Vers quel Pontificat?


La réflexion hebdomadaire d'Andrea Gagliarducci (7/7/2016)

 
Le soupçon final est que nous assistons actuellement à une longue "fin de pontificat". Cela ne veut pas dire que ce pontificat touche bientôt à sa fin. Cela signifie que les grands thèmes de François seront répétés avec insistance, nourrissant sa popularité avec des rencontres, mais sans racines théologiques qui puissent produire des changements réels, concrets et à long terme.

Mettant une fois de plus de côté la persistance à présenter François comme la victime d'un Vatican de l'ombre qui trame derrière son dos pour faire avancer ce qu'il appelle "l'agenda de la miséricorde", il y a des observations très intéressantes. En particlier, Gagliarducci confirme les propos de Georg Gänswein dans l'interview avec Paul Badde, à savoir que les réformes attendues, et annoncées à grand fracas, n'ont abouti qu'à des résultats modestes, et que l'on risque d'assister à ce qui a déjà commencé: une longue "fin de Pontificat", où, sans assise théologique solide, le Pape se contente de multiplier les gestes sans retombées concrètes, et de répéter ce qui a assis sa popularité.

François: Vers quel Pontificat?


Andrea Gagliarducci
4 juillet 2016
www.mondayvatican.com/
Ma traduction

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Avec son bref discours sans notes, lors des célébrations pour le 65e anniversaire de son sacerdoce , Benoît XVI a clarifié que François est le seul pape. Toutefois, le trouble généré par la notion de «papauté élargie» composée d'«un membre actif et d'un membre contemplatif» , révèle une certaine nervosité autour de la question, comme si les adversaires de François organisaient une sorte de résistance centrée sur le pape émérite. La notion d'un parti qui est prêt à bloquer la tentative de réforme de François est une sorte de leitmotiv dans le récit de ce pontificat .

Dans son discours Benoît XVI a remercié François, dit qu'il se sentait protégé par sa bonté, et l'a invité à aller de l'avant sur le chemin de la miséricorde - c'était Benoît XVI qui avait prononcé la phrase «le nom de Dieu est miséricorde», que François a citée et qui est devenu le titre du livre-interview qu'il a donné au vaticaniste Andrea Tornielli. Pour sa part, François a remercié Benoît, montrant dans son discours qu'il se sent proche du pape émérite et faisant aussi allusion à de fréquentes rencontres. François a même répété que, pour lui, Benoît est le grand-père sage auquel on demande conseil.

Certes, l'idée d'une papauté élargie frappe "in vivo", pas seulement parce que c'est l'archevêque Georg Gänswein qui en a parlé le premier - et l'archevêque Gänswein est à la fois Préfet de la Maison Pontificale et Secrétaire personnel de Benoît XVI. Prise hors-contexte, et au-delà ce que Mgr Gänswein voulait vraiment dire, la notion pourrait être également utilisée pour réduire au minimum l'autorité de François.

On a ainsi perçu l'émergence d'un groupe de loyalistes au pape Benoît, prêts à s'opposer à François avec toute leur force et tous leurs moyens. Une discussion s'en est suivi. Comme chaque discussion théologique inévitablement devient "pro vs contra" François (peu importe l'objet du débat), la même chose est arrivée avec l'idée d'une papauté élargie.

Les "loyalistes" de Benoît XVI sont-ils vraiment prêts à s'opposer à François? Un coup d'oeil raisonnable sur les faits prouve le contraire, et nous pouvons fournir au moins trois exemples.

Mgr Georg Gänswein - qui a été dans la ligne de mire, y compris pendant le pontificat de Benoît XVI - ne néglige pas de souligner dans chaque interview ou déclaration qu'il fait la continuité entre les pontificats de Benoît XVI et du pape François , en insistant sur les aspects du pontificat actuel qu'il estime être les plus positifs. Il n'y a pas d'indices d'infidélité dans ses déclarations publiques. En outre, même dans sa vie personnelle, il accepte de nombreuses invitations à participer à des célébrations locales et des fêtes religieuses, suivant ainsi le chemin pastoral indiqué par François.

Le cardinal Gerhard Ludwig Müller, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a maintenu un point de vue profondément théologique dans ses déclarations publiques. Il ne parle jamais publiquement contre ce pontificat, mais précise simplement des aspects doctrinaux. Au-delà, avec une certaine rigueur allemande, le cardinal Müller est le seul qui, dans la Curie romaine, ait construit un pont "théorique" entre la mentalité latino-américaine et la théologie catholique romaine. Müller a clairement établi des distances entre le marxisme et la théologie de la libération. C'est vrai, dans de nombreux cas, le cardinal Müller est du côté opposé à ces courants théologiques développés autour de François et qui exploitent le pape en l'utilisant comme un bouclier pour introduire un "agenda de la miséricorde" dépourvu de fondements théologiques. Mais l'opposition de Müller à ces courants ne fait pas de lui un ennemi du pape.

Le cardinal Tarcisio Bertone, Secrétaire d'Etat du Pape Benoît XVI, a toujours été dans la ligne de mire, y compris avec des accusations spécieuses. Mais il n'a jamais critiqué publiquement François, et il amême oeuvré comme une sorte de collaborateur caché du Pape. Par exemple, l'expérience de Bertone avec Cuba l'a amené à être un facilitateur de la reprise des relations américano-cubaines, considéré comme le premier succès diplomatique de François.

Certes, tous ces gens sont fidèles à Benoît XVI; ils partagent son approche, ils défendent le travail accompli au cours de son pontificat. Ils peuvent être en désaccord avec le pape François, mais rien de ce qu'ils disent ou font ne peut être considéré comme de l'opposition ou de la déloyauté envers le pape.

Très probablement, les ennemis du pape doivent être recherchés ailleurs.

L'un des enjeux majeurs du jour est le récit généré autour de ce pontificat. Il décrit ce pontificat comme révolutionnaire, et il qualifie chaque mouvement de François comme une grande nouveauté, alors qu'il en occulte certains aspects, tels que les fortes prises de position (??) du pape contre l'idéologie du gender, en faveur de la famille naturelle et même - à propos de réformes - son soutien général d'une Église hiérarchique. Bien sûr, aucune de ces questions ne fait partie de l'ordre du jour tel qu'il est conçu par le récit officiel.

Dans une certaine mesure, on serait raison de penser que pointer du doigt l'ancien establishment est une tactique assez utile pour cacher ce que le nouvel establishment est en train de faire.

Sous François, on n'a pas assisté à un spoils system de grande ampleur. Tandis que seuls quelques postes curiaux ont changé, les diplomates du Vatican ont acquis des positions de pouvoir et d'influence comme ce n'était jamais arrivé sous le pape Benoît. Ce n'est pas le choix du cardinal Pietro Parolin, un diplomate de longue expérience, comme secrétaire d'État, qui prouve l'influence des diplomates, mais c'est quand les diplomates de longue date sont choisis pour des postes non diplomatiques, comme, par exemple, le cardinal Beniamino Stella comme Préfet de la Congrégation pour le Clergé et le cardinal Lorenzo Baldisseri en tant que Secrétaire Général du Synode des Évêques.

Certaines observateurs disent que le cardinal Stella a joué un rôle très important dans la réalisation de la «révolution de la miséricorde» de François, dans les rangs du Vatican. Le cardinal Stella aurait été un point de référence lors des réunions de pré Conclave-2013, quand il était encore archevêque et président de l'Académie Ecclésiastique (le centre de formation pour les diplomates du Vatican). Il aurait travaillé comme un "entremetteur", comme un point de rencontre ou une boîte aux lettres pour certains des cardinaux qui allaient prendre part au Conclave. Plus tard, comme préfet de la Congrégation pour le Clergé, le cardinal Stella a opéré quelques changements dans le modus operandi. Par exemple, on dit que les comités d'évaluation (évaluation boards) des prêtres ou séminaristes doivent désormais fonder leurs estimations sur l'exhortation apostolique de François Evangelii Gaudium, plutôt que sur le Code de droit canonique.

Ces détails ne doivent pas être sous-estimés. L'impact de la diplomatie dans le gouvernement actuel de l'Église peut être perçu dans la nouvelle doctrine concernant les relations du Saint-Siège avec les États, qui s'inspire de la "culture de la rencontre" développée par François. Dans cette rubrique, on trouve le temps pour les négociations et le dialogue plutôt que pour l' affirmation de la vérité. Et cette nouvelle logique est à l' œuvre pour les questions impliquant la diplomatie - par exemple, le Saint-Siège a fait sien le vocabulaire des Nations Unies , quoique avec certaines réserves, sans être prêts à faire usage de son propre vocabulaire. Par ailleurs, il n'est pas surprenant que personne, au Saint-Siège, n'ait défendu le cardinal Antonio Canizares Llovera des accusations d'homophobie en Espagne, ou n'ait protesté que les cours de religion dans les écoles belges aient été annulés.

Cette approche basée sur la culture de la rencontre pourrait toutefois porter des fruits. Il y a la possibilité d'un voyage du pape en Chine à l'horizon, soutenu par le fait que la "nonciature en Chine" à Taipei est toujours vacante après que son plus haut représentant ait été nommé nonce en Turquie; les relations œcuméniques sont développées à plusieurs niveaux, avec le soutien donné au Concile pan-orthodoxe, les rencontres avec le patriarche Kirill , et l'approche oecuménique renouvelé à l'Eglise apostolique arménienne; et le Saint-Siège est impliqué dans diverses médiations; ce n'est pas par hasard que le cardinal Parolin a envisagé l'ouverture d'un "Office de médiation papale" , peut-être la seule, parmi les nombreuses propositions de réforme curile qui soit enracinée dans une véritable tradition papale.

D'un autre côté, il convient de noter que le débat sur les grandes questions est étouffé par le spectre d'une révolution se terminant en queue de poisson, réduite à un simple changement de structures . Après les deux synodes sur la famille, il semble que personne ne veuille faire avancer de discussion particulière, peut-être parce que les périphéries de l'Église ont montré une certaine opiniâtreté dans la défense de la doctrine établie, bloquant ainsi les objectifs de ceux qui travaillaient sur un agenda dans le dos de François. Le sujet du prochain synode est encore en discussion; la «synodalité» aurait été rejetée par quelques prélats de haut rang.

Un motif pour le recul est que même les lobbies [qui ont oeuvré] derrière les synodes peuvent agir dans le but d'infléchir la définition des positions de l'Eglise et le contenu de ses documents. C'est arrivé au cours du Synode de 2014, comme on l'a vu avec le rapport controversé de mi-parcours. C'est arrivé avec le document final du Synode de 2015, dans la mesure où il ne reflète pas la totalité des positions des membres du Synode. C'est même arrivé avec l'Exhortation apostolique Amoris Laetitia qui, en fait, a juste mis toutes les questions en jeu sur la table et tout laissé ouvert comme question de conscience, plutôt que de donner des indications claires.

Un autre motif est que François lui-même n'apprécie pas totalement la synodalité. D'un côté, il a renforcé l'importance du Synode des Évêques, a établi de nombreuses commissions et a nommé un Conseil des cardinaux pour le conseiller sur le gouvernement de l'Eglise. Mais en même temps, il aime prendre décision seul après avoir écouté toutes les opinions.

Cette indépendance de François est le principal obstacle que les promoteurs de l'agenda de la miséricorde ont découvert dans leur projet de changer l'Eglise, un projet qui est débattu en termes séculiers plutôt que divins. Sur cette base de la prémisse du dialogue avec le monde séculier, l'Eglise, dans cette perspective, n'est plus censée proposer un modèle de vie, mais est censé se conformer à un modèle donné par la société. C'est une Eglise plus "mondaine" - exactement le contraire du «Parti du sel de la Terre» qui a fait campagne pour l'élection du pape Benoît XVI en 2005.

Ce modèle est "media friendly", raison pour laquelle chaque étape dans une direction "mondaine" est loué par le monde séculier, créant ainsi une image médiatique de l'Eglise qui est pourtant loin de la réalité. Le risque final est celui d'un effet Humanae Vitae, la célèbre encyclique du bienheureux Paul VI ayant été précédée par des attentes similaires poursuivies à travers les médias .

Il est alors facile de focaliser l'attention des médias sur des soupçons autour de l'"establishment" de Benoît XVI afin de minimiser le fait que la révolution de François ne se déroule pas comme certains l'avaient espéré. Après trois ans de son pontificat, les réformes de François avancent lentement. Revendications fantaisiste que la Curie est entrain d'être fondamentalement changée, déclarations sur les possibilités de réformes dans la doctrine, et même de nouvelles façons d'exercer le ministère pétrinien, tout cela était attendu. Maintenant, personne ne les attend plus.

Au cours du voyage du pape en Arménie, du 24 au 26 Juin, l'Eglise apostolique arménienne a montré une grande satisfaction pour le Pape et ses efforts en faveur d'un oecuménisme de sang, de rencontres et de prières. Mais rien de plus. Interrogé pour savoir si le pape allait établir quelque chose comme un Conseil (Concile) où le Pape et les Patriarches seraient sur un pied d'égalité, rendant ainsi concrète la synodalité que l'Eglise apostolique arménienne recherche, l'Archevêque Kahjog Barsamian de l'Eglise apostolique arménienne des USA a dit clairement que rien de tel n'est à l'horizon.

Cela signifie que les débats théologiques ne produiront pas de tremblements, puisque pour le Pape François, les rencontres et les exemples sont plus importants que la théologie. On peut donc facilement prévoir qu'il n'y aura pas de séismes théologiques.

Le soupçon final est que nous assistons actuellement à une longue "fin de pontificat". Cela ne veut pas dire que ce pontificat touche bientôt à sa fin. Cela signifie que les grands thèmes de François seront répétés avec insistance, nourrissant sa popularité avec des rencontres, mais sans racines théologiques qui puissent produire des changements réels, concrets et à long terme. Certains observateurs du Vatican notent que cet aboutissement peut être perçu par la façon dont les derniers motu proprios ont été écrits, et du fait que tant les nouveaux dicastères que ceux en attente d'être établis ne sont pas encore inclus dans une constitution apostolique qui pourrait leur donner un cadre juridique pour opérer dans la Curie romaine.

Au cours de ce mois de vacances, tout en tenant des réunions privées, en lisant, en étudiant des dossiers et en préparantde les Journées Mondiales de la Jeunesse en Pologne, François sera appelé à réfléchir sur la façon de donner une forme définitive à son pontificat. Sera-t-il juste un pontificat extraordinaire de personnes, mais encore de transition, sans "clous" théologiques, seulement un changement dans le profil des évêques? Ou bien sera-t-il un pontificat qui produit quelque chose de profondément nouveau en termes de théologie, ou tout au moins en termes de gouvernement de l'Église?