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Des Papes "jetables"

Le P. Scalese revient sur la rumeur selon laquelle un certain "parti curial" qui a poussé à l'élection de François voudrait aujourd'hui sa démission (7/3/2017)

Si j'étais à la place du parti de la Curie, après une bourde comme celle-la, plutôt que de continuer à intriguer dans les coulisses, la première chose que je ferais serait de me couvrir la tête de cendres, de présenter des excuses aux fidèles et ensuite de me retirer dans un monastère isolé sur la montagne pour prier et faire pénitence pour le reste de mes jours.

La rumeur, comme je l'ai déjà dit ici, et comme le P. Scalese le répète dans cet article, est partie d'Antonio Socci, qui n'en apportait d'ailleurs aucune preuve. Elle n'a acquis ses "lettres de noblesse" que parce qu'elle a été, par hasard, reprise par le «très sérieux» (selon la formule consacrée!!) Times de Londres, dont un chroniqueur a, comme moi, lu le blog de Socci, et elle rebondit depuis dans la blogosphère catholique comme un fait avéré, de plus avec la seule paternité du journal britannique. Ce qui ne manque pas de piquant, lorsqu'on sait comment la presse laïque couvre les affaires de l'Eglise.

La conclusion du P. Scalese est que les effets catastrophiques de la décision de Benoît XVI commencent à se faire sentir. Au vu de ce qui se passe aujourd'hui dans l'Eglise, on peut difficilement lui donner entièrement tort. Dans une perspective chrétienne, il nous reste seulement à nous raccrocher à l'idée que, comme l'a répété Benoît XVI jusqu'à la fin, jusqu'à la dernière catéchèse, celle du 27 février 2013, l'Eglise appartient au Seigneur, qui la guide, et que Son plan nous échappe et nous dépasse infiniment. C'est ce que je crois fermement.

Papes jetables

Père Giovanni Scalese CRSP
6 mars 2017
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

* * *

En règle générale, j'ai tendance à ne pas donner trop de crédit aux 'rumors' (en anglais dans le texte). Je pense que la réalité de chaque jour nous réserve déjà de son côté trop de soucis, pour nous permettre le luxe de nous panser la tête avant de nous l'être cassée: «A chaque jour suffit sa peine» (Mt 6:34). Ainsi, dans l'Eglise d'aujourd'hui, il y a déjà assez de problèmes avec les faits qui se produisent, avec les documents qui sont écrits, avec des discours qui sont prononcés; il ne me semble pas approprié de courir derrière les rumeurs, ce qui «se dit» à Sainte Marthe, ce que l'habituel «petit prêtre» rigoureusement anonyme confie au journaliste de service, ce que révèlent les «sources confidentielles» de tel ou tel vaticaniste, de profession ou d'opérette.

A plusieurs reprises, alors que, sur la «parole de deux ou trois témoins» (Dt 19:15; Mt 18:16), je pensais qu'il s'agissait de quelque chose de plus ou moins certain, j'ai dû changer d'avis plus tard. Le dernier cas est celui de la Commission créée par la Congrégation pour le Culte Divin pour la révision de l'instruction Liturgiam authenticam (cf. querculanus.blogspot.com) [1]: étant donné que Sandro Magister, le magazine jésuite America et la Nuova Bussola en avaient parlé, je donnais la chose pour certaine. Mais j'ai reçu une lettre du Professeur Andrea Grillo [cité dans l'article de la Bussola; il aurait participé à la "réunion secrète"], qui, bien que ne démentant pas la nouvelle de l'institution de la commission, exclut toute implication personnelle dans cette histoire:
«J'ai seulement écrit sur mon blog une série d'articles, à partir de Février 2016. Tout le reste, contacts, commissions, rencontre hors de Rome, sont - au moins en ce qui me concerne - fruits de la fantaisie et de l'imagination».

Mais permettez, pour une fois, que moi aussi j'écoute les bavardage sans trop de complexes. La semaine dernière, Antonio Socci, généralement bien informé, a rapporté la nouvelle de grandes manœuvres qui seraient en cours au Vatican (Libero du 28 Février 2017, article reproduit dans son blog personnel Lo Straniero et également repris par le Times de Londres) [2]:

«Une grande partie des cardinaux qui ont voté pour lui [= le pape Bergoglio] est profondément préoccupée et le parti curial qui a organisé son élection et qui l'a soutenu jusqu'à présent, sans jamais se dissocier, cultive l'idée ... d'une "moral suasion" pour le convaincre de se retirer».

Et, apparemment, on donnait même le nom du successeur possible: le cardinal Pietro Parolin, actuel Secrétaire d'État.

Le lendemain, 1er Mars, le site LifeSiteNews a publié un article de Pete Baklinski, à partir duquel ont croit comprendre que ses électeurs ont donné à Bergoglio quatre ans pour «refaire l'Eglise» (make the Church over again) [3]. Bien qu'il n'y ait dans l'article aucune référence au scoop de Socci, on ne peut s'empêcher de relier les deux interventions et de conclure: les quatre ans arrivent aujoud'hui à échéance, ergo ...

Dans les deux articles, il est fait référence - comme c'était inévitable - au conclave de 2013, en particulier au "Groupe de Saint-Gall" (dont l'existence a été révélée par le cardinal Godfried Danneels en 2015 [4] et confirmée par Mgr Georg Gänswein 21 mai 2016, à l'occasion de la présentation du livre de Roberto Regoli "Oltre la crisi della Chiesa. Il pontificato di Benedetto XVI") [5]. Socci rapporte que Bergoglio a été élu par deux «partis»: le parti progressiste (qui effectivement renvoyait au groupe de Saint-Gall) et celui de la Curie, sous-entendant qu'il y avait un troisième parti, le 'ratzingerien', dont le candidat était l'archevêque de Milan Angelo Scola.

Je pense personnellement que le conclave de 2013 ne peut être compris qu'en le mettant en relation avec celui de 2005, dont il peut être considéré en quelque sorte comme la continuation. Alors aussi, il y avait trois partis: le parti ratzingerien (qualifié par Mgr Gänswein de «parti du sel de la terre»), le parti progressiste et le parti de la Curie; mais alors, les alliances étaient différentes. Selon les déclarations du père jésuite Silvano Fausti [6], il semblerait que le parti progressiste, à l'époque dirigé par le cardinal Martini avait fait confluer ses voix sur Ratzinger [ndt: je ne crois pas un seul instant à cette version], pour empêcher le parti de la Curie d'élire son candidat. Déjà alors, le candidat du Parti progressiste était le cardinal Bergoglio (les déclarations du cardinal Theodore McCarrick, selon lequel personne, avant le conclave, n'avait considéré Bergoglio comme un candidat possible, sont donc tout à fait surprenantes). A cette occasion, il semblerait que le cardinal Martini et le cardinal Ratzinger (la relation entre les deux n'a jamais été très claire: présenté par la vulgate comme des ennemis implacables, ils se trouvaient ensuite souvent d'accord sur certaines questions ...) avaient fait une pacte concernant la réforme de la Curie romaine: «Si tu réussis à réformer la Curie, très bien; sinon, tu t'en vas». En juin 2012, Martini aurait rappelé à Ratzinger en visite à Milan [pour la Journée Mondiale des Familles], le pacte conclu au conclave: «C'est le moment [de démissionner]; parce qu'ici, on ne peut rien faire». Huit mois plus tard, Benoît XVI annonçait sa démission de la papauté [ndt: je réitére la remarque que je viens de faire. Il est pour moi totalement exclu que Benoît XVI ait pu se livrer à un quelconque marchandage pour se faire élire, et encore plus invraisemblable que le cardinal Martini ait joué un rôle dans sa démission].

Quelque chose de similaire semble s'être produit au conclave de 2013. Malgré le renversement des alliances, on élit un candidat auquel on confie la mission de «refaire l'Eglise». Cette fois, on aurait même donné un délai: quatre ans.

Aujourd'hui, apparemment, les curiaux se repentiraient d'avoir élu Bergoglio et donc ils voudraient le convaincre de démissionner, pour élire leur représentant à sa place. Très bien. Je ne sais pas si ce que dit Socci est vrai; je ne pense pas que ce soit une invention; il peut au moins y avoir une parcelle de vérité; je ne veux pourtant pas me compromettre plus que cela avec qui demeure une spéculation. Si c'était vrai (je souligne que c'est une proposition hypothétique), il me vient spontanément quelques réflexions.

1. Si j'étais à la place du parti de la Curie, après une bourde comme celle-la, plutôt que de continuer à intriguer dans les coulisses, la première chose que je ferais serait de me couvrir la tête de cendres, de présenter des excuses aux fidèles et ensuite de me retirer dans un monastère isolé sur la montagne pour prier et faire pénitence pour le reste de mes jours.

2. L'expérience faite devrait enseigner à chacun qu'élire un pape (mais le même discours pourrait être fait pour tout autre type d'élection, dans l'Eglise et dans le monde) est une chose d'extrêmement grave et délicate. Sans entrer dans les questions technico-juridiques (qui peuvent aller jusqu'au point de mettre en question la validité de l'élection), sur lesquelles je n'ai aucune compétence, je crois qu'une élection - a fortiori l'élection du Pape - ne devrait pas faire l'objet de jeux politiques et de tractations entre «partis». On ne choisit pas les personnes sur la base de la propagande ou de l'affiliation idéologique, mais sur la base de la connaissance directe ou indirecte qu'on en a. Le choix ne peut pas être fait à la légère, avec superficialité et précipitation; il doit être précédé et accompagnée par la prière et fait avec un grand sens de responsabilité, en conscience, devant Dieu.

3. L'élection doit avoir lieu sans aucun mandat impératif [7]: le candidat doit être choisi pour ses qualités personnelles, et pas parce qu'il est utile à la mise en œuvre d'un programme. L'unique chose à exiger d'un candidat est l'engagement à chercher toujours et seulement la volonté de Dieu et le bien de l'Eglise. L'élu devra répondre de son action exclusivement devant Dieu et sa conscience, et pas devant le parti ou le camp qui l'a élu. On peut encore moins fixer un délai au candidat.

4. Au cas où, dans le comportement de l'élu, il devait se produire des erreurs (ce qui est possible: nous sommes des hommes et nous pouvons faire des erreurs), il y a toujours un remède à disposition: la correction fraternelle (qui ne doit pas être pratiquée seulement à l'égard des pairs et des inférieurs, mais, si nécessaire, également à l'égard des supérieurs). Il n'est pas digne d'un homme de faire des salamalecs à ceux qui sont en position d'autorité, pour ensuite les poignarder dans le dos. Envers le pape, il me semble beaucoup plus utile de prier pour lui plutôt que de comploter derrière son dos.

5. Il serait temps d'arrêter cette obsession de vouloir réformer la Curie ou même de «refaire l'Eglise». Il est vrai que l'Eglise est semper reformanda; mais la vraie réforme, nous le savons, n'est pas tant dans le changement des structures que dans la conversion des cœurs. L'Eglise ne nous appartient pas ni, encore moins, n'appartient à tel ou tel parti, qui pense qu'il peut la remodeler en fonction de ses goûts idéologiques. La seule chose dont nous avons à nous soucier est de nous réformer nous-mêmes.

6. Dans tous les cas, quoi qu'il arrive, nous devons conclure que la papauté sort de cette histoire en morceaux. Le fait même qu'il y ait des gens qui, non contents de deux papes, pensent à en élire un troisième, en dit long sur l'idée qu'on s'est faite du Suprême pontificat: le Pape est désormais réduit à une sorte de PDG (CEO: chief executive officer), interchangeable à volonté. Les conséquences dévastatrices de la démission de Benoît XVI commencent à se faire sentir. Si l'on ajoute que le pape Ratzinger s'est vu accorder huit ans et le Pape Bergoglio quatre, combien va-t-on donner au "Pape" Parolin? Deux? Désormais, nous en sommes vraiment au pape à usage unique.

NDT (liens)


[1] Voir sur mon site: Vers la messe oecuménique?
[2] Cf. Le scoop d'Antonio Socci
[3] Cf. Quatre ans pour changer l'Eglise
[4] http://benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/les-manuvres-dun-faiseur-de-papes.html
[5] http://benoit-et-moi.fr/2016/benot-xvi/le-pas-historique-du-11-fevrier-2013.html
[6] http://benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/qui-etaient-les-loups.html
[7] Mandat impératif: le "pouvoir délégué à une organisation ou un individu élu en vue de mener une action définie dans la durée et dans la tâche, selon des modalités précises auxquelles il ne peut déroger", cf. fr.wikipedia.org