Une papauté élargie?


Deux réactions inédites de la blogosphère anglophone à l'exposé de Mgr Gänswein le 21 mai lors de la présentation du livre "Oltre la crisi della chiesa" (30/5/2016)



28 avril 2009: à l'Aquilà, dans la Basilique Santa Maria de Collemaggio dont le toit avait été emporté par le séisme qui venait de frapper les Abruzes, dans un geste dont personne ne pouvait deviner le caractère prémonitoire, Benoît déposait le pallium qu'il portait le jour de l'inauguration de son Pontificat sur la relique de saint Célestin.

Les deux auteurs abordent la question de fond du devenir de la papauté (et, en filigranne, des intentions présumées de Benoît XVI [??]), selon des perspectives différentes, dont je leur laisse la responsabilité. Mais les deux disent des choses intéressantes, et vraisemblables, en tout cas propres à alimenter la réflexion.

La première réaction se compose de deux articles écrits à un jour d'intervalle par le Père Ray Blake, chez qui je ne soupçonnais pas un esprit aussi "libéral" (le second article doit se lire en gardant à l'esprit que c'est un anglais qui écrit, et qu'il ne dément pas la réputation d'humour pince-sans-rire attachée à ses compatriotes - ou à ce qu'il en reste).

Papauté élargie


25 mai 2016
Fr Ray Blake
marymagdalen.blogspot.fr

* * *

Les récentes remarques de Mgr Georg Gänswein sont toujours intéressantes, son récent exposé est d'un intérêt particulier. Gänswein, comme son maître le pape Benoît XVI, est une créature subtile et ne doit pas être sous-estimé. J'ai toujours admiré Ratzinger, spécialement quand sa pensée s'est développée au fil des ans.
Il est peu probable que Gänswein parle sans que Ratzinger ne sache ce qu'il va dire (??).

Ce que dit Gänswein au sujet des deux groupes rivaux avant le dernier Conclave est captivant, tout comme est captivant ce qu'il nous laisse spéculer sur l'élection de François, à la lumière de ces factions rivales.
Certains se sont interrogés sur ce que l'archevêque entendait par «papauté élargie».
Je pense que nous devons commencer par l'encyclique du pape Jean Paul II en 1988 'Et in Unum Sint' - un document qui semble autant l'oeuvre du cardinal-préfet Ratzinger que du pape Wojtyla. Il reconnaît le rôle du pape aujourd'hui. Il va au-delà de l'enseignement de Vatican I, Pastor Aeternus, où le pape est considéré comme le locus de l'Eglise authentique, et le juge, ou plutôt le définisseur ultime, du point où le christianisme authentique se termine et l'hérésie commence. C'est un rôle correspondant à un pape qui ne voyage pas, avec un nombre limité de collaborateurs, dont la préoccupation était essentiellement doctrinale, avec un Secrétairerie d'Etat, dont le rôle consistait essentiellement dans les relations avec des princes catholiques, et quelques autres Cardinaux avec un staff réduit, qui occupaient des charges spécifiques.

Les communications de masse ont changé le rôle de la papauté, le Pape n'est plus aujourd'hui le prisonnier du Vatican. Nous risquons davantage d'être familiers avec les images, les actions et les paroles de l'évêque de Rome qu'avec nos propres évêques. Le pape n'est plus «juste pour les catholiques», il a un autre rôle, prééminent, non seulement parmi les chrétiens, mais aussi parmi les «chefs religieux». En tant que «leader mondial» , il a une autorité morale qui dépasse celle de tout autre dirigeant. Il est aussi le chef de l'une des plus grandes et plus actives ONG au monde.

Je pense que Benoît XVI a toujours voulu réformer la papauté, et ce n'est pas sans lien avec sa tentative de réformer la liturgie. Ses écrits reconnaissent le déracinement à la fois en terme de savoir et de tradition des réformes liturgiques de Paul VI, qui plutôt qu'un mouvement populaire ont été quelque chose d'imposé d'en-haut par l'autorité papale. Vatican II, je suis sûr qu'il s'en réjouit, mais il a parlé et écrit sur le Concile des documents et le Concile des médias. Il a parlé bien sûr de deux herméneutiques, de rupture et de continuité. Plus particulièrement en ce qui concerne la liturgie, la papauté elle-même a été la source de l'herméneutique de la rupture, une rupture dans la liturgie serait pour Benoît une rupture dans l'ensemble du tissu de l'Eglise.

Mon sentiment personnel est que l'archevêque a raison [quand il dit] que ni Vatileaks ni des conspirations n'ont été responsable de la démission de Benoît: sa dévotion au pape Célestin, le fait symbolique qu'il ait laissé son pallium sur son tombeau dès Avril 2009, est avec le recul un signe évident de son intention de démissionner. Je suis sûr que sa fatigue accrue et ses difficultés pour marcher hâtèrent quelque peu sa décision.

Sa démission a changé la Papauté, plus que tout autre événement n'aurait pu le faire. Il l'a 'dé-mythifiée'. Il a supprimé le sentiment que le Pape est en quelque sorte une personne sacrée, plutôt qu'un être humain, brillant ou non, remplissant un rôle sacré. Il me paraît très peu probable que le pape Benoît ait été aveugle et sourd au "groupe de Saint-Gall" qui comprenait «les cardinaux Danneels, Martini, Silvestrini ou Murphy O'Connor»; ce qui est peut-être intéressant, c'est que l'archevêque les ait mentionnés par leur nom; et il est peu probable qu'il ignorait qui était leur candidat préféré et où il mènerait la papauté.

Alors, que devons-nous faire avec l'idée d'une papauté «élargie»?
Je ne peux m'empêcher trouver significatif, à la lumière d'Amoris Laetitia et de la confusion qu'elle a créée, le fait que Mgr Gänswein ait souligné que le pape émérite est encore en vie et en mesure de commenter, bien que, par son choix, à travers l'archevêque. La «papauté élargie» se réfère sans doute au fait que tant que Benoît est vivant François doit prendre son héritage en compte. Dans le passé , une fois que le pape était en sécurité dans sa tombe, son successeur avait la liberté de faire usage de l'héritage de son prédécesseur comme il le souhaitait, mais ceci n'est pas une option pour François. Benoît a encore la capacité de crier depuis son cloître, comme nous l'avons vu récemment au sujet d'une présentation inexacte de ses propos sur Fatima.

26 mai 2016
Fr Ray Blake
marymagdalen.blogspot.fr

* * *

Je suis sûr que Mgr Gänswein a utilisé le terme «papauté élargie» pour signifier tout simplement un changement ou un développement de la papauté: de facto la Papauté a changé depuis le premier concile du Vatican. De facto la démission du pape Benoît XVI a été le principal changement. Gänswein décrit Benoît comme 'homo historicus', ce qu'il veut dire exactement, je ne sais pas , mais Benoît a la clarté de vision pour voir ce qui est susceptible de se produire à l'avenir.

Je suis sûr qu'il s'attendait à ce que le candidat de la mafia de St-Gall soit élu. Je suis sûr qu'il a compris la confusion inévitable qui en résulterait. Je suis sûr qu'il voit au-delà de son pontificat, le suivant et encore au-delà. L'un des principes qui semble être à la base de la pensée de Benoît, c'est que la vérité triomphera, parce que le Christ est la vérité.

Benoît XVI a introduit l'idée d'un pape qui ne meurt pas en fonction, lui-même promettant obéissance s'est retiré dans un monastère du Vatican et a rarement rompu son silence. La question importante n'est pas ce que Benoît va faire, mais ce que ferait Françoiss'il décidait de se retirer ou y était forcé. Vraisemblablement, il ne se retirerait pas dans une vie de prière , mais deviendrait probablement curé de quelque paroisse pauvre d'Amérique du Sud; resterait-il silencieux? C'est hautement improbable, et probablement impossible pour lui.
Avec un ex-pape moulin à paroles, donnant des interviews quotidiennes à Scalfari ou à quelque autre journaliste de son choix, ou tout simplement prenant le téléphone pour partager ses idées avec n'importe qui lui passant par la tête - eh bien cela donne une indication très intéressant sur une «papauté élargie». Non seulement les cardinaux à l'avenir éliront un pape, mais aussi quelqu'un qui pourrait en quelques années devenir un ex-pape.

Jean-Paul II a fixé des règles strictes sur l'interdiction de lobbying entre les cardinaux, la nature humaine suggère que c'est déraisonnable. Je suis sûr que là où deux ou trois cardinaux sont réunis, et ont ôté leurs chaussures (!) , ils commencent à parler de qui est susceptible d'être le prochain pape, et qui est susceptible de voter pour qui. Pour le bien de l'Eglise, il serait irresponsable de ne pas le faire.
De la même façon , je suis sûr que toute conversation entre cardinaux est un peu comme un entretien d'embauche - avec la question sous-jacente de savoir si cet homme ferait un prochain pape convenable.

Je pense qu'une chose qui pourrait bien se développer, c'est un pontificat à durée déterminée, en attendant que le pape prenne sa retraite après cinq ou six ans, ou quand il aura atteint 80 ou 85 ans, et qu'il devienne un ex-Pape. Serait-il possible qu'à deux ou trois papes émérites, ils développent un rôle particulier, comme conseillers du pape régnant? J'aime assez l'idée d'une maison de retraite pour Papes, avec des papes en différents états de décrépitude (!!) désireux de conseiller leur successeur, tandis qu'ils manigancent et, "skypent" avec des amis dans les médias, certains donnant peut-être une interview télévisée occasionnelle ou "faisant le buzz" sur le net.

La seconde réaction, qui aborde plus largement les réactions à Amoris Laetitia, notamment celles de "leaders de l'opposition", est signée "Père Pio Pace", nom de plume et pseudonyme (à clés) "d'un ecclésiastique très sage, très bien informé et très influent" devenu une signature récurrente de Rorate Caeli.

"Pape Contemplatif versus Pape actif"


Père Pio Pace
27 mai 2016
rorate-caeli.blogspot.com
Ma traduction


[Le P. Pio Pace nous révèle ici la surprenante opinion qui circule à Rome autour de la révélation explosive par Mgr Georg Gänswein sur la façon dont lui (et sans doute Benoît XVI) voit le double statut actuel de la papauté.]

* * *

Il ne fait aucun doute que le document qui sera considéré comme le plus important du Pontificat de François sera l'exhortation Amoris Laetitia, tout comme Summorum Pontificum est déjà celui de Benoît XVI. Personne ne croit vraiment à une réforme conséquente de la Curie romaine, au sujet de laquelle François n'a jamais dédié le début d'un coup d'oeil ... et à laquelle il ne s'intéresse pas du tout. D'autre part, Amoris Laetitia, qui ouvre le Magistère de l'Église à des interprétations libérales, représente vraiment l'essence de son projet: une papauté légitimée par les médias, devenue un "fournisseur" de bons sentiments pour le monde moderne.

Et c'est vraiment le chef-d'œuvre du pontificat, préparé depuis très longtemps: la manipulation du Synode par l'équipe Baldisseri-Forte-Spadaro-Fabene, qui avait écrit l'exhortation avant même le Synode 2015, a souvent été évoquée à Rome. Eh bien, Sandro Magister vient de donner la preuve que les passages clés d'Amoris Laetitia ont été copiés-collés à partir d'articles publiés il y a dix ans par l'archevêque Victor Manuel "Tucho" Fernández, recteur de l'Université catholique d'Argentine, ami proche du pape et sa principale référence sur les questions morales.

Nous commençons seulement à mesurer l'extension du tremblement de terre causé par Amoris Laetitia, qui, en fait, relativise l'ensemble du Magistère Moral, une partie essentielle - pour ne pas dire la seule partie restante - du Magistère pontifical après Vatican II. A partir de maintenant, toute position morale sans équivoque sera impossible (ainsi que, de toute évidence, toute condamnation).

L'opposition, en dépit de ses tentatives de résistance au cours des deux dernières assemblées du Synode des Évêques, ne parvient pas vraiment à trouver sa position, à trouver une réponse appropriée.
C'est dans cette ambiance morose qu'elle a écouté l'étrange discours de Mgr Georg Gänswein, préfet de la Maison pontificale, et secrétaire privé du pape émérite.

C'était le 20 mai, à l'Université Grégorienne, pour la présentation du livre de don Roberto Regoli, "Oltre la crisi della Chiesa. Il pontificato di Benedetto XVI". Le pannel dans la salle n'était pas exactement ratzingerien: Paolo Rodari, un ancien ratzingerien devenu "libéral" lors de son passage à La Repubblica, le Père Nuno da Silva Gonçalvez, doyen de la Faculté d'Histoire, Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant'Egidio. La salle, par ailleurs, était remplie de gens prêts à recevoir les mots qui permettraient de recueillir ceux du Grand Silencieux, le pape Ratzinger.

Les participants ne furent pas déçus. Le message envoyé par le monastère intra muros Vaticani était constitué de deux points:

1. Une clé d'interprétation du Conclave de 2005 (et, dans un sens opposé, du Conclave de 2013): après une lutte dramatique entre le "Parti du Sel de la Terre", autour des cardinaux López Trujillo, Ruini, Herranz, Rouco Varela, Medina, et celui du "Groupe de St-Gall", autour de cardinaux Danneels, Martini, Silvestrini, et Murphy-O'Connor, le cardinal Joseph Ratzinger, qui venait de prononcer un discours solennel contre la "dictature du relativisme" a été élu . Pas besoin d'être un grand analyste pour comprendre ce qui s'est passé en 2013: cette année-là, dans un sens opposé, les hérauts de la "dictature du relativisme" ont été écoutés par le Conclave.

2. Mais le deuxième point était encore plus audacieux: il portait sur l'"élargissement du ministère pétrinien" à deux papes ! Suite à l'élection du 13 Mars 2013, «il n'y a plus deux papes, mais un seul ministère qui est de facto élargi, avec un membre actif et un membre contemplatif». Nous n'avons rien entendu d'aussi fort depuis l'annonce de la démission de Benoît XVI. Gänswein a expliqué: «C'est pour cette raison que Benoît XVI n'a renoncé ni à son nom ni à la soutane blanche. C'est pour cette raison que la manière correcte pour s'adresser à lui aujourd'hui reste "Sainteté". Et c'est pour cette raison qu'il ne s'est pas retiré dans un monastère isolé, mais à l' intérieur du Vatican».

Cela signifie que nous avons «une nouvelle phase dans l'histoire de la papauté». Tout comme il existe deux formes liturgiques en un seul Rite Romain, il y aurait deux membres pontificaux au sein d'une position papale unique. Chaque personne peut choisir la forme liturgique ou le membre pontifical qui convient à sa propre sensibilité...

Théologiquement, cela n'a aucun sens! Force est donc de trouver un sens «politique». Il pourrait être ceci: dans une Rome où chacun peut dire, aujourd'hui, presque tout ce qu'il a envie de dire - compte tenu, en tout cas, qu'il n'y a pas d'ambition prête à contrer la tête de l'establishment Bergoglien- Georg Gänswein, qui reçoit tous les jours les pleurs et les lamentations des ratzingeriens, construit, à l'aide de Regali, la statue de son pape comme une statue accusatrice de "contre-Commandeur", comme un "pape contemplatif". Et ce faisant, il affaiblit encore plus la légitimité du "pape actif", dans l'esprit de ses amis nostalgiques.

Sont-ils simplement nostalgique? C'est toute la question. En réalité, ils sont abandonnés. Ils sont dans l'attente d'une position symbolique forte, que la situation actuelle exige. Trois cardinaux sont en mesure de la donner: Müller, Sarah, et Burke.

Le Cardinal Müller s'est positionné, au nom de sa fonction en tant que préfet de la foi (qui est devenu presque honorifique: Amoris Laetitia, si nous la lisons bien, c'est-à-dire avec les lentilles du Magistère précédent, ne dit rien d' autre que ce magistère précédent). Une stratégie poignante, mais sans aucun effet. Le Cardinal Sarah reste discret. Une bonne stratégie ... si le chemin futur est débloqué sous peu. Ce dont personne ne peut être sûr.
Quant au cardinal Burke, il a d'abord déçu ses partisans. Je veux dire, ses disciples, parce qu'ayant été l'âme des deux livres qui avaient rassemblé les cardinaux s'étant opposés aux changements sur la doctrine sur le mariage, en 2014 et en 2015, il apparaissait alors, nolens volens, en tant que leader. Il a, toutefois, choisi cette stratégie: affirmer, sans faire de commentaires sur le fond de la question, que de nombreux passages d'Amoris Laetitia ne font pas partie du Magistère. Cela a semblé une réponse faible, mais elle représente aussi un signe avant-coureur explosif pour l'avenir.

En réalité, les trois cardinaux, les trois mousquetaires ennemis de la «dictature du relativisme» sont quatre: le quatrième est Carlo Caffarra, archevêque émérite de Bologne, l'un des plus grands spécialistes del'oeuvre morale de Pie XII. En fait, pour lui, c'est le pape Pacelli qui est le "pape contemplatif", le pape de référence qui est toujours présent - ce qui n'est pas faux, ou du moins est en train de devenir vrai ... (???)