Benoit-et-moi 2017
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Il y a tradition et tradition

Le P. Scalese et la "réconciliation avec la FSSPX". Un petit "historique" (6/1/2017)

Il n'est pas rare de voir des catholiques traditionalistes qui, face à la crise sans précédent que traverse l'Église, plutôt que de s'indigner, préfèrent remarquer, mine de rien et avec une certaine supériorité: «Pourquoi s'étonner? Ce qui se passe n'est rien de plus que la conséquence naturelle de Vatican II. Le mal n'est pas ce qui se produit aujourd'hui, mais le Concile qui a jeté les bases pour que cela se produise». Oubliant qu'entre le Concile et nous, il y a cinquante années, au cours desquels les papes qui se sont succédé sur le Trône de Pierre ont prouvé qu'il est pas vrai que c'est du Concile que doit nécessairement dériver la subversion de l'Eglise et de sa doctrine. Pour nous limiter au domaine de la morale, qui a écrit Humanae Vitae ou Familiaris Consortio, auxquelles on fait appel aujourd'hui pour réfuter Amoris laetitia? Serait-ce Pie XII? Ou plutôt deux papes "conciliaires" qui n'avaient évidemment pas trouvé dans Vatican II de raisons qui les amènent aux conclusions d'Amoris laetitia ?

Ma modeste contribution

C'est en partie autour de cette réconciliation, tant de fois annoncée et encore attendue, que le blog du Père Scalese <Senza peli sulla lingua> a vu le jour en janvier 2009.
Je venais tout juste de le découvrir, j'avais lu son article consacré à "l'esprit du Concile" (qu'il évoque plus bas); il m'avait semblé important (je plongeais alors dans un monde qui m'était totalement inconnu jusque là!!) et je l'avais donc traduit, avant de faire mon possible pour le rendre accessible à d'autres qu'à mes lecteurs habituels, en particulier à qui de droit... c'est-à dire la FSSPX: j'avais mis à contribution à cette fin un site alors très "cliqué", Eucharistie Sacrement de la Miséricorde, qui avait bien voulu relayer l'article. Très vite, comme espéré, celui-ci était repris par le Forum Catholique... avant d'atteindre finalement le but que je m'étais fixé.
Voici ce que j'écrivais à ce sujet le 6 mars 2009, après que l'article eût été publié sur le portail en français de la Fraternité:

PETIT MIRACLE DU RÉSEAU

Comment j'ai servi de "facteur"... avec grand plaisir, entre Senza peli sulla lingua, et La Porte Latine (6/3/2009)

* * *

Le Père Scalese écrit dans son billet daté du 6 mars [2009]:

Ieri il mio articolo su Concilio e "spirito del Concilio" è stato pubblicato su La Porte Latine, sito ufficiale del Distretto di Francia della Fraternità sacerdotale San Pio X. Potrei dire: "Missione compiuta". Quel testo è finalmente giunto a destinazione. Perché a loro era diretto.... Sono sempre stato convinto che con un diverso approccio alla questione del Concilio sia possibile trovare una qualche soluzione. Ringraziamo il Signore e preghiamo perché il seme gettato possa portare frutti.

Après la publication de ma traduction de son texte, dont je suis vraiment contente d'avoir tout de suite saisi l'intérêt majeur, le Père Scalese m'écrivait, le 2 mars dernier:

Finora, devo riconoscere, Lei è l'unica persona che ha perfettamente colto il significato di quell'articolo. Speriamo che la sua diffusione possa contribuire alla riconciliazione all'interno della Chiesa.

Aujourd'hui, il semble bien que je ne suis plus la seule à avoir "cueilli" le sens de l'article. Et je serais vraiment heureuse s'il contribuait (un peu) à la réconciliation à l'intérieur de l'Eglise. Pourquoi pas?
L'enchaînement des faits me fait penser à un petit miracle du Réseau... où il n'est pas interdit de voir la main de Dieu..
La Porte Latine cite en effet mon site, et même le petit texte d'introduction que j'avais écrit.
(...)

Pour ce qui est de la réconciliation, je m'étais malheureusement trompée. Au fond, j'aurais tellement souhaité qu'elle advînt sous le Pontificat de Benoît XVI que j'ai pris mes désirs pour des réalités, péchant plus par naïveté que par optimisme.

Mais revenons à aujourd'hui, et au dernier article du Père Scalese:

Différentes façons de vivre la tradition


Mercredi 4 janvier 2017
P. Scalese
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

* * *

Ce blog (né sous le titre Senza peli sulla lingua, et qui s'est transformé depuis Juin dernier en Antiquo Robore ) a connu trois phases: la première, la plus longue et prolifique (359 messages), va de sa naissance (Janvier 2009) jusqu'en Juillet 2011; la seconde a été la plus courte (elle s'est limitée à quelques mois de 2013, entre Mars et Mai, avec une intrusion occasionnelle en Octobre) et la moins fertile (8 post); le troisième est l'actuelle: elle a commencé il y a un an (en Janvier 2016), elle a produit à ce jour 100 billets (il faut toutefois dire que plus de la moitié d'entre eux est constituée de mes homélies dominicales).

L' un des sujets les plus discutés dans les billets de la première phase (mais totalement négligé dans les phases suivantes) est la réconciliation avec la "Fraternité Saint-Pie X" (FSSPX). Et même, je dirais que le blog est né à la suite d'un événement qui a justement impliqué les disciples de Mgr Lefebvre: la levée de l'excommunication des quatre évêques de la Fraternité et les controverses qui en ont dérivé, en particulier la déclaration de l'épiscopat allemand, qui demandait aux quatre évêques de manifester «de façon sans équivoque et crédible leur fidélité au Concile Vatican II et en particulier à la déclaration Nostra Aetate» (voir le premier message du 30 Janvier 2009). Suivirent une vingtaine d'interventions dans lesquelles je cherchais à prouver qu'un accord avec la FSSPX était beaucoup plus facile qu'il n'y paraissait. Volontairement sur le ton de la plaisanterie, j'essayai d'expliquer ma position dans le billet du 18 Mars 2009 [traduit ici: benoit-et-moi.fr/2009-I]: concrètement, je soutenais qu'à mon humble avis, pour rétablir la pleine communion de la FSSPX avec l'Église catholique, il suffisait d'exiger la l'émission de la profession de foi (position confirmée et précisée dans les billets du 11 Septembre 2010 [traduit ici: benoit-et-moi.fr/ete2010] et du 13 Septembre 2010). On a préféré suivre un autre chemin, celle des «discussions doctrinales». On a vu comment cela a fini.

Dans l'intervalle, il y a eu l'élection de François, ravivant l'espoir, qui semblait désormais éteint, d'une réduction de la fracture. Pour deux séries de raisons: d'abord, parce que le Pontife actuel est, par nature, porté à ne pas donner trop de poids aux questions doctrinales; en second lieu , parce que, comme archevêque de Buenos Aires et Primat d'Agentine, il a toujours eu de bonnes relations avec la Fraternité, au point de ne pas refuser l'endorsement de sa reconnaissance civile. Mgr Bernard Fellay a eu l'occasion de rencontrer personnellement, bien qu'officieusement, le pape Bergoglio. Dans ce nouveau climat, il faut également citer l'attitude plus conciliante assumée par la Commission pontificale «Ecclesia Dei» sur les questions doctrinales. Les différentes interviews de Mgr Guido Pozzo - parmi lesquelles se signalent celle accordée à Famille Chrétienne le 20 Octobre 2014 et celles à l'agence ZENIT (28 Février 2016 et 8 Avril 2016) - me paraissent particulièrement significatives à cet égard.
Concrètement, dans ces interviews, à propos de l'interprétation du Concile, le Secrétaire d'«Ecclesia Dei» soutient une thèse très semblable à celle exposée par moi dans l'article «Concile et 'esprit du Concile'» et, comme unique point "non négociable" dans le les négociations pour parvenir à une reconnaissance canonique, il indique ... «l'adhésion à la Professio Fidei»! Il est probable que si, au lieu de s'enfoncer dans des «discussions doctrinales» épuisantes et peu concluantes et exiger des lefebvristes une adhésion inconditionnelle à Vatican II, on avait adopté dès le départ une position de ce genre, à cette heure, la FSSPX serait déjà une institution (prélature, ordinariat ou autre) de l'Eglise Catholique.

Naturellement, tant chez les libéraux que chez les traditionalistes, tous ne voient pas d'un bon oeil une éventuelle réconciliation. Bien sûr, on ne peut pas ignorer les risques possibles d'une reconnaissance canonique dans le moment présent; d'autre part, il ne semble pas opportun de laisser passer une occasion plus unique que rare. Personnellement, pour de nombreuses raisons, j'aurais préféré que l'accord ait été conclu au cours du pontificat de Benoît XVI. Mais le fait que cela ne se soit pas passé enseigne qu'en général, on devrait se comporter avec plus de liberté et se laisser guider uniquement par des facteurs objectifs, sans être influencés par les réactions que des décisions spécifiques pourraient entraîner (de sorte qu'on se retrouve à demander aux lefebvristes plus que nécessaire, juste pour éviter d' être plus tard accusé de complaisance excessive).
Beaucoup, au sein de la FSSPX ou parmi ceux qui l'ont quittée, accusent la Fraternité de capitulation et de dérive libérale. Dans l'un de ces épisodes, je me suis trouvé personnellement impliqué. Sur le site <Non possumus> de la «Société sacerdotale des Apôtres de Jésus et de Marie», appartenant à la soi-disant «Résistance catholique» (le mouvement créé par Mgr Richard Williamson après son expulsion de la FSSPX), est paru récemment un billet à propos d'«Un article "politiquement correct" de DICI sur les dubia des quatre cardinaux». Dans l'article en question, publié sur le site DICI le 24 Novembre 2016, l'auteur, l'abbé Alain Lorrans, à un moment donné , écrit:

Au fond, comme le dit un bon analyste de la crise présente, on voit deux conceptions de l’Eglise s’affronter : « D’un côté il y a ceux qui considèrent qu’il est du devoir pastoral de l’Eglise d’enseigner la doctrine révélée, telle qu’elle est ; de l’autre, ceux qui préconisent comme unique attitude pastorale acceptable, l’accompagnement, le discernement et l’intégration ».

Eh bien, ceux de Non possumus se sont sentis obligés de démasquer l'«analyste» anonyme cité par l'Abbé:

¿Quién es este “buen analista de la crisis presente”? Se trata del P. Giovanni Scalese, un liberal moderado perteneciente al clero oficial.

Cette révélation est suivie d'un florilège de mes «bonnes analyses», pour démontrer précisément la dérive libérale de la FSSPX.

Voilà, il me semble que nous sommes confrontés à un exemple clair de deux façons différentes d'être traditionalistes: une façon intelligente et une façon marquée par la petitesse d'esprit. Bien que n'étant pas lefebvriste (mais pas non plus «libéral», même «modéré»), j'ai toujours nourri respect et estime pour Mgr Lefebvre et la Fraternité qu'il a fondée, parce que je pense qu'ils ont joué - et continuent de jouer - un rôle important dans l'Eglise, celui de rappeler tout le monde à la tradition, souvent négligée au cours des dernières années; c'est pourquoi j'ai toujours espéré une réconciliation.
Je dois dire que mon respect et mon estime ont été amplement payés de retour. Quand j'ai publié l'article «Concile et esprit du Concile» , il a été repris par La Porte Latine (dans ma traduction, ndt). Dans le message qu'ils m'ont envoyé pour me signaler la publication, ils ont qualifié le texte de «très intéressant».

L'an dernier, quand l'exhortation apostolique Amoris laetitia est sortie, la FSSPX a diffusé un communiqué dans lequel ils ont repris, entre guillemets, plusieurs passages de mon billet du 14 Avril 2016 [traduit ici: benoit-et-moi.fr/2016/actualite/amoris-laetia-lanalyse-du-p-scalese.
Aujourd'hui, le site officiel de la Fraternité fait référence à mes "analyses" sur la crise de l'Eglise (en passant, la phrase citée dans l'article de l'abbé Lorrans est tiré de mon billet du 16 Novembre 2016 [traduit ici: benoit-et-moi.fr/2016/actualite/a-la-veille-dun-schisme].

Le fait que les lefebvristes se trouvent souvent d'accord sur les pensées exprimées par un «libéral modéré appartenant au clergé officiel» démontre-t-il qu'aujourd'hui, ils sont eux aussi désespérément perdus?
Selon moi, cela montre tout simplement qu'ils sont intelligents et sans complexes, qu'ils savent encore raisonner avec leur tête, qu'ils sont ouverts à la vérité partout où elle se trouve et ne sont pas encore devenus des victimes de l'idéologie. Cela montre aussi que si, dans l'Église catholique, on n'avait pas assumé des attitudes, disons, «idéologiques», non seulement à cette heure le «schisme» serait déjà recomposé, mais il n'aurait probablement jamais eu lieu. Quand il y a clarté et rigueur sur les principes et disponibilité sur les questions pratiques; quand il y a ouverture d'esprit et bonne volonté; quand il y a pleine conscience de sa propre identité et la tolérance envers la diversité légitime, on trouve un accord tôt ou tard, tout en conservant chacun sa spécificité (qui, à ce stade, n'est plus un motif de conflit, mais une richesse pour tous) .

Malheureusement, on ne rencontre pas toujours cette ouverture à la vérité («Omne verum, a quocumque dicatur, a Spiritu Sancto est»), mais on tombe souvent sur les esprits bornés et obscurcis par l'idéologie obscurantiste (la tradition, mal interprétée, peut aussi devenir idéologie!). Et c'est ainsi qu'on ne se soucie pas si une affirmation est juste ou erronée en soi, ce qui importe le plus, c'est QUI l'a prononcée (contredisant ainsi le sage avertissement de l'Imitation de Jésus-Christ: «Non quæras quis hoc dixerit, sed quid dicatur attende» - ne te demande pas qui peut avoir dit une chose, mais considère ce qui est dit).
Quel bien peut provenir d'un «libéral modéré membre du clergé officiel»? On croit entendre Nathanael: «Quelque chose de bon peut-il venir de Nazareth?» (Jean 1:46). Le meilleur, c'est que certaines attitudes de fermeture se trouvent non seulement parmi ceux qui sont de fait hors de l'Eglise, mais aussi chez certains traditionalistes de chez nous. Quand j'ai publié mes dix "points" sur Amoris laetitia [traduit ici: benoit-et-moi.fr/2016/actualite/amoris-laetia-lanalyse-du-p-scalese], alors que les lefebvristes y trouvaient quelques idées dignes d'être reprises dans leur déclaration officielle, certains "cattolicone de noantri" [expression péjorative à la fois, désignant certains catholiques italiens!] trouvèrent à redire sur le fait que, dans ce billet, pour critiquer l'exhortation apostolique, on avait eu recours au Concile!

Il n'est pas rare de voir des catholiques traditionalistes qui, face à la crise sans précédent que traverse l'Église, plutôt que de s'indigner, préfèrent remarquer, mine de rien et avec une certaine supériorité: «Pourquoi s'étonner? Ce qui se passe n'est rien de plus que la conséquence naturelle de Vatican II. Le mal n'est pas ce qui se produit aujourd'hui, mais le Concile qui a jeté les bases pour que cela se produise». Oubliant qu'entre le Concile et nous, il y a cinquante années, au cours desquels les papes qui se sont succédé sur le Trône de Pierre ont prouvé qu'il est pas vrai que c'est du Concile que doit nécessairement dériver la subversion de l'Eglise et de sa doctrine. Pour nous limiter au domaine de la morale, qui a écrit Humanae Vitae ou Familiaris Consortio, auxquelles on fait appel aujourd'hui pour réfuter Amoris laetitia? Serait-ce Pie XII? Ou plutôt deux papes "conciliaires" qui n'avaient évidemment pas trouvé dans Vatican II de raisons qui les amènent aux conclusions d'Amoris laetitia ? Ceux qui assument envers le Concile une attitude de rejet total ne sont pas si différents de ceux qui le considèrent comme un "superdogme", dont il n'est pas permis de remettre en question même une virgule. Comme en toutes choses, il y a un juste milieu - sur lequel, apparemment, se trouvent aussi d'accord les lefebvristes - pour lequel Vatican II doit être pris pour ce qu'il est, à savoir un Concile (donc une expression solennelle du magistère ecclésiastique, à laquelle est due la plus grande attention) "pastoral" (et avec toutes les limites que cela implique). Vatican II ne doit être ni rejeté en bloc, ni absolutisé. Envers le Concile, on doit prendre cette attitude respectueusement critique qui, à côté d'une acceptation générale, n'exclut pas la possibilité de discuter de certaines questions qui ne peuvent pas être considérés comme définitivement closes. Si Mgr Lefebvre a signé tous les documents conciliaires, cela signifie qu'il n'y avait découvert aucune hérésie; il était sûrement conscient de l'ambiguïté de certaines expressions, mais de toute évidence, il était convaincu qu'on pouvait donner de ces textes une interprétation orthodoxe. Si à un moment donné, il a changé d'attitude, on peut penser qu'il l'a fait cela parce qu'il avait l'impression - certainement pas sans fondement - qu'une interprétation erronée du Concile prévalait dans l'Eglise. Mais si l'Église déclare avec son autorité quelle est l'interprétation correcte (et Benoît XVI, irresponsablement inécouté, l'avait fait ans son discours du 22 Décembre 2005, et aujourd'hui, Mgr Pozzo complète ce point de vue par quelques précisions importantes) pourquoi continuer à charger le Concile de fautes qu'il n'a pas?