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"Donné pour lu"

Le P. Scalese revient à son tour sur le visite du Pape à l'Université de Rome. Et les deux discours. Celui "donné pour lu", et celui prononcé "a braccio", avec les limites de l'improvisation (22/2/2017)

>>> Voir aussi:
¤ Deux Papes à l'Université (AM Valli)

Donné pour lu

Père Giovanni Scalese CRSP
querculanus.blogspot.fr
221 fvrier 2017
Ma traduction

Vendredi dernier , François est allé à l'Université Rome III, où il a rencontré des étudiants. A propos de la visite, le bulletin du Bureau de presse du Saint-Siège rapportait l'information suivante:

«Au cours de la rencontre sur la place en face de l'Université, introduite par l'hommage du Recteur Magnifique, le Pape François a répondu 'a braccio' aux questions de quatre étudiants, donnant pour lu le texte préparé précédemment et remis aux présents».

Les questions des étudiants, évidemment, avaient été préparée à l'avance et le discours que le Saint-Père aurait dû prononcer contenait justement les réponses à ces questions. Néanmoins, le Pape Bergoglio a préféré répondre a braccio. Ce n'est pas la première fois que cela se produit, ni dans le pontificat actuel, ni dans les pontificats précédents. Jean-Paul II, par exemple, en particulier au cours des dernières années, quand il n'était plus capable d'articuler distinctement, remettait généralement dans une enveloppe le discours qui avait été préparé. Il semble que le Pontife actuel ait déjà adopté ce système dans les visites ad limina. Le discours - non lu, mais seulement remis - adressé aux évêques allemands, et dont le pape François s'était plus tard excusé en disant: «Ce n'est pas moi qui l'ai écrit, je ne l'avais pas lu, n'en tenez pas compte» avait suscité quelque émoi (cf. magister.blogautore.espresso.repubblica.it).

Il semblerait que l'on se trouve, dans ce cas aussi, face à une nouvelle pratique pastorale: le Pape n'aime pas prononcer des discours "préfabriqués", qu'ils soit écrits par lui ou préparés par d'autres; il préfère parler a braccio, se laissant guider par l'inspiration du moment; il préfère la conversation directe avec les personnes. Le discours écrit donne l'impression de faire obstacle au rapport immédiat avec les gens; parler a braccio rend tout plus naturel et spontané.

Personnellement, j'aurais quelques doutes à ce sujet. Il n'est vrai que le fait de parler a braccio soit toujours synonyme d'authenticité et de spontanéité. Vendredi dernier, par exemple, les questions des étudiants avait été préparées d'avance (et la chose me semble plus que compréhensible) et le Pape s'était préparé à répondre. Le discours écrit n'était autre qu'une réponse à ces questions. Je ne sais pas qui l'avait préparé, mais certainement, si ce n'était pas le Pape, lui-même avait au moins donné des indications pour la rédaction et, en tout cas, les éventuels ghost writers avaient tenu compte de sa pensée et de son style (il suffit de rappeler une seule phrase: «En parlant ainsi, je ne vous propose pas des illusions ou des théories philosophiques ou idéologiques, et je ne veux pas non plus faire de prosélytisme»). C'est pourquoi lire ce discours n'aurait en aucun cas constitué un "faux"; alors qu'au contraire, même le discours a braccio peut parfois donner l'impression d'une "mise en scène". Personnellement, je suis convaincu que même en lisant un discours écrit, on peut atteindre le cœur des auditeurs, à condition que ce discours, confié à l'écrit, jaillisse à son tour ex abundantia cordis de l'auteur. Benoît XVI lisait habituellement ses homélies et ses discours (qu'il avait pour la plupart écrit personnellement); on ne peut certainement pas dire que le message n'arrivait pas à destination. Je me souviens encore, après quarante ans, de certaines catéchèses de Paul VI, qui sont restées à jamais imprimées dans mon cœur.

Surtout dans le cas d'un Pontife, je ne pense pas qu'il soit opportun de s'abandonner régulièrement à l'improvisation, même précédée de la préparation adéquate. Mis à part le fait qu'en écrivant, on contrôle aussi mieux la durée de l'intervention, un texte écrit donne une plus grande garantie d'exhaustivité et de de correction, formelle et de contenu. Aldo Maria Valli a fait remarquer que dans le discours écrit, il était prévu un beau témoignage de foi, disparu dans l'intervention a braccio. Valli note:

«Il serait fou de penser que le Pape s'est autocensuré. En choisissant de mettre de côté les remarques préparées à une table, il a certainement voulu être simplement plus proche des jeunes et mieux démontrer, avec une plus grande intensité émotionnelle, sa participation à leurs problèmes, à leurs préoccupations. D'autre part, je suis convaincu que les enseignants et les étudiants de Rome III auraient applaudi même si François avait fait référence à l'expérience religieuse.».

C'est un fait qu'il est sorti un discours sans aucune référence religieuse. Valli poursuit:

«François, en réalité, plus qu'en pape, plus qu'en évêque, plus qu'en religieux, a choisi de parler en sociologue et en économiste. Il a abordé les questions liées au chômage des jeunes, aux migrations, à la mondialisation. Il a demandé, avec des accents de sincèrité, qu'on recherche l'unité tout en préservant les différences et non l'uniformité. Questions importantes, bien sûr. Mais on est frappé par le fait que pas une fois il n'a nommé Dieu ou la foi.»

Je me demande: est-ce cela que l'on attend d'un Pape?

Qu'il me soit permis d'ajouter quelques commentaires.

On pourrait objecter: le discours écrit n'a pas été mis au rebut, il ne s'est pas volatilisé; il a été "remis aux présents". Je dirais, plus correctement: il a été "versé dans les actes", disponible à tout étudiant qui, un jour voudra faire une thèse sur la relation entre le Pape Bergoglio et les jeunes. Ce n'est pas la même chose de "remettre" un discours et de le prononcer. Un discours remis reste une série de mots; un discours prononcé devient un "événement", avec des conséquences que le discours versé aux actes ne peut pas avoir. Je donne un exemple, pour me faire comprendre: ces jours-ci tout le monde a rappelé l'épisode amer de la visite manquée du Pape Benoît XVI à l'Université "La Sapienza" en 2008; à cette occasion aussi, le Pape Ratzinger avait préparé un discours, qui, après l'annulation de la visite, a été remis et a même été lu lors de la cérémonie d'inauguration de l'année académique. Eh bien, de ce discours, qu'est-il resté? Pratiquement rien. Ce qui est resté, c'est seulement l'amertume pour un épisode que beaucoup considèrent à juste titre comme honteux. Très souvent, ce qui reste, plus que les mots, ce sont les faits ou, si vous voulez, la perception des faits. Que restera-t-il de la visite du pape François à l'Université Rome III? J'espère me tromper, mais ne pense pas que je m'éloigne trop de la vérité en disant que dans le futur, on se rappellera que le pape en 2017, à Rome III, a rencontré les étudiants pour leur parler de chômage et d'immigration.

Une autre objection qui pourrait être faite est la suivante: ne tournons pas autour du pot; l'absence de référence au Christ, on peut tranquillement l'expliquer comme un oubli, tout à fait possible lorsqu'on parle a braccio. D'accord. Mais cette observation de bon sens ne suffit pas à dissiper une sensation qui trotte dans mon esprit et peut-être dans celui des autres. On a l'impression que le fait de donner ce discours pour lu n'est rien d'autre qu'un épisode d'une attitude plus générale de dévaluation de tout ce qui est doctrinal, en faveur de la pratique pastorale. La doctrine, répète-t-on en permanence, ne change pas; mais on n'insiste plus tellement dessus; on la tient pour acquise et elle est donc mise de côté, surtout parce que source de conflits possibles («la doctrine divise»), préférant insister sur ce qui unit et rechercher des formes de collaboration qui aillent au-delà des différences qui nous séparent. Le Catéchisme de l'Église catholique, désormais, n'est plus cité; il est "donné pour lu"; il n'y a pas besoin de revenir dessus. Il y a bien d'autres problèmes à résoudre.

Dans une interview accordée à la Civiltà Cattolica peu après son élection, François eut l'occasion de dire:

«Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Ce n’est pas possible. Je n’ai pas beaucoup parlé de ces choses, et on me l’a reproché. Mais lorsqu’on en parle, il faut le faire dans un contexte précis. La pensée de l’Église, nous la connaissons, et je suis fils de l’Église, mais il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence.»

Ici est énoncé un principe - «La pensée de l’Église, nous la connaissons; il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence»- en soi discutable (parce qu'il y a des valeurs, généralement rejetées aujourd'hui, dont on ne parlera jamais assez), mais qu'on pourrait même accepter, à condition qu'il soit toujours appliqué de manière cohérente. Mais il semble qu'il y a certaines valeurs (comme les "principes non négociables"), qui sont prises pour acquises et donc ne nécessitent aucune insistance; alors qu'il y a d'autres valeurs (comme, par exemple, l'accueil des migrants) sur lesquelles on revient continuellement. Pourquoi le même critère ne s'applique-t-il pas dans ce dernier cas?

Dans la même interview, le Pape Bergoglio poursuivait:

«Les enseignements, tant dogmatiques que moraux, ne sont pas tous équivalents. Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel».

Cette fois encore, à part peut-être le langage, on peut se trouver d'accord sur le fait qu'il existe une hiérarchie des vérités de la foi et des règles morales, et qu'il est nécessaire, surtout aujourd'hui, de se concentrer sur l'essentiel. On présume que l'essentiel, dans le christianisme, est la personne de Jésus-Christ. Mais si ensuite, pour essayer d'être d'accord avec tout le monde, on finit, plus ou moins consciemment (ce n'est pas à nous de juger), par Le mettre Lui aussi entre parenthèses - allant jusqu'à "donner pour lu" l'Evangile lui-même! - que reste-t-il? Quel serait l'essentiel sur lequel se concentrer?

S'il y a quelqu'un qui «divise», c'est précisément Jésus-Christ:

« Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées: trois contre deux et deux contre trois; ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère.» (Lc 12, 51-53).

Sincèrement, je ne me préoccuperais pas tellement des divisions provoquées par le Christ, lequel, dès le moment de l'incarnation a été - et sera toujours - un «signe de contradiction ... afin que soient dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre» (Lc 2, 34-35). Personnellement, je serais plus préoccupé par les divisions qui peuvent se créer dans la communauté ecclésiale quande la sagesse du monde prend la place de la folie de la prédication. Saint Paul nous le rappelait justement hier :

«Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous» (1 Corinthiens 3: 16-17).