Benoit-et-moi 2017
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La méthode François (I)

Long extrait du livre d'Aldo Maria Valli "266". Ma traduction (4/1/2017)

Nous en avons parlé ici (Les questions respectueuses d'un fils de l'Eglise ), et un peu plus tôt, ici (Le 266-ème Pape ) à travers une recension de Giuseppe Rusconi.
Mais il m'avait échappé sur le moment que sur son blog, Aldo Maria Valli nous avait offert le 14 décembre dernier un chapitre de son livre "266. Jorge Mario Bergoglio Franciscus PP". Cette négligence réparée, voici ma traduction de son impeccable argumentaire, documenté par des faits irréfutables.

Comme c'est très long, j'ai fractionné le texte en deux parties, voici la première (et la suite dès que possible...)
Texte original ici: www.aldomariavalli.it.

Vérité, justice, miséricorde.
Pour une analyse de la "méthode François"

«Je crois en Dieu. Pas en un Dieu catholique, il n'existe pas un Dieu catholique, il existe Dieu».
Parole du Pape François.
Le concept n'est pas nouveau, parce qu'il a déjà été exprimé, plus complètement, par le cardinal Carlo Maria Martini dans l'interview à son confrère jésuite Georg Sporschill (ndt: "Conversations nocturnes à Jérusalem"). Le problème est que maintenant, certains se posent une question similaire, mais avec un sujet différent. A la place de Dieu, il y a le Pape: François est-il catholique?

Septembre 2015, veille du voyage de François aux États-Unis. Sur un fond noir comme de la poix, le visage de François apparaît dans la pénombre. C'est la couverture de "Newsweek", et l'expédient est connu: quand on veut contester le pontife romain, on le représente toujours ainsi, ou bien de dos. Mais c'est le titre qui frappe le plus: «Is the Pope Catholic?». Le Pape est-il catholique?

L'hebdomadaire américain, expression de milieux culturels, religieux et politiques sans aucun doute défavorables à l'Eglise catholique, met en belle évidence la question provocatrice, qui découle de la célèbre phrase de François, «qui suis-je pour juger un gay?», et plus généralement, de la ligne pastorale du pape Bergoglio, empreinte non de condamnation, mais de miséricorde, non de conflit avec la modernité, mais de dialogue.

L'opération de l'hebdomadaire est transparente. En posant la question, il attrappe, comme on dit, deux pigeons avec une seule pierre [ou: il fait d'une pierre deux coups]: il accuse implicitement l'Église pré-Bergoglio d'avoir toujours été rétrograde et en même temps, il met le doigt sur les divisions que le Pape argentin, avec ses choix et sa ligne, provoque dans le camp catholique.

L'hebdomadaire, en effet, prend la peine d'expliquer que dans les sondages américains François est en chute libre, parce que beaucoup de catholiques conservateurs voient en lui une cinquième colonne de la gauche et de l'écologisme, mais il reconnaît que le pape est un «communicant superbe», et explique qu'il est également «un gardien habile de l'image du catholicisme», en ce qu'il «rend superflu de rappeler ce en quoi il croit» et s'en remet à des gestes éloquents comme la renonciation aux vêtements fastueux, l'utilisation d'une berline utilitaire pour ses déplacements et le choix de vivre dans une petite pièce à Santa Marta.

Le titre de l'hebdomadaire américain donne à réfléchir: si cette question est venue à l'esprit de quelqu'un, cela signifie-t-il que François, d'une certaine façon, la légitime? Dans les mots, dans l'enseignement et dans les gestes de ce pape, y a-t-il vraiment quelque chose qui se heurte à la foi catholique, ou, au moins, ne la reflète pas pleinement?

* * *

8 Décembre 2015.
Dans un appel, le bimensuel américain "The Remnant", expression de groupes catholiques traditionalistes, demande au pape Bergoglio de se retirer parce qu'«un nombre croissant de catholiques, parmi lesquels plusieurs cardinaux et évêques, commencent à reconnaître que son pontificat [...] est aussi la cause d'un préjudice grave à l'Église catholique. Il est devenu impossible de nier le fait - écrivent les promoteurs - que Votre Sainteté ne possède pas la capacité ou la volonté de faire ce qui est au contraire le devoir de chaque pape selon les mots de Votre prédécesseur : "Il doit constamment se lier lui-même, et lier l'Eglise, à l'obéissance à la Parole de Dieu, face à toutes les tentatives de l'adapter ou de la diluer, et face à tous les opportunismes».

De l'avis de "The Remnant", au lieu de centrer l'enseignement de l'Église sur la parole de Dieu, François entreprendrait de proclamer ses propres idées et le ferait «dans de multiples homélies, conférences de presse, déclarations impromptues, interviews à des journalistes, discours de diverses sortes et lectures idiosyncrasiques de l'Écriture. Ces idées, qui vont d'être inquiétantes à l'hétérodoxie manifeste, sont parfaitement représentées par ce qui est un peu son manifeste personnel, "Evangelii gaudium", un document contenant une série de déclarations incroyables et que jamais auparavant un Pontife romain n'avait osé dire. Parmi elles, nous incluons votre "rêve ... de tout transformer, pour que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toutes les structures ecclésiales deviennent un canal adéquat pour l'évangélisation du monde d'aujourd'hui, plus que pour l' auto-préservation". Il est inconcevable qu'un pontife romain puisse même suggérer un conflit inexistant entre l'auto-préservation de la sainte Église catholique et sa mission dans le monde!».

Les signataires ne pardonnent pas à François d'avoir parlé, dans "Evangelii gaudium", de la tentation, à laquelle les catholiques peuvent céder, de s'enfermer dans des «structures» qui offrent «une fausse protection», dans des «règles» qui transforment les croyants en «juges implacables» et dans des «habitudes» qui ont pour seul but d'avoir la paix. Ce que le Pape appelle structures, règles et habitudes sont, disent les promoteurs de l'appel, l'ossature de la doctrine qui permet à l'Église de ne pas dévier de la route. Les appels de François, ajoutent-ils, sont génériques et produisent la confusion, alors que les épithètes, et parfois les insultes, que le Pape réserve à ceux qui ne pensent pas comme lui - qualifiés tour à tour de «fondamentalistes», «pharisiens» , «pélagiens», «triomphalistes», «gnostiques», «nostalgiques», «chrétiens superficiels», «bande des élus», «paons», «moralistes pédants», «uniformistes», «fiers, autosuffisants», «intellectuels aristocratiques», «chrétiens chauves-souris qui préfèrent l'ombre à la lumière de la présence du Seigneur», et ainsi de suite - sont très claires.

Il y a beaucoup d'autres accusations adressées au pape dans la lettre-appel. Au premier plan, la banalisation l'idée de miséricorde, que François aurait opérée au nom d'une «tendresse» générique qui met dans l'ombre les règles morales contraignantes, alors que l'unique et véritable «révolution de la tendresse» a lieu par le baptême.

La boule de démolition du Pape, "The Spectator", novembre 2015

Et maintenant, une autre couverture. Cette fois-ci, c'est l'hebdomadaire britannique "The Spectator", d'orientation conservatrice, en Novembre 2015. C'est une caricature: François, tout guilleret, est monté sur un boulet de démolition géant qui écrase une église en la réduisant à un tas de gravats. Le titre énonce: Pope vs Church. The Anatomy of a Catholic civil war, c'est-à-dire "Le pape contre l'Eglise. Anatomie d'une guerre civile catholique" (ndt: ma traduction ici benoit-et-moi.fr/2015-II). La thèse de l'auteur, Damian Thompson, peut se résumer ainsi: les réformes «désordonnées» de Bergoglio et ses déclarations «sauvages» suscitent l'appréhension chez les catholiques ordinaires, qui le jugent désormais incontrôlables.

Alors: François n'est pas catholique? Ou est-il trop peu catholique?
Le 22 Septembre 2015, tandis que Bergoglio vole de Cuba vers les États-Unis, l'envoyé du "Corriere della Sera" Gian Guido Vecchi pose la question directement au pape: avant, certains ont dit que le Pape est communiste, maintenant d'autres viennent demander si le pape est catholique ou pas. Qu'en pensez-vous?

Et voici la réponse de François:

«L’un de mes amis cardinal m’a raconté qu’une femme est allée le trouver, très préoccupée : une femme très catholique, un peu rigide, mais bien sous tout rapport, catholique, et elle lui a demandé s’il était vrai que dans la Bible, l’on parlait d’un antéchrist. Et il lui a expliqué. Et aussi dans l’Apocalypse, non ? Et ensuite, s’il était vrai que l’on parlait d’un anti-pape... "Mais pourquoi me posez-vous cette question?", a demandé le cardinal. "Parce que je suis sûre que le Pape François est l’antipape"."Et pourquoi? — a-t-il demandé — pourquoi une telle idée?". "Eh bien, il ne porte pas de chaussures rouges!". C’est ainsi, véridique... Les raisons de penser que quelqu’un est communiste, qu’il n’est pas communiste... Je suis certain de n’avoir rien dit de plus que ce qu’il y a dans la doctrine sociale de l’Église. Au cours de l’autre vol [du retour du voyage d’Amérique latine], une de vos collègues — je ne sais pas si elle est ici, corrigez-moi si je me trompe — m’a dit, lorsque je suis allé parler aux Mouvements populaires: "Vous avez tendu la main à ce mouvement populaire — c’était plus ou moins cela —, mais l’Église vous suivra-t-elle?". Et je lui ai dit: "C’est moi qui suis l’Église", et en cela je pense ne pas me tromper, je crois ne pas avoir dit une chose qui ne soit pas dans la doctrine sociale de l’Église. Les choses peuvent s’expliquer. Peut-être l’une de mes explications a-t-elle donné l’impression d’être un petit peu "gauchiste", mais ce serait une erreur d’explication. Non. Ma doctrine, sur tout cela, dans Laudato si’, sur l’impérialisme économique et tout cela, est celle de la doctrine sociale de l’Église. Et s’il est nécessaire que je récite le "Credo", je suis disposé à le faire!»

La réponse de Bergoglio, telle qu'elle est formulée a braccio dans un italien approximatif, nous permet de comprendre quelle est l'attitude du Pape face à certaines critiques.

Tout d'abord, par rapport à la préoccupation de la «bonne catholique» qui voit même en lui un anti-pape, François a recours à l'expédient rhétorique du ridicule. Je serais un anti-pape parce que je ne porte pas de chaussures rouges? Comme pour dire: ces bons catholiques, attachés à la tradition, ne sont que des formalistes. Vient ensuite la substance de l'auto-défense: en réalité, je n'ai jamais rien dit qui ne soit déjà dans la doctrine sociale de l'Eglise.

Mais François est trop intelligent pour ne pas savoir que la façon dont on dit les choses a une certaine importance. Et il est le premier à admettre que certaines de ses explications ont pu paraître «gauchistes».

Un peu naïf et un peu fourbe, comme il s'est dépeint lui-même, et comme il l'est toujours devant des journalistes, pour dissiper tout doute, François se dit également prêt à réciter le Credo, et cette autre boutade suggère qu'il est bien conscient de la perplexité qu'il est en train de provoquer dans certains secteurs de la communauté ecclésiale. Mais il poursuit tout droit sur son chemin, parce qu'il est convaincu qu'aujourd'hui il est plus important d'intervenir sur les injustices sociales, les pauvretés, anciennes et nouvelles, les problèmes écologiques et la «culture du déchet» plutôt qu'insister sur les aspects doctrinaux et les questions morales (les fameuses «valeurs non négociables» du temps de Benoît XVI: l'avortement, l'euthanasie, l'homosexualité, la procréation artificielle) sur lesquelles dans un passé récent, les déclarations ont été martelantes.

Voilà l'explication de sa stratégie, qui malgré tout, et pour être juste, en matière d'avortement, d'euthanasie et de procréation artificielle, ne l'a pas empêché de confirmer la ligne de ses prédécesseurs.

Cependant, la couverture de "Newsweek" et du "Spectator", tout comme la pétition de "The Remnant", nous disent qu'il y a un malaise, et il s'agit seulement de trois cas parmi les nombreux qui pourraient être mentionnés. Un malaise qui s'est encore accru par la suite, après la sortie d'Amoris laetitia, l'exhortation apostolique post-synodale sur l'amour dans la famille.

A suivre...