L'interview censurée (mais pas tout à fait...)


Deux articles pour tempérer ma déception de ce matin... (18/3/2016)

>>> L'interview censurée

 

D'abord, un très beau commentaire d'Yves Daoudal. Je ne le cite pas tout à fait en entier (bien qu'il le mériterait évidemment), pour laisser à mes lecteurs qui ne l'auraient pas déjà lus chez lui l'occasion de le faire maintenant:

On parle beaucoup d’une «interview de Benoît XVI dans l’Avvenire», dans laquelle le pape émérite «soutient François» et se déclare «entièrement d’accord avec lui».
Cette façon de présenter les choses est un bel exemple de fabrication médiatique. Que les franciscolâtres répètent cela en boucle n’en fait pas une vérité.

Le texte .. est d’abord une nouvelle réflexion sur la foi, le baptême et l’Eglise, un thème que n’a cessé de méditer le théologien Ratzinger. Cela se poursuit par une réflexion sur la possibilité de la foi dans un monde qui a perdu le sens de la justification (..). Sur ce sujet, Ratzinger constate que l’idée de la miséricorde de Dieu peut être d’un grand secours. L’insistance sur la miséricorde est un signe des temps, dit-il, depuis sainte Faustine, « dont les visions, à bien des égards, reflètent profondément l'image de Dieu propre à l'homme d'aujourd'hui et son désir de la bonté divine » - sainte Faustine qui eut une grande influence sur Jean-Paul II.
Vient alors la phrase partout répétée comme si elle était l’essentiel alors qu’elle n’est qu’une incidente (même l’Osservatore romano le fait remarquer):

Seulement là où est la miséricorde finit la cruauté, finissent le mal et la violence. Le Pape François est totalement en accord avec cette ligne. Sa pratique pastorale s'exprime justement dans le fait qu'il nous parle continuellement de la miséricorde de Dieu.

Ce que l’on voit, c’est que Joseph Ratzinger a d’abord défini le sens de la miséricorde pour l’évangélisation aujourd’hui, et qu’il continue ensuite sa réflexion sur ce thème, une réflexion tout entière orientée sur la nécessité de l’évangélisation et de la foi qu’il faut faire naître – à chacun de voir si cela correspond vraiment toujours à ce que dit François… Il me semble qu’il s’agit plutôt d’un recadrage.

(...) la dernière phrase, sur le sacrement de pénitence, est vraiment très belle : «Il signifie que nous nous laissons toujours façonner et transformer par le Christ et que nous passons constamment du côté de ceux qui détruisent à celui qui sauve»

Dans tout cet entretien on sent la présence de saint Bonaventure, bien qu’il ne soit pas cité.
Ce qui en ressort aussi est que le pape émérite n’a rien perdu de sa carrure intellectuelle… qui manque cruellement à la tête de l’Eglise.



Et au rayon des satisfactions d'aujourd'hui, il y a bien sûr Sandro Magister, qui ne déçoit pas, et qui écrit sur www.chiesa:

JOSEPH RATZINGER REPREND SA CHAIRE
Non pas la chaire d’évêque de Rome, mais celle de professeur de théologie. Une leçon inattendue, proposée par le pape émérite, à propos des questions capitales de la pensée chrétienne d'aujourd’hui

(..)
Ce texte de Joseph Ratzinger n’est pas inédit. Il avait déjà été lu par Georg Gänswein, son secrétaire, au cours d’un colloque organisé à Rome par les jésuites de la paroisse romaine du Gesù, entre le 8 et le 10 octobre 2015, alors que le synode consacré à la famille avait lieu au Vatican.
Le thème du colloque était typique de la Compagnie de Jésus : "Au moyen de la foi. Doctrine de la justification et expérience de Dieu dans la prédication de l’Église et dans les Exercices Spirituels". Et celui qui avait interviewé le pape, Jacques Servais, un disciple belge du grand théologien Hans Urs von Balthasar, est lui aussi un jésuite.
Mais ce thème a servi à Ratzinger de point de départ pour s’attaquer aux questions capitales qui occupent actuellement la pensée chrétienne, à partir de ce qu’il définit lui-même comme "des bouleversements drastiques de notre foi" et "de profondes évolutions du dogme", avec les "crises" dramatiques qui en sont la conséquence.
...
Ratzinger a également des phrases très éclairantes à propos du binôme justice/miséricorde, avec un renvoi très bref au pape François, dont les admirateurs inconditionnels de l’actuel souverain pontife ont tiré parti. Mais ils ont été promptement réduits au silence par "L'Osservatore Romano" qui, dans une note en marge, a repoussé "l'interprétation journalistique" qui réduit l'interview à "un appui offert par le pape émérite à un 'parti' de la miséricorde".



En somme, la journée s'achève mieux qu'elle n'avait commencé... au moins pour moi.