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Pourquoi le pape ne va-t-il pas en Argentine?

C'est décidément une question (sans réponse), que pose, amusé, un historien italien spécialiste du péronisme dans "La Nacion" (13/7/2017)

>>> C'est l'article dont parlait hier (Le Pape qui "snobe" son pays natal) Andrea Zambrano sur La Bussola.

Loris Zanetta

Loris Zanatta (Historien italien spécialiste du Péronisme) présente l’affaire dans un article paru le mardi 11 juillet 2017 dans la page « Opinion » du journal argentin « La Nación ». L’article s’adresse aux Argentins et donc évoque des personnalités pas forcément très connues en France…mais l’ambiance générale est donnée et semble bien restituée.
(Carlota)

Pourquoi le Pape François ne se rend-il pas en Argentine?

Loris Zanetta
www.lanacion.com.ar
Traduction de Carlota

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Pourquoi est-il allé en Afrique centrale et en Extrême Orient, en Suède, en Turquie et dans différents pays d’Amérique latine, mais pas dans son pays?
On peut comprendre que cela éveille des conjectures et allume des controverses. L’entourage du Pape répond d’un haussement d’épaules : l’habituel provincialisme; comme si le Pape avait du temps pour des ragots de ce genre.
Au fur et à mesure que le temps passe, cependant, il est de plus en plus clair que le choix du Pape est un choix délibéré, un calcul conscient. Comment l’expliquer autrement ? Ceux qui lancent des absurdités sont ses amis, ses dévots, ses innombrables porte-paroles: celui qui dit qu’il vient de le voir, celui qui se vante d’anciennes relations, celui qui fait allusion à des canaux privilégiés. La cacophonie est énorme et le cirque qui grandit n’est pas pour le bénéfice de l’image du Pape : dis-moi avec qui tu chemines et je te dirai qui tu es, penseront certains.

Tout le monde croit savoir pourquoi le Pape ne vient pas en Argentine. Personnellement je n’en ai pas la moindre idée : je regarde surpris et un peu amusé le débat. J’ai lu une journaliste qui dit être amie de Bergoglio depuis 17 ans. Ses photos avec le Pape semblent le confirmer. En passant, elle a écrit un livre sur le Pape «intime» et a déjà pronostiqué sa béatification. Elle sait pourquoi le Pape ne viendra pas en Argentine. Mais elle ne le dit pas. Et nous, morts de curiosité. En fouinant dans les archives, il s’avère que la dame conserve une paire de squelettes dans le placard [des squelettes pour qui??]. Sans importance, de vieilles choses.

Jalousie en perspective, mais ceux qui se sont le plus inquiétés ,ce sont ceux qui ont été les autres amis de Bergoglio. En particulier Gustavo Vera : c’est inexplicable pour beaucoup qu’un ex-trotskiste, maintenant candidat sur les listes de Cristina Kirchner, se fasse passer pour un porte-parole du Pape et que le Pape l’accrédite comme tel. C’est un saint qui libère des esclaves, dit-on à ses côtés. C’est un violent sans beaucoup de discernement et sans aucun respect de la loi, disent ses détracteurs. Il se présente aux côtés de Guillermo Moreno, admirateur du Pape, et en même temps avec des méthodes peu orthodoxes, pour user d’un euphémisme. Moreno a été secrétaire [d’état] au Commerce mais il détestait le marché : comme un bon péroniste, comme un bon bergoglien. Ce ne sont pas exactement des hommes qui pacifient, des figures qui réconcilient.

Ce que ces jours-ci on leur reproche, à eux et au Pape, c’est l’invitation au Vatican, pour un sommet sur les nouvelles formes d’esclavage, du procureur général de la Nation, [Mme] Alejandra Gils Carbó. Le scandale ne s’expliquerait pas s’il ne s’agissait pas d’un personnage très discuté pour avoir été impliquée dans un grave cas de corruption et plus encore pour avoir été mise dans ce poste par Cristina Kirchner avec l’intention de se rendre maître du Pouvoir Judiciaire. L’appeler justement à Rome en ce moment n’est pas quelque chose qui unira le pays.

Au-dessus de tous, [on trouve] un vieux dirigeant péroniste qui avec Bergoglio a, dit-il, une vieille amitié né au sein de la Garde de Fer (péroniste, catholique, nationaliste, antilibéral, antimarxiste) et qui semble vivre à l’intérieur de la télévision. Le Pape, dit-il, «reste très grand pour nous » les Argentins.

Hebe de Bonafini, auparavant une mère héroïque de la «Plaza de Mayo», désormais plus célèbre du fait de son incontinence verbale, a écrit au Pape une lettre après une entrevue avec lui : « Je sais que tu penses que si tu viens, lui a-t-elle écrit familièrement, tu rendras service au Pasteur Mauricio » (1). Le Pape lui a-t-il vraiment dit cela ? Aurait-il l’intention de punir les Argentins d’avoir élu un libéral riche et non un homme du peuple péroniste ? Je pense que non, mais qui sait.

Monseigneur Sánchez Sorondo, homme de science ( !!!), de la curie vaticane, et de famille nationaliste, n’a pas montré de doutes au cours d’une interview: le Pape ne va pas en Argentine pour ne pas élargir la brèche, pour ne pas jeter du sel sur la blessure qui divise le pays depuis des temps immémoriaux. Serait-ce possible ? Une autorité qui a pour mission de réconcilier, d’apporter la paix, de calmer les passions, serait cause de discorde dans son propre pays? Ses amis en sont sûrs: c’est la faute des Argentins.

Nous les êtres humains nous sommes ainsi, faibles et pécheurs. Mais, le Pape n’aurait-il pas une part de responsabilité si sa figure divise en Argentine et dans d’autres parties du monde ? Si ceux-là sont ses amis, si son cœur bat dans un seul sens, s’il a des recettes sur tout (du climat aux retraites, du travail aux migrations, de la pauvreté au développement), s’il en bénit certains et condamne les autres, n’est-ce pas extraordinaire qu’il divise au lieu qu’unir. Pour toutes ces choses-là on a inventé la politique. Mais en attendant, la raison pour laquelle il ne va pas en Argentine reste un mystère.

* * *

(1) Cf. www.eldestapeweb.com/las-cartas-hebe-y-francisco-el-pastor-mauricio-y-su-visita-al-pais.
Les courriers datent d’avril et le Pape dit qu’«il n’y a encore rien de décidé pour l’Argentine mais il a pris en compte les paroles d’Hebe et il lui demande de ne pas oublier de prier pour lui». Le Pasteur Mauricio, c’est Mauricio Macri, l’actuel président de la république argentine.