La clé musicale du pontificat de Benoît XVI (II)



Deuxième partie de la traduction de l'exposé du cardinal Koch, le 26 avril, lors la présentation des Actes du Symposium pour le dixième anniversaire de Deus Caritas Est. (3/5/2016)

>>> La clé musicale du pontificat de Benoît XVI (I)
>>> Deus caritas est: w2.vatican.va





Source de l'image: www.fmrarte.it/opere-uniche/deus-caritas-est/

Deus Caritas Est
Clé musicale de la pensée théologique
et du Pontificat de Benoît XVI
(II)


Cardinal Kurt Koch
26 avril 2016.
www.fondazioneratzinger.va
Ma traduction

2. Le pape Benoît comme exégète
du mystère chrétien central
(suite)

c) LA PREUVE CONCRÈTE: L'AMOUR COMME ACTE DE L'ÉGLISE


La Première Epître de Jean, tire de l'expérience d'être aimés par Dieu et donc rachetés, une conséquence d'une importance fondamentale pour l'existence chrétienne: «si Dieu nous a aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres» (1 Jn 4,11). Alors qu'au début, Jean s'adresse aux destinataires de sa lettre comme bénéficiaires de l'amour de Dieu qui nous précède et nous dépasse toujours, amplement, il les exhorte ensuite à donner une réponse concrète et crédible à l'amour qu'ils ont reçu de Dieu et à devenir eux-mêmes opérateurs d'amour. Un tel amour représente certainement un grand défi, un défi ultérieurement radicalisé par Jean quand il utilise comme sa mesure et son critère rien de moins que l'amour de Dieu lui-même: puisque nous reconnaissons l'amour de Dieu par le fait que Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, alors l'amour chrétien ne pourra avoir d'autre mesure que l'amour infini de Jésus-Christ.

Cette perspective nous permet de passer de la première à la deuxième partie de l'encyclique «Deus Caritas Est».
Dans une première approche, on pourrait avoir l'impression qu'il s'agit de deux parties complètement différentes, unies seulement par un lien ténu: une première partie théorique, qui traite de la nature théologique de l'amour, et une seconde partie pratique, qui met l'accent sur l'"agir" de l'amour. Mais le pape Benoît XVI voudrait au contraire souligner l'unité intrinsèque des deux parties. Pour cela, il a placé AVANT la deuxième partie de l'encyclique sur «L'exercice de l'amour par l'Eglise comme "communauté d'amour"» la première partie sur «L'unité de l'amour dans la création et dans l'histoire du salut ».
Puisque le Pape entend mettre en évidence le fondement strictement théo-logique de l'exercice de l'amour de l'Eglise, il commence son encyclique sur l'amour chrétien, comme l'observe avec justesse l'ancien Président du Conseil pontifical Cor Unum, le cardinal Paul Josef Cordes, avec le «coup de timbale de la question de Dieu» (ndt: colpo di timpano, le mot allemand est Paukenschlag, que l'on peut aussi traduire par "coup d'éclat", ou dans le registre musical "coup de timbale".).

Avec [le choix de] cet ordre, Benoît XVI veut montrer qu'à la lumière de l'image chrétienne de Dieu comme amour, l'homme lui-même a été créé pour aimer, et que l’amour pour Dieu et l'amour du prochain constituent le cœur de l’existence chrétienne. Dans la deuxième partie de l'encyclique, Benoît XVI met surtout l'accent sur le fait que l'acte d'amour, entièrement personnel, du chrétien, ne peut jamais être une question purement individuelle de l'individu, mais doit toujours être, dans le fond, aussi un acte de l’Eglise et a donc besoin d'une forme institutionnelle, comme cela se passe dans l'organisation ecclésiale de la Caritas. Puisque cette Caritas n'est pas extrinsèque à la nature de l'Eglise, mais en est partie intégrante, le pape Benoît XVI considère le service d'amour de l'Eglise comme une expression incontournable de sa nature intime et comme un élément constitutif de sa mission, concluant que «pratiquer l'amour pour les veuves et les orphelins, les prisonniers, les malades et les nécessiteux de toutes sortes» appartient à l'essence de l'Eglise autant que le service des Sacrements et l'annonce de l'Évangile: « l'Église ne peut négliger le service de la charité, de même qu'elle ne peut négliger ni les Sacrements ni la Parole» (DCE n.22).

Ici, nous sommes confrontés à une conviction fondamentale qui imprègne toute la pensée théologique et tout le pontificat du pape Benoît XVI. Au centre de sa pensée théologique et de son œuvre, il y a sans aucun doute la liturgie, qu'il considère comme un acte essentiel de l'Eglise au point que, pour lui, l'Église et la liturgie sont identiques: «L'Église est adoration. L'Eglise existe comme liturgie et dans la liturgie».

Mais c'est justement dans l'Eucharistie, qui est le plus grand acte d'adoration de l'Église, que le pape Benoît XVI voit aussi le fondement de l'action sociale des chrétiens et de l'Eglise, dans la mesure où la «mystique du Sacrement» présente un caractère social: «L’union avec le Christ est en même temps union avec tous les autres auxquels il se donne» (DCE n.14). Puisque le service liturgique est la constitution de l'Eglise et que l'Eglise «par son essence, est service liturgique, et donc service aux hommes, service pour changer le monde», Benoît XVI voit le fondement de l'action sociale des chrétiens et de l'Eglise dans l'adoration liturgique de Dieu: « ce n'est que dans l'adoration que peut mûrir un accueil profond et véritable. C'est précisément dans cet acte personnel de rencontre avec le Seigneur que mûrit ensuite également la mission sociale qui est contenue dans l'Eucharistie et qui veut briser les barrières non seulement entre le Seigneur et nous, mais également et surtout les barrières qui nous séparent les uns des autres» (vœux à la Curie romaine, 22 décembre 2005).

Etant donné que, dans l'Eucharistie, l'amour pour Dieu et l'amour pour le prochain se fondent, le pape Benoît XVI, dans son second volume sur Jésus de Nazareth, a affirmé de manière très belle: « "Caritas", la préoccupation pour l'autre, n'est pas un deuxième secteur du christianisme à côté du culte, mais elle est enracinée précisément en lui et en fait partie. Dans l'Eucharistie, dans le fait de "rompre le pain", les dimensions horizontales et verticales sont inextricablement liées».

Si nous considérons le fait que d'un côté, le pape Benoît, attribue à la liturgie une primauté évidente dans l'économie de la vie ecclésiale et de l'autre, souligne avec la même détermination le rôle fondamental de la diaconie dans l'Eglise, nous pouvons affirmer que la diaconie et la caritas ne s'étaient encore jamais vu reconnaître par le Magistère une importance aussi explicite et décisive que celle présente dans l'encyclique du pape Benoît XVI. À cet égard, le Métropolite gréco-orthodoxe d'Allemagne, Agoustinos Labardakis, a observé à juste titre que l'encyclique présente «une ecclésiologie de la diaconie, autrement dit de la charité».


d) LA CONCRÉTISATION MISSIONNAIRE: LE TÉMOIGNAGE DE L'AMOUR


Si l'amour ecclésial prend comme mesure l'immense amour de Dieu pour l’homme, alors il porte en lui la nouveauté incomparable de la foi chrétienne que l'Eglise a le devoir d'annoncer. C'est à ce témoignage de l'amour de Dieu que vise la péricope de la Première Lettre de Jean: «Et nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde» (1 Jn 4,14). La mission chrétienne trouve son critère dans l'amour et son fondement dans le déversement abondant de l'amour de Dieu sur le monde. Pour le pape Benoît XVI, le premier et le plus profond fondement de la mission évangélisatrice de l'Eglise, réside dans la mission du Fils envoyé par le Père pour le salut du monde. Si en effet dans les Saintes Ecritures, et en particulier dans l'évangile de Jean, Jésus-Christ a le titre d'«envoyé», cela signifie qu'il est, dans son essence la plus intime, l' «envoyé» et toute son existence consiste dans l'"être" envoyé. Cette mission du Fils envoyé par le Père continue dans l'Eglise comme Corps du Christ, de sorte que l'Église elle-même se révèle comme «envoyée» et comme «mission». Sur cette base, comme l'avait déjà observé le Pape Benoît XVI dans un texte de l'époque du Concile, l'Église doit aller au-delà d'elle-même et elle est toujours envoyée aux hommes: «Elle ne peut jamais se suffire à elle-même, étant donné qu'elle poursuit ce flux de biens divins qui est enraciné dans la mission du Fils, dans ce "débordement" de l'amour de Dieu». Si la mission de l'Eglise est amour qui se donne aux autres, de même que Dieu a donné aux hommes son Fils, et que celui-ci leur a fait don de lui-même, alors la mission ne peut se produire que dans l'amour: «La mission n'est pas une entreprise de conquête, pour incorporer d'autres à soi. La mission est avant tout témoignage de l'amour de Dieu, qui s'est révélé dans le Christ».

Témoigner le Dieu de l'amour constitue la mission de l'Église. De fait, tout le bien qui vient de Dieu, en tant que Bien par excellence, veut être retransmis, étant en soi «diffusivum sui». La tâche missionnaire de l'Eglise ne doit donc pas être entendue avant tout comme une obligation imposée de l'extérieur, mais comme une conséquence intrinsèque de la foi, dans le sens où la foi, de par sa nature, désire partager aussi avec les autres le don qu'elle a reçu de Dieu: « La mission n'est pas quelque chose d'extérieurement ajouté à la foi, mais c'est le dynamisme de la foi elle-même. Celui qui a vu, qui a rencontré Jésus, doit aller chez les amis et doit dire aux amis,"Nous l'avons trouvé, c'est Jésus qui a été crucifié pour nous" » (lectio divina aux séminaristes romains, 12 février 2010 ). Ou bien, comme l' a souligné le pape Benoît XVI lors de sa visite au Centre "Ad gentes" des missionnaires de la Parole divine à Nemi, où, comme jeune théologien à l'époque du Concile, il avait travaillé sur le projet de Décret sur la mission, le dynamisme missionnaire vit seulement «s'il y a la joie de l'Evangile, si nous sommes dans l'expérience du bien qui vient de Dieu et qui doit et veut se communiquer» (9 juillet 2012). C'est seulement de cette façon que le devoir missionnaire de l'Eglise, qui coule de la source de l'amour divin, se déverse dans cet amour auquel le pape Benoît XVI a consacré sa première encyclique.

De la tâche missionnaire de l'Eglise transparaît de manière exemplaire ce qui, pour le pape Benoît XVI, est constitutif, autrement dit le fait que chaque acte de l'Église se nourrit de l'amour de Dieu et se réalise dans l'amour. Cela vaut aussi et surtout pour l'éthique chrétienne, qui, partant de la foi, répond à l'impulsion originelle de l'homme, que personne ne peut nier: c'est-à-dire le désir d'une vie réussie et pleine, donc du bonheur. L'éthique chrétienne est donc «l'enseignement de la bonne vie - le développement, pour ainsi dire, des règles du jeu qui mènent au bonheur». Puisque la foi chrétienne est convaincue que le bonheur de l'homme réside dans l'amour, l'éthique chrétienne est l'enseignement de ce que l'amour est, en profondeur. Et puisque l'éthique chrétienne se développe à partir de la rencontre avec l'amour de Dieu, et est donc une éthique dialogique, l'"agir" chrétien n'est pas simplement une activité humaine, mais la réponse à l'amour de Dieu, est l'"être" impliqué dans la dynamique de cet amour: «Le véritable "agir" moral est pleinement un don et en même temps, il est pleinement notre propre "agir", parce que ce qui est "propre" ne se réalise que dans le don de l'amour et que le don n'enlève aucun pouvoir à l'homme, mais au contraire, le conduit à lui- même.


A suivre...