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La stratégie des petits pas

Comment François nous offre une nouvelle déclinaison de la parabole de la grenouille bouillie... (16/11/2017)

>>> Cf. benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/le-triste-sort-de-la-grenouille-catholique
>>> Et aussi: Des viri probati ordonnés prêtres (A petits pas, François...., 3 janvier 2017)


Si Jorge Mario Bergoglio est indiscutablement un innovateur, il l’est bien davantage en matière de méthode qu’en matière de résultats.
Il a toujours introduit les nouveautés à petites doses, en catimini, parfois dans une note de bas de page allusive, comme dans le cas de la désormais célèbre note 351 de l’exhortation post-synodale Amoris laetitia, quitte à déclarer ensuite avec candeur, quand on l’interpelle sur le sujet au cours de l’une de ses tout aussi célèbres conférences de presse aériennes, ne même plus se souvenir de cette note.
L’important pour lui c’est de « jeter la graine pour que la force se déchaîne », et de « mélanger le levain pour que la force fasse grandir », selon les termes qu’il a lui-même utilisés dans une homélie à Sainte-Marthe il y a quelques jours.

(Sandro Magister, 12 novembre 2017)

Après cette lumineuse analyse par Sandro Magister de ces quatre années et quelque de pontificat bergoglien, et son titre qui dit tout (« La révolution de Bergoglio. A petites doses mais irréversible ») , résumant à la perfection ce que nous répétons ici depuis des mois (voir en particulier le P. Scalese , qui est le premier - ou le seul - à avoir souligné l'importance de cette phrase d'Evangelii Gaudium: le temps est supérieur à l’espace) voici un autre article qui va dans le même sens, sur l'excellent blog de Francesco Lamendola, que j’ai récemment découvert

La grenouille bouillie de Bergoglio
La stratégie des petits pas

Francesco Lamendola
www.accademianuovaitalia.it
13 novembre 2017
Ma traduction

* * *

Nous pourrions l'appeler, et certains l'ont appelée, la stratégie des petits pas: c'est celle avec laquelle la nouvelle église se substitue peu à peu, un petit peu à la fois, une parole ou un geste à la fois, à la véritable Église catholique, celle qui doit être écrite en majuscules, parce que c'est l'Église des Saints, fondée par Jésus-Christ et reposant sur la terre, mais tendue vers le monde au-delà de la terre, assistée par les anges et pas les archanges, et par Marie toujours Vierge, en passant par les âmes saintes du Purgatoire et du Paradis, jusqu'au trône de Dieu.
Petits pas, mais quotidiens, méthodiques, implacables: et un petit pas par jour, cela signifie un énorme changement en l'espace de quatre ans et demi. Ce que le Pape François voulait, ce qu'il avait annoncé dès le début: changer l'Église. Ce n'étaient pas des paroles en l'air: il voulait le faire, il est en train de le faire, il l'a fait, avec le néoclergé animé par ses propres intentions et objectifs: les différents monsignori Paglia, Galantino, Lorefice, Perego, D'Ercole, Cipolla, Castellucci, et les différents religieux comme [le Père] Sosa Abascal, ou les différents théologiens comme Andrea Grillo. Ainsi, un petit pas par jour, à partir de ce 11 février 2013 où Benoît XVI, à la surprise générale, a annoncé son intention de démissionner, ce qui devint ensuite effectif le 28 février 2013 (mais il est encore vivant, et relativement en bonne santé, de sorte qu’il y a simultanément deux papes: une situation, pour dire le moins, anormale) jusqu'à aujourd'hui, le changement apparaît énorme, radical et, peut-être, irréversible: ce n'est plus l'Eglise. Certains l'appellent aussi la stratégie de la "grenouille bouillie": en élevant progressivement, presque insensiblement, la température, la grenouille ne remarque pas qu'elle en train de bouillir encore vivante, et lorsqu'elle en prend conscience, il sera trop tard pour qu’elle se sauve. D'autres se souviennent de ce que l'on appelle la "fenêtre Overton" (*), c'est-à-dire l'art (scientifique) de changer radicalement les opinions des gens, sans qu'ils réalisent le moins du monde qu'ils ont été habilement et complètement manipulés, au point d'entendre et de penser exactement le contraire de ce qu'ils avaient ressenti et pensé peu de temps auparavant.

Le pape, répétons-le, a été le maître et le chef de file de cette stratégie; et il l'a fait, et il est en train de le faire, de façon tellement méthodique, avec tellement de persévérance, si consciencieusement, tout en donnant l'impression (fausse) d'une extrême spontanéité, et presque d'une constante improvisation, toutes choses qui plaisent tellement aux gens qu'il est devenu un objet d'étude pour les chercheurs en sciences de l'éducation, et qu'il incarne un modèle qui pourra difficilement être surpassé dans un avenir proche.

Quand, par exemple, en parlant du mystère de la Sainte Eucharistie - parce qu'il s'agit d'un mystère, et même d'un Mystère: le Mystère sacré par excellence - il n'utilise pas le mot transsubstantiation, comme doit le faire un bon catholique, ne disons pas un théologien plus ou moins raffiné, mais n'importe quel curé ou aumônier de paroisse, mais plutôt le mot théophanie [ndt : durant l’AG du 8 novembre] ; derrière l'apparence d'une certaine originalité et peut-être d'une certaine imprécision de langage, il poursuit comme toujours sa stratégie des petits pas: il élève de 1° la température de l'eau dans laquelle la grenouille se trouve immergée.

Et quand il lance, avec une parfaite nonchalance, une affirmation gravissime et inouïe, celle que sur la question de la prédestination, Luther avait raison, et qu’il le fait à bord d'un avion qui le ramène chez lui, d'un de ses voyages pastoraux, c'est-à-dire d'une chaire non officielle, particulièrement "familière" et "décontractée", comme celle qui se crée dans de telles circonstances, en l'absence d'un public et d'un contexte institutionnalisés , il le fait avec une malice délibérée et calculée: il ne peut pas ne pas savoir qu'il a proféré une hérésie, mais il le fait avec un tel sourire, avec une telle "spontanéité", avec un telle charge de sympathie humaine (question d'opinion !) que même l'hérésie passe sur le fond, et que même, elle n'est pas perçue comme telle. Personne ne réagit, personne ne se scandalise, personne ne le corrige, ou n'exige de clarification: tous se taisent, et qui ne dit mot consent. Rien ne passe dans la presse ou à la télévision; la seule chose qui "passe", c'est la charge humaine de ce pape tellement abordable, si informel, qui s'entretient avec une telle immédiateté avec les journalistes. Et ainsi, la température de l'eau augmente encore d'1°, et même plus: la grenouille est maintenant rosée, elle commence à fumer, mais il semble qu'elle n'est pas encore consciente du véritable destin qui l'attend.

La même stratégie est celle de Galantino & Cie. Chaque jour, ils augmentent la dose, mais seulement un peu; de temps en temps, ils en sortent une plus grosse, puis ils voient ce qui se passe: c'est un test. Comme il ne se passe rien, ils se préparent à en sortir une encore plus grosse la fois suivante.
Galantino, par exemple, dit que la réforme luthérienne a été une œuvre du Saint-Esprit: jusqu'à il y a six ou sept ans, un tollé aurait éclaté et, pour commencer, le pape l'aurait corrigé. Aujourd'hui, personne ne le corrige, tout le monde se tait, et "qui tacet, consentire videtur".
Ou bien Paglia: il dit que nous devrions tous prendre son ami Marco Pannella comme modèle de vie spirituelle: personne ne dit rien, personne ne souligne que le prendre comme modèle, c'est jeter toute la foi catholique au panier, en commençant par l'Evangile. Et allons-y.
Sosa Abascal dit que le diable n'existe pas: personne n'intervient, personne ne le corrige, donc tout va bien, on peut continuer tranquilles: et élever la température de l'eau dans le pot d'un autre degré.
Puis Cipolla dit qu'il se ferait un plaisir d'enlever les symboles chrétiens pour ne pas compromettre l'amitié avec les musulmans: silence de tombeau.
Puis Perego dit que l'avenir des Italiens est le métissage: personne ne proteste, personne ne le corrige: donc, tout va bien. Puis D'Ercoli écrit que, pour prêcher l'Évangile, il faut d'abord créer des conditions de justice sociale; silence assourdissant: la voie est libre.
Puis Castellucci ordonne au théologien Antonio Livi d'annuler une conférence, qu'il devait prononcer dans son diocèse, sur le thème du relativisme galopant: personne ne proteste, personne ne réclame d'explications; d'ailleurs, l'explication, il l'a déjà donnée, lui, l'évêque bergoglien de fer: il faut éviter ce qui crée des "divisions". Mais des divisions, où? A l'intérieur de l'Église, ou à l'extérieur de l'Église, envers ceux qui haïssent l'Église et les valeurs dont elle est porteuse? On ne sait pas: quoi qu'il en soit, personne ne parle, alors tout va bien. Et en avant, toujours.

Chaque jour comme cela; chaque jour que Dieu envoie sur la terre. Gutta cavat lapidem, disaient les Romains: même une goutte d'eau peut creuser la pierre, si elle tombe sans cesse.
Et ce ne sont pas seulement les prêtres, mais aussi les laïcs, qui se prêtent à ce travail de destruction systématique et de remplacement, morceau par morceau, de la doctrine catholique: le professeur Melloni, par exemple, héritier de l'école de Bologne et de la tradition de Dossetti, qui est l'auteur de "sa" traduction du Credo de Nicée-Constantinople, et à qui personne ne songe à demander avec quelle autorité il a fait une chose de ce genre: comme si le fait que n'importe qui traduise les textes fondamentaux de la religion catholique et les mette en circulation était dans l'Eglise catholique la chose la plus naturelle du monde, exactement comme elle l'est dans le milieu protestant.
Mais le pape, selon quelque pompier volontaire, est souvent mal compris. Vraiment? Et alors, comment se fait-il que quand d'éminents cardinaux, et ensuite d'illustres théologiens, demandent explicitement des éclaircissements sur un document important pour la foi et la morale catholiques comme Amoris Laetitia, il se refuse purement et simplement à répondre. Alors que si le cardinal Sarah essaie d'interpréter un document comme Magnum Principium, pour sauver ce qui est sauvable dans la sainte liturgie, le Pape s'empresse d'intervenir, à voix haute et claire, pour le corriger et lui donner le démenti, et il le fait avec une réactivité et une décision surprenantes?
A l'évidence, le pape reste silencieux quand l'ambiguïté de ses paroles l'arrange, mais intervient, et avec une extrême fermeté à la limite de la brutalité, quand il voit le risque qu'une telle ambiguïté offre un espace à la dissidence par rapport au changement qu'il voulait.

Et quand, par exemple, son grand ami Eugenio Scalfari dit, et même écrit et diffuse dans la presse, qu'il s'est forgé une opinion, à travers ses différentes conversations avec le pontife, que ce dernier ne croit ni au Jugement ni à l'Enfer, contrairement à ce qu'enseigne le Magistère avec toute la doctrine catholique, il est certain que, si le pape avait décidé d'intervenir pour rectifier cette impression, et pour professer son adhésion au vrai enseignement du Christ, il l'aurait fait. Or, s'il ne l'a pas fait, il ne peut y avoir qu'une raison: qu'il n'y a rien à rectifier. Du reste, à sa manière, le pape lui-même a dit qu'il n'y aura ni Jugement divin, ni damnation éternelle pour les pécheurs impénitents: il l'a fait comprendre lors de l'audience générale du 23 août 2017, disant que Dieu appellera tous les hommes à habiter avec lui, sous une immense tente: ce qui veut dire que personne ne sera jugé et d'autant moins puni.
Mais ce n'est pas la doctrine catholique, c'est autre chose, de complètement différent. Au fond, ce n'est pas étonnant: si, pour lui, Dieu n'est pas catholique, comme il l'a dit de la façon la plus explicite, alors nous ne devons pas nous attendre à ce que Dieu se comporte comme le dit la doctrine catholique. Voilà pourquoi la doctrine le gêne tellement: non pas parce que c'est quelque chose de rigide et donc une "idéologie" qui divise (Homélie de sainte Marthe du 19 mai 2017), mais parce qu'elle est ce qu'elle doit être: la doctrine catholique. Il n'aime pas les doctrines et n'aime pas le catholicisme; il aime encore moins le catholicisme tel qu'il est aujourd'hui présenté et interprété par l'Église. Il veut le changer, et il le fait avec tous les outils dont il dispose: et qui sont vraiment nombreux, d'abord son immense (et facile, trop facile, pour ne pas dire démagogique) popularité. Il est devenu une star médiatique, ils sont tous fous de lui: mais vraiment tous. On imprime même des magazines entièrement dédiés à lui, à sa personne, qui l'idolâtrent presque comme si, dans l'estime et l'affection des fidèles, il venait d'abord, lui, puis derrière, le Seigneur Dieu.

Étrange, pourtant: en son temps, dans la Palestine d'il y a deux mille ans, ils n'étaient pas tous fous de Jésus-Christ. Certains l'aimaient, l'admiraient et l'écoutaient; mais beaucoup le détestaient, le haïssaient et voulaient le voir mort. A la fin, les seconds l'ont emporté. Il ne semble pas que les foules aient été séduites par son charme, indistinctement; beaucoup s'en allaient, déçus en disant: «Ce langage est dur! Qui peut l'entendre?» (Jean, 6,60).
La raison? Parce que Jésus ne disait pas aux gens uniquement ce qui était agréable à leurs oreilles; il leur disait aussi dit des vérités douloureuses et dérangeantes; et il énonçait clairement qu'on ne peut pas servir deux maîtres, Dieu et le monde. Et, dans ce cas précis, il avait dit:
«La gloire, je ne la reçois pas des hommes; d’ailleurs je vous connais: vous n’avez pas en vous l’amour de Dieu. Moi, je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas; qu’un autre vienne en son propre nom, celui-là, vous le recevrez! Comment pourriez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et qui ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique?» (Jean, 5:41-44); et puis il avait préannoncé son Sacrifice imminent et parlé du mystère de la Sainte Eucharistie: manger son Corps et boire son Sang. «À partir de ce moment - note l'évangéliste - beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner» (Jean, 6:66).

Mais quand le pape François, ses cardinaux et ses évêques soi-disant de rue parlent-ils un langage "dur", c'est-à-dire franc et d'une sévérité salutaire? Quand mettent-ils en garde contre les conséquences fatales du péché? Quand parlent-ils de la Croix, et disent-ils que le christianisme sans la Croix n'est rien, c'est une doctrine parmi tant d'autres, un ensemble de préceptes moraux, et pas la seule vraie source de la Vie éternelle, qui jaillit cristalline et inépuisable du rocher de la Divine Révélation?

Il y a seulement un détail à préciser, qui semble d'ailleurs ne pas intéresser le moins du monde le pape: s'il veut changer l'Église, eh bien, il n'en a pas le droit. Cela ne rentre pas dans sa fonction. Ce n'est pas pour cela qu'un pape est élu au trône de saint Pierre, mais pour garder le Dépôt de la foi et veiller à l'orthodoxie parfaite de la doctrine et de la liturgie. C'est à cela, et à rien d'autre, que sert un vicaire du Christ sur terre: un vicaire est celui qui représente quelqu'un d'autre, et ce quelqu'un est Jésus-Christ, le chef unique et indiscuté de l'Église catholique. Le pape n'a aucun pouvoir de changer ou de modifier, même marginalement, la doctrine; il n'a aucun droit de se comporter comme si l'Église était sa propriété, même fiduciaire, et comme si ses compétences incluaient la faculté de la changer selon ce que lui désire, autrement dit - parce que le refrain est toujours le même, désormais, nous le connaissons par cœur - selon ce que lui et d'autres considèrent comme le "vrai" esprit de Vatican II. C'est bien pratique, de toujours parler de "l'esprit" de Vatican II: chacun peut mettre dans cette expression vague et ambiguë tout ce qui lui plaît. Le fait est que les modernistes et les progressistes ont besoin d'un prétexte, d'un paravent formel, de n'importe quel support pour réaliser leur projet de transformation radicale de l'Église et de la doctrine, selon leurs buts précis et le Concile, dans cette perspective, n'est rien de plus qu'un instrument à utiliser, si et tant qu’il s'avère utilisable: en se référant non pas aux documents précis du Concile, mais à un "esprit de renouveau" non précisé davantage, on peut comprendre tout et le contraire de tout. Mais pour le chrétien, un seul texte fait foi: l'Évangile de Jésus....

NDT

(*) Technique de manipulation mentale permettant de modifier la façon dont l'opinion publique se représente un problème donné:
Conformément à la "fenêtre des possibilités d'Overton", vis-à-vis de toute question ou problème donné, il existe dans la société ce que l'on pourrait appeler une fenêtre de possibilités. Dans les limites de cette "fenêtre" une question donnée peut être largement discutée, soutenue ouvertement, faire objet de propagande, ou se trouver en voie de légalisation. La fenêtre se déplace, modifiant ainsi l'éventail de ce qui est ou non possible, du stade de "l'impensable", c'est-à-dire totalement inacceptable pour la morale publique, au stade de "l'actualité politique", c'est-à-dire déjà largement débattu, accepté par les masses et ayant force de loi. (Agoravox)