans aucun doute, cette crise de contenu nécessite une nouvelle forme de communication. Le pontificat de François est, encore une fois, suspendu entre l'Evangile et les spin doctors. La sortie prochaine de l'exhortation apostolique post-synodale établira la direction que le pape a prise.