Les six héritages de Benoît XVI


Une intéressante recension du livre de Roberto Regoli "Oltre la crisi della Chiesa: il pontificato di Benedetto" sur le quotidien italien "Il Sussidiario" (17/7/2016)

Rappelons que c'est lors de la présentation du livre, le 21 mai dernier, que Georg Gänswein a lancé sa fameuse "bombe" sur le ministère pétrinien élargi (dossier: Une nouvelle conception du ministère pétrinien?).


 

«Au-delà de la crise de l'Eglise»: les six héritages de Benoît XVI


Federico Pichetto
www.ilsussidiario.net
11 juillet 2016
Ma traduction

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Il y a quelque chose d'audacieux dans l'entreprise menée par Roberto Regoli dans son "Au-delà de la crise de l'Eglise. Le pontificat de Benoît XVI". L'audace n'est pas tant de vouloir raconter le pontificat de Joseph Ratzinger, que de vouloir le faire en tant qu'historien. Maintenant, il est évident pour tout le monde que les phénomènes historiques ne peuvent être racontés selon le statut épistémologique de leur discipline qu'après leur conclusion et il est également évident pour tout le monde que de facto l'exercice actif du ministère pétrinien de Benoît XVI est effectivement conclu, mais - c'est là qu'est le hic - il est également clair, en particulier dans la conscience du peuple chrétien, qu'un pontificat se termine vraiment avec la mort du Pontife romain, suivie par les novendiales et les prières de toute l'Eglise à l'Esprit Saint "pro eligendo pontefice". Nous, avec Benoît, nous n'avons rien vécu de tout cela, au point que - paradoxalement - nous sommes encore sous le pontificat de Benoît XVI, mais plus dans l'exercice actif du ministère qu'il comporte.
C'est une situation canonique et théologique extrêmement complexe qui n'échappe pas à Regoli et que les récentes célébrations pour les 65 ans de sacerdoce de Joseph Ratzinger ont proposée à nouveau au monde de manière difficilement éludable. La terminologie technique qui décrit tout cela est assez complexe et, rien que pour pouvoir l'approfondir, cela vaudrait la peine de lire le livre de Regoli.

Mais la question est plus large. Entre la conclusion mystérieuse et paradoxale du ministère pétrinien de Benoît et son début, Regoli identifie six points de réflexion qui aujourd'hui déjà, se posent à l'attention de l'historien, non pas comme de simples connotations du pontificat, mais comme six "lignes de réforme" bien loin d'être destinées à être archivées. Pour utiliser une expression chère à celui auquel revient aujourd'hui l'exercice actif du ministère pétrinien - et qui avec raison doit être appelé à tous égards 'Pape' - Joseph Ratzinger a entamé six processus qui sont comme le dernier héritage d'une saison de l'Eglise, commencée avec Paul VI, remis à une autre saison que la «papauté argentine» a commencée.

La première ligne de réforme concerne la Curie romaine. Avec Benoît beaucoup a changé et beaucoup a été purifié par rapport aux années impétueuses et énergiques du "gouvernement polonais". Benoît XVI a tracé de nombreuses trajectoires de discussion qui toutefois ont rencontré, dans la personnalité énigmatique du cardinal Bertone, résistances et réticences. Et pourtant, c'est Benoît qui appela Bertone dans le Palazzo en 2006, mais cela n'a jamais suffi au peuple chrétien pour identifier entre les deux cette affinité idéale qu'un pontificat théologique et réformateur aurait dû présager.

Dans ce sens, la ligne magistérielle, deuxième des six lignes de propositions de réforme proposées par Regoli, entreprise en solitaire par le pape bavarois, est certainement la plus lumineuse. De la liturgie à la dogmatique, de la vie religieuse à l'encyclique sociale, Benoît s'est mu dans l'optique d'une réconciliation avec le passé qui ouvrirait la théologie de l'Église à une réflexion moins "gascone" et moins superficielle sur son avenir.

Le très contesté motu proprio "Summorum Pontificum" sur la liturgie lui-même restitue sa dignité à ce qu'une certaine fureur iconoclaste post-conciliaire semblait vouloir abolir, à savoir la tradition liturgique de l'Église de Pie V opportunément intégrée dans la pluralité rituelle promue par le Concile Vatican II de Jean XXIII et de Paul VI.
Si cela ne suffisait pas, la troisième ligne de réforme parle d'un profond renouveau de la discipline ecclésiale, en particulier suite à l'explosion du scandale des abus sexuels au sein du clergé et de l'Eglise. Benoît essaie de restituer de la rigueur à la vie ecclésiastique et le fait de manière à attirer - quatrième ligne directrice de réforme - de larges franges du christianisme hétérodoxe dans le sein de la sainte Eglise romaine. Ce ne sont pas tant les disciples de Mgr Lefebvre qui resteront comme icônes de cette papauté œcuménique, qu'un noyau significatif de l'anglicanisme qui - sous le pontificat du pape théologien - a fait son retour dans l'enclos de Pierre.
Des conséquences immédiates de ces «tournants» s'enregistrent dans les prises de position du monde laïc et non chrétien, cinquième ligne directrice du livre de Regoli: Benoît inspire à la fois surprise et peur dans le monde profane, désir de dialogue et violentes réactions des médias à la douce Vérité que lui, jour après jour, cultive. Et les résultats de ce vent contradictoire qui souffle surl'Église bénédictine peuvent être vus dans le difficile chemin diplomatique que Regoli décrit comme la dernière, mais non la moindre, des lignes réformatrices du pape Ratzinger. Un pape eurocentrique, en confrontation serrée avec l'Occident, avec sa crise anthropologique et sociale ainsi qu'avec la menace du fondamentalisme islamique qui se fait de plus en plus forte et qu'il affronte à la racine avec le magistral discours de Ratisbonne. C'est dans ce contexte que naît l'expression «valeurs non négociables» pour signifier que, dans toutes les structures du pouvoir il y a une vérité incontournable.
Et à la fin, le binôme dans lequel nous entraîne Regoli est précisément celui-là: d'un côté, le pape de la Vérité et de la liberté, de l'autre le monde du Pouvoir et de l'idéologie bourgeoise, cette culture relativiste du "déchet" (scarto) qui engage tellement son successeur argentin. Au milieu, l'homme Ratzinger qui fait de la foi son visage le plus authentique et, à travers la foi, se déplace et surprend tout le monde.

Le parcours de Regoli nous restitue l'histoire de ces huit années de pontificat comme un roman dont la dernière page reste cerainement à écrire. Et c'est dans les plis de cette voix ferme qui, le jour du soixante-cinquième anniversaire de son ordination sacerdotale, appelle le monde à la transsubstantiation de lui-même, que cette page doit être cherchée. Parce que c'est dans la foi de Ratzinger, dit Regoli, que les historiens doivent chercher des réponses aux nombreux "pourquoi" de cette merveilleuse histoire. C'est dans la foi de chacun de nous que tout devient transparent, de notre ouverture de cœur, de notre désir de chercher le bien-aimé de notre cœur jour et nuit. Sans laisser l'inévitable aridité ou la placidité illusoire de détourner notre chemin.