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Ne touchez pas au catéchisme

Le Père Antonio Livi relève tous les problèmes - surtout théologiques, mais aussi juridiques - que soulève le récent discours du Pape sur la peine de mort (17/10/2017)

>>> Le discours de François adressé aux membres du Conseil Pontifical pour la promotion de la Nouvelle Evangélisation, à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la Constitution apostolique Fidei depositum: w2.vatican.va

>>> Voir aussi:
¤ Développement de la doctrine
¤ Peine de mort: une réponse au pape

Il ne faut évidemment pas se laisser tromper par les précautions nombreuses (et nécessaires, compte tenu de l'ambiance actuelle) dont s'entoure le religieux pour au moins exprimer ses dubia sur les affirmations papales.

Le catéchisme, hier, aujourd'hui et demain

Père Antonio Livi
17 octobre 2017
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

Comme tous les catholiques sensibles aux problèmes théologiques et pastoraux de l'époque dans laquelle nous vivons, j'ai exulté à la publication du Catéchisme de l'Église catholique, que je considère comme l'une des plus grandes mérites ecclésiaux du grand Pontife Jean-Paul II. De même que le Catechismus ex decreto Concilii Tridentini ad parochos fut voulu par le Pape Pie V pour mener à bien la réforme catholique voulue par le Concile de Trente, ce moderne catéchisme universel devait servir à donner au peuple chrétien une notion précise de la foi catholique, au-delà des interprétations partielles (y compris orthodoxes) et surtout contre les interprétations abusives (et donc hétérodoxes) du Concile Vatican II.
Avant même que saint Jean Paul II ne prenne cette décision historique, je m'occupais des problèmes de catéchèse qui se posaient à la suite de cette "désorientation pastorale" qui s'était déjà produite dans les décennies qui suivirent la conclusion de Vatican II et qui prend aujourd'hui des dimensions incontestablement dramatiques. Beaucoup de catéchismes nationaux (en particulier celui connu sous le nom de Catéchisme hollandais) causaient une désorientation encore plus grande. J'ai collaboré avec le philosophe et théologien salésien Franco Amerio pour récupérer les parties toujours actuelles du Catéchisme romain, réalisé après le Concile de Trente, et pour rééditer, actualiser et commenter son Nuovo Catechismo antico (publié en 1971) avec pour nouveau titre La dottrina della fede: dogma, morale, spiritualità (en 1981).
Puis, une fois commencés les travaux pour la préparation du Catéchisme de l'Église catholique, je pus suivre les efforts du principal rédacteur italien, mon ami don Sandro Maggiolini, qui avait hébergé mes articles dans la revue du clergé italien et qui était devenu évêque de Côme. Enfin, ma joie fut grande lorsque le président du Conseil Pontifical pour la Nouvelle Évangélisation, Mgr Rino Fisichella (avec qui j'ai eu une fructueuse collaboration académique quand il était recteur de l'Université du Latran et dont j'étais membre du Sénat académique en tant que doyen de la Faculté de Philosophie) présenta une édition spéciale du Catéchisme de l'Église catholique vingt-cinq ans après sa publication.

Une joie qui a ensuite diminué lorsque j'ai appris que parmi les commentateurs de l'édition spéciale, figure cet Enzo Bianchi, auquel je ne reconnais aucune compétence théologique authentique, alors que je connais malheureusement son militantisme dans les rangs du progressisme réformiste et antidogmatique. Mais plus inquiétant encore, dans le but de réorienter le peuple catholique vers les sources de la foi, c'est la réduction que le Pape François - tel que les médias ont rapporté son discours - a faite du Catéchisme de l'Église catholique à simple document historique d'un changement doctrinal perpétuellement "in progress". Le Pape n'a en effet cité, parmi les nombreuses considérations faites par saint Jean Paul II à propos de la valeur d'orientation du Catéchisme de l'Église catholique, que celles concernant les changements, comme quand il écrivait qu'"il doit tenir compte des explicitations de la doctrine que l'Esprit Saint a suggérée à l'Église au cours du temps. Il est en outre nécessaire qu'il aide à éclairer avec la lumière de la foi des situations et des problèmes nouveaux qui n'étaient pas encore apparus dans le passé" (Constitution apapostolique Fidei depositum, n° 3).

Il est clair que, parlant des enseignements de l'Église qui servent à "éclairer avec la lumière de la foi des situations et des problèmes nouveaux qui n'étaient pas encore apparus dans le passé", le Pape Wojtyla se référait non pas au noyau fondamental de la doctrine de la foi - qui concerne les mystères de la Trinité et de l'Incarnation, et donc la fonction sanctifiante des sacrements - mais à ses applications à la vie des fidèles individuels et de la communauté chrétienne. Ces applications - morales, liturgiques et pastorales - sont logiquement relatives aux mutations historiques, et sont donc sujettes à des réformes de la théologie morale et du droit canonique qui visent à remplacer les règles du passé par d'autres plus valides, ou à introduire une réglementation complètement nouvelle.

Au contraire, les vérités dogmatiques sont en elles-mêmes immuables, et c'est précisément pour cela que l'Église les annonce à travers lesdites "définitions" ou "formules dogmatiques", qui ne peuvent pas être modifiées et encore moins contredites: et non par "conservatisme", mais par logique pure et simple, parce qu'il ne peut y avoir de raisons valables de changer une vérité que l'Église a établie une fois pour toutes, comme Dieu l'a révélé (graduellement) à travers les prophètes, et ensuite (définitivement) au moyen de son Fils. L'immuabilité du dogme est le principe logique qui régit l'ensemble de la fonction magistérielle de l'Église et sur la base de ce principe se justifie l'autorité même du Pape, en tant que Maître suprême de la foi, sur tous les chrétiens.

Vatican II l'a confirmé dans la Constitution dogmatique Dei Verbum, et le Pape Paul VI a précisé (dans l'encyclique Mysterium fidei, faisant référence au terme "transsubstantiation") que même le langage des définitions dogmatiques doit toujours être maintenu, parce que la signification et le sens de la vérité révélée lui sont liés. Le Pape Bergoglio affirme au contraire que le Catéchisme de l'Église catholique «constitue un instrument important, non seulement pour exposer aux croyants l’enseignement de toujours pour que grandisse la compréhension de la foi, mais aussi et surtout, parce qu’il entend s’adresser à nos contemporains, avec leurs questions à la fois diverses et nouvelles. C’est ainsi que l’Eglise s’engage à exposer la foi en tant que réponse significative pour l’existence humaine, dans le moment particulier de l’histoire que nous vivons. Il ne suffit donc pas de trouver un langage nouveau pour exprimer la foi de toujours. Face aux nouveaux défis et perspectives ouvertes devant l’humanité, il est nécessaire et urgent que l’Eglise expose la nouveauté de l’Evangile du Christ, contenue dans la Parole de Dieu, mais pas encore mise en lumière».
Et il fait ce discours pour annoncer sa décision de corriger ce que le Catéchisme de l'Église catholique enseigne sur le thème de la peine de mort.

Tommaso Scandroglio et d'autres sur la Nuova Bussola en ont déjà parlé, mais je voudrais revenir sur le sujet, non pas pour insister à nouveau sur le principe éthico-politique de la légalité possible de la peine de mort, mais pour recommander à nos lecteurs de ne pas interpréter l'intervention du Pape comme s'il avait voulu réduire la portée pastorale du Catéchisme de l'Église catholique, en transformant - en nette discontinuité avec les indications pastorales de saint Jean-Paul II et de Benoît XVI - ce qui devait être un point de référence clair et sans équivoque de la foi de l'Eglise, en un chantier ouvert de continuels mises à jour et réformes.

On m'a demandé: mais le Pape actuel peut-il changer le Catéchisme de l'Église catholique? Je réponds: il peut certainement le faire, s'il le juge utile à l'Église. Sur ce point, selon ce que l'Église enseigne à propos des pouvoirs du Pape, il n'y a pas de discussion. Si toutefois quelqu'un me demande si, en ce moment de l'histoire, il serait vraiment utile pour l'Église de changer le Catéchisme de l'Église catholique, je réponds que je ne pense pas que ce serait utile, et même que cela me semble nuisible. Avant de poursuivre, je voudrais préciser, pour éviter les malentendus (il y en aura cependant, parce qu'il n'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre), que je n'ai évidemment rien à objecter aux décisions que prendra le Pape pour modifier le texte du Catéchisme de l'Église catholique.

Dans ces matières, les changements de la catéchèse officielle entrent dans la catégorie de ses décisions souveraines et incontestables de gouvernement; théologiquement parlant, ce sont des "choix prudentiels" du pape, dont seul Dieu peut savoir s'ils sont absolument justes et nécessaires, c'est-à-dire s'ils sont faits avec le juste amour pour l'Église et la juste prudence pastorale. Mais, étant donné les circonstances pastorales actuelles que j'ai mentionnées (la désorientation doctrinale très grave et croissante des fidèles dans toutes les parties du monde), on peut (peut-être, on doit) s'adresser à l'opinion publique catholique en disant clairement que les éventuelles modifications du Catéchisme de l'Église catholique annoncées par le pape ne changent pas la doctrine dogmatique et morale de l'Église. Elles ne la changent pas, ni en abolissant une des vérités déjà définies comme divinement révélées (cela constituerait en fait une hérésie impossible de la part du Pape), ni en la développant de manière cohérente et homogène.

L'insertion d'une précision concernant l'exclusion absolue de la peine de mort des codes pénaux des États du monde entier ne peut pas être considérée comme un acte du magistère pontifical qui s'inscrit d'une quelconque manière dans le processus doctrinal que le dominicain espagnol Francisco Marín Sola appelait à juste titre «evolución homogénea del dogma católico». Elle concerne plutôt la pratique pastorale de l'Église, et s'insère dans une stratégie de communication que le Pape François adopte depuis le début de son pontificat. Il s'agit de l'une des nombreuses indications morales (celle que les Américains appellent "public ethics") que le Pape adresse aux institutions étatiques et aux organisations internationales (ONU, FAO, Unesco, UE) montrant, d'une part, le plein partage de leurs stratégies politiques, et les exprimant avec le langage et les catégories idéologiques de la "neue politische Theologie" (Johan Baptist Metz) et de la "Weltethik" (Hans Küng).

Maintenant, si je ne me permets pas de critiquer cette stratégie pastorale du Pape, je me sens cependant obligé de mettre les fidèles en garde contre le langage ambigu et les raisons apparemment uniquement théologiques que le Pape François adopte pour expliquer ou justifier certaines initiatives. A commencer par le fait de dire que ces directives sociopolitiques sont émanées au nom de l'Évangile, dérivent de l'Évangile, qu'elles s'inspirent directement de l'Esprit Saint, à tel point que s'opposer à elles revient à nier le fait d'être chrétien.

Ici, deux choses doivent être clarifiées (pas au Pape, qui est le maître suprême de la foi et à qui je ne dois rien enseigner, mais à mes lecteurs):

1) La première est que l'Évangile est une chose bien précise: c'est une révélation divine, dans ses formes historiques de transmission (la Tradition et l'Écriture), et coïncide avec le dogme catholique, comme l'enseigne solennellement Vatican II dans Dei Verbum; il n'est donc pas possible de recourir à un Évangile inventé, comme le cardinal Walter Kasper et beaucoup d'autres (par exemple, Enzo Bianchi) le font pour conférer la dignité de la révélation publique à leurs opinions très privées sur le Christ (duquel ils s'obstinent à nier la divinité, pourtant proclamée dans le Credo) et sur la sainte Vierge (à laquelle ils nient le titre de Mère de Dieu, qui a pourtant été décrété par le Concile d'Ephèse)
2) La seconde est que l'Esprit Saint est envoyé par Jésus et le Père pour rappeler aux fidèles ce que Jésus a enseigné, et non pas pour introduire dans le "depositum fidei" quelque chose de nouveau ou de contraire à ce que Jésus a dit.

Cela dit, il est évident que parler de l'Évangile pour exclure pépemptoirement la peine de mort comme mesure de justice prévue par un système judiciaire d'État, engendre de la confusion. Au contraire, à y regarder de près, les Évangiles contiennent de nombreux discours de Jésus dans lesquels Il parle du pouvoir civil et de ses prérogatives, y compris judiciaires, sans en condamner certaines comme contraires aux commandements de Dieu. Il y a ensuite un passage de la Lettre aux Romains où l'on peut lire: «les gouvernants ne doivent pas être craints quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Tu ne veux pas avoir à craindre l'autorité? Fais le bien et tu en auras des louanges, car elle est au service de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, alors crains, parce qu'elle ne porte pas en vain l'épée; elle est en effet au service de Dieu pour la juste condamnation de ceux qui font le mal» (13,3-4).

On m'objectera: mais le Pape exige que le pouvoir politique ne se limite pas à la justice et qu'il fasse preuve de miséricorde. Or, ceci - en tant qu'acte de magistère pontifical - peut être logique s'il s'agit en particulier de l'exercice du pouvoir temporel de la part du Saint-Siège (l'Etat pontifical hier, l'Etat de la Cité du Vatican aujourd'hui), dont l'autorité, qui est précisément le Pape, doit nécessairement adhérer à la morale évangélique en plus de la morale naturelle dans l'établissement et l'application des normes du droit pénal. En ce sens, il n'est pas surprenant que le Pape François dise: «Malheureusement, même dans les Etats Pontificaux, on a eu recours à ce remède extrême et inhumain, faisant ainsi disparaître le primat de la miséricorde sur la justice», même si cela ne semble pas respectueux et charitable envers les Papes qui l'ont précédé, les condamnant tous sans appel pour avoir eu «une mentalité plus légaliste que chrétienne», ajoutant ensuite que «Le désir de garder entiers les pouvoirs et les biens matériels avait amené à surestimer la valeur de la loi, empêchant ainsi d’aller plus en profondeur dans la compréhension de l’Evangile».

Il n'est en revanche pas logique d'exiger que le pouvoir politique ne se limite pas à la justice et qu'il fasse preuve de miséricorde lorsqu'il s'agit de l'exercice du pouvoir temporel de la part d'un État souverain dont l'Église, surtout après le Concile Vatican II, a voulu reconnaître et respecter la laïcité. Un État laïc (c'est-à-dire un État non confessionnel et non gouverné par le Vatican, même pas indirectement) n'a pas le devoir constitutionnel d'exercer la miséricorde évangélique, parce que cette miséricorde est un devoir de la conscience des chrétiens individuels, en tant que sujets moraux: et l'État n'est pas un sujet moral, mais seulement le système juridique avec lequel la société civile organise l'exercice du pouvoir législatif, judiciaire et exécutif pour le bien commun. Et cette organisation a pour seule règle l'adaptation à la loi morale naturelle, selon laquelle sont valides les lois positives, visant toujours à maintenir les conditions essentielles au bien commun (défense de l'ennemi extérieur, défense des ennemis intérieurs, concorde et équité sociale).

Si l'Etat considère parfois que ces objectifs sont garantis aussi par des mesures de grâce (indulgence, amnistie, annulation ou commutation des peines les plus lourdes), ce n'est pas la conséquence de l'intervention d'une autorité religieuse, par exemple le Saint-Siège, mais cela se justifie uniquement par des raisons philosophico-juridiques.

(...) Dans l'administration de la justice, un État laïque peut modifier ses lois, à travers des réformes votées par le Parlement, ou par l'intervention de la Cour constitutionnelle, poussée par l'opinion publique, c'est-à-dire une mentalité commune différente, qui considère - c'est le cas de la peine de mort - que la défense de la communauté contre les agresseurs internes (assassins, violeurs, émeutiers, mafieux, terroristes, etc.) peut être garantie même sans l'institution de la peine de mort.

Mais ce nouveau "sens moral" qui se manifeste dans l'opinion publique mondiale ou dans certaines aires géopolitiques n'est pas (du moins formellement) le résultat d'une nouvelle compréhension de l'Evangile, mais dérive de l'évolution de la culture des Lumières qui, déjà au XVIIIe siècle, avec le traité Dei delitti e delle pene de César Beccaria, avait critiqué la torture et le recours excessif à la peine de mort. En somme, l'abolition de la peine de mort n'est pas demandée par l'opinion publique au nom de l'Évangile sic et simpliciter, mais au nom de nombreux principes de justice distributive qui combinent l'esprit du droit romain avec le naturalisme moderne et la philosophie politique de Rosmini et Maritain.

Il est donc surprenant que ce soit maintenant le Pape qui s'en remette, face aux pouvoirs civils, non pas aux fondements de la loi naturelle, mais à l'opinion publique (le "politiquement correct"), qui peut être vue avec sympathie par le magistère pontifical sur ce sujet spécifique, mais qui en revanche ne peut pas être soutenue sur d'autres sujets apparentés, tels que la législation permissive sur l'avortement, l'euthanasie et le prétendu "suicide assisté".