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La tour des crânes

La légende noire des Conquistadors mise à mal par des fouilles archéologiques à Mexico (12/7/2017).

Carlota

Des fouilles récentes près de la cathédrale de Mexico viennent de mettre à jour « la tour des crânes » et confirment les pratiques de l’empire aztèque avant l’arrivée des Espagnols. Mais les légendes noires ont la peau dure car elles servent ceux qui ont tout intérêt à ce que la vérité ne soit pas connue. J’ai traduit à ce sujet un article de María Elvira Roca Barea, docteur en philologie classique, professeur de langue et auteur notamment de “Imperiofobia y leyenda negra: Roma, Rusia, Estados Unidos y el Imperio español” (Siruela, 2016) paru dans le journal espagnol « El Mundo » qui ne peut pas être taxé de périodique conservateur.
Et rappelons-nous combien Benoît XVI avait été critiqué pour avoir osé parler de l’apport de la Couronne espagnole en Amérique [Voir Annexe].

La tour des crânes

www.elmundo.es
María Elvira Roca Barea
10 juillet 2017
Traduction de Carlota

* * *

La première description de la tour des crânes de Tenochtitlan est faite en 1521 par Andrés de Tapia (v.1498 -1561) qui accompagnait Hernán Cortés et les Totonaques, Tlaxcaltèques et autres tribus à l’assaut de la ville. Puis elle sera reprise par Bernal Díaz del Castillo (v.1495-1581) et par Francisco López de Gómara (v.1511 –1566).
Elle sera ensuite niée des milliers de fois, et avec elle ce système de sacrifices humains des Aztèques, parce que l’empire aztèque devait appartenir à l’éden indigène que les Espagnols barbares avaient détruit quand ils ont rasé l’Amérique. En conséquence, ces descriptions de la terreur aztèque ne pouvaient être que mensonges pour justifier la conquête du Mexique. Les Mexicains eux-mêmes racontent que leur histoire commence avec la fondation du dieu Quetzalcóatl, [alias Serpent à plumes] pour se voir interrompue avec l’arrivée destructrice des Espagnols, puis s’est poursuivie par sa voie naturelle après l’indépendance.

Cela fait déjà longtemps que l’on sait, - si l’on veut savoir - que les chroniqueurs espagnols ne mentaient pas.
Mais, naturellement, ce n’était pas suffisant. Ce n’est jamais suffisant. Aujourd’hui cela ne le sera pas non plus. La découverte spectaculaire par différents archéologues de la tour des crânes de Tenochtitlán sera oubliée et les mythes de la légende noire continueront à être bien vivants parce que comment allons-nous expliquer les problèmes actuels de l’Amérique hispanique sans l’horrible Empire espagnol? Tout ce qui nous arrive aujourd’hui c’est parce que nous avons jadis été colonisés par les méchants. Et s’ils n’étaient pas si méchants que cela, qu’est ce que nous faisons ? Une autocritique? Jamais.

Il y a quelques jours, une agence de presse a révélé que dans les excavations archéologiques qui sont pratiquées depuis 2015 à côté de la cathédrale métropolitaine de Mexico, on a retrouvé une tour de crânes qui répond point par point à la description des chroniqueurs espagnols. L’exactitude [de la description] est étonnante, tellement est dessiné avec des mots ce que les archéologues ont découvert aujourd’hui :

«Un ossuaire de crânes d’hommes prisonniers de guerre et sacrifiés au couteau, un ossuaire qui était fait comme un théâtre plus long que large, construit d’une façon particulièrement résistante, avec ses gradins, sur lesquels étaient incorporés, pierre à pierre, des têtes de mort dont la face avec les dents était tournée vers l’extérieur ».

Cortés ne mentait pas. Avec le fait aggravant que ce n’était pas seulement des guerriers sacrifiés, comme l’ont dit les Aztèques, mais aussi des femmes et des enfants.

La négation des sacrifices a eu différentes versions, toujours entièrement en vigueur.
Le 25 avril de cette année Jason Suárez, du département d’Histoire du El Camino College en Californie expliquait lors de sa conférence Questions of ritual human sacrifice que l’idée des sacrifices humains est erronée et le fruit d’une interprétation abusive des images qui représentaient ces sacrifices, pour justifier la conquête. Il donne comme argument que quiconque verrait le Christ cloué sur la croix pourrait en conclure que les chrétiens (??) faisaient aussi des sacrifices humains, en déformant une représentation symbolique qui ne correspond pas à cette réalité.
Une autre présentation, plus sophistiquée, qui ne nie pas la réalité mais la justifie, c’est celle de l’argument alimentaire. Pour Marvin Harris, c’est le manque de protéines qui explique les sacrifices humains.

Tout cela contribue à renforcer l’idée que les Espagnols ne sont pas arrivés au Mexique pour en finir avec une horreur institutionnalisée, parce que l’horreur devait être incarnée par eux, par Cortés et ses hommes, - comme le chante avec une méconnaissance absolue Neil Young dans son Cortez the killer [paroles ICI]-, et que par conséquent, rien de bénéfique ne pouvait venir de là.

Mais désormais la découverte de la tour des crânes de Tenochtitlán, décrite d’une façon tellement véridique par les chroniqueurs, oblige à regarder Cortés et ses gens d’une autre manière. Nous ne savons pas si cela aura des conséquences, mais c’est peu probable. Très vite va tomber une nouvelle chape de silence sur cette réalité comme elle est tombée sur tant d’autres réalités qui n’avaient pas besoin d’une équipe d’archéologues [pour être (re)découverte]. Comme par exemple que le gouverneur nommé par Cortès pour Mexico dans le nouvel ordre chrétien s’appelait Andrés de Tapia Motelchiuh et que c’était un Aztèque qui a été baptisé en prenant précisément le nom du chroniqueur et en conservant aussi le sien et que c’était un homme de la plèbe presque un esclave que le système social aztèque ankylosé n’aurait jamais permis de prospérer. Il a accompagné Cortés pendant trois ans dans ses expéditions. Mais nous pourrions aussi nommer un autre plébéien, Don Pablo Xochiquenzin, qui fut aussi gouverneur pendant cinq ans. Ou Don Diego de Alvarado Huanitzin, qui a accompagné Cortés lors de l’expédition en Honduras et qui a été nommé gouverneur d’Ecatepec, charge qu’il a occupée pendant 14 ans. Puis le vice-roi Antonio de Mendoza l’a nommé gouverneur de Tenochtitlán. Ou Don Diego de San Francisco Tehuetzquitizin, ou Don Alonso Tezcatl Popocatzin, ou don Pedro Xiconocatzin. Faut-il continuer ? Tous indiens, tous dirigeants au sein du vice-royaume de la Nouvelle Espagne.

Annexe


Lors de son voyage au Brésil, en 2007, dans le discours d'ouverture des travaux de la Celam, à Aparecida, le Saint-Père avait eu ces mots:

«Mais, qu'a signifié l'acceptation de la foi chrétienne pour les pays de l'Amérique latine et des Caraïbes? Pour eux, cela a signifié connaître et accueillir le Christ, le Dieu inconnu que leurs ancêtres, sans le savoir, cherchaient dans leurs riches traditions religieuses. Le Christ était le Sauveur auquel ils aspiraient silencieusement. Cela a également signifié qu'ils ont reçu, avec les eaux du Baptême, la vie divine qui a fait d'eux les fils de Dieu par adoption; qu'ils ont reçu, en outre, l'Esprit Saint qui est venu féconder leurs cultures, en les purifiant et en développant les nombreux germes et semences que le Verbe incarné avait déposés en elles, en les orientant ainsi vers les routes de l'Evangile.
En effet, à aucun moment l'annonce de Jésus et de son Evangile ne comporta une aliénation des cultures précolombiennes, ni ne fut une imposition d'une culture étrangère.
Les cultures authentiques ne sont pas fermées sur elles-mêmes ni pétrifiées à un moment déterminé de l'histoire, mais elles sont ouvertes, plus encore, elles cherchent la rencontre avec les autres cultures, elles espèrent atteindre l'universalité dans la rencontre et dans le dialogue avec les autres formes de vie et avec les éléments qui peuvent conduire à une nouvelle synthèse dans laquelle soit toujours respectée la diversité des expressions et de leur réalisation culturelle concrète».

Extrayant selon leur habitude quelques bribes de phrases d'un discours complexe, dans le seul but de créer une polémique aux dépens de Benoît XVI (comme à Ratisbonne, mais avec des retombées moindre, le "public" concerné bénéficiant d'une audience plus limitée...), les médias se hâtaient de jeter de l'huile sur le feu, affirmant que les peuples indigènes d'Amérique latine étaient «indignés par les propos du pape». Témoin cette dépêche de l'AFP:

«Nier que l'imposition de la religion catholique a été utilisé comme un mécanisme de domination sur les peuples indigènes, c'est vouloir occulter l'histoire», a déclaré à l'AFP Luis Evelis Andrade, directeur de l'ONIC. «En tant que peuples indigènes, si nous sommes bien croyants, nous ne pouvons accepter que l'Eglise nie sa responsabilité dans l'anéantissement de notre identité et notre culture».
Après une visite de cinq jours au Brésil et peu avant son retour à Rome dimanche, le pape avait nié la responsabilité de l'Eglise dans la destruction des civilisations précolombiennes.
Les propos de Benoît XVI tranchaient avec la position de son prédécesseur Jean-Paul II qui s'était excusé auprès des peuples indigènes pour la participation des chrétiens dans la conquête de l'Amérique.

Le beau film de Mel Gibson, Apocalypto, sorti en France début 2007, traitait d'un sujet voisin (les sacrifices humains durant «les temps turbulents précédant la chute de la légendaire civilisation Maya»), ce qui lui avait valu (et à son réalisateur honni, l'auteur de "Passion") des critiques violemment négatives de la part de l'ensmble de la presse bien-pensante.
Dans le numéro spécial des Hors séries du Figaro consacré au film, Michel De Jaeghere écrivait justement:

La légende des Mayas a contribué à propager, au siècle des Lumières, le mythe du bon sauvage; à nourrir l'indignation anticléricale contre les missionnaires qui avaient, à Mani, détruit de précieux livres saints pour dissuader les indiens de continuer à vénérer leurs idoles et à crucifier leurs enfants. L'un des moindres mérites d'Apocalypto est de réduire ce mythe en cendres; de rendre dérisoire ces indignations bien-pensantes en montrant, dans une succession de scènes insoutenables, la réalité d'un culte qui tenait le sacrifice humain pour «la première source de régénération des forces de l'univers», l'inhumanité d'une société fondée sur le mépris absolu de la vie innocente.
Le lui pardonnera-t-on?
Notre époque a ceci de particulier que le passé de l'Occident semble mériter seul d'être inlassablement mis en accusation, et les mêmes qui prônent sans complexe le devoir d'ingérence s'enflamment à l'idée qu'il ait été mis en oeuvre par des rois catholiques, il y a cinq cents ans, contre des souverains pour lesquels l'arrachage des coeurs tenait lieu de sommet de la vie religieuse.
«L'utilisation d'un autel sur lequel on étendait la victime sur le dos, avec la tête en position basse, permettait de pratiquer sous la cage thoracique une ouverture par laquelle le sacrificateur pouvait passer la main », raconte le grand mayaniste Claude Baudez. «Les Mayas pratiquaient la double immolation, c'est-à-dire l'arrachement du cceur destiné au soleil et la décapitation qui inonde de sang la terre assommée». Les prisonniers étaient torturés avant d'être sacrifiés, «pour dégager une énergie supplémentaire»; les têtes des captifs étaient utilisées comme trophées par leurs vainqueurs.

Nourri par les travaux les plus récents des historiens, le film de Mel Gibson nous rappelle que les victimes se comptaient par milliers ; que leurs corps s'entassaient, dans la forêt vierge, en d'immenses charniers qui préfiguraient le spectacle qu'a donné, depuis, la barbarie contemporaine. Le sang, sur leurs autels, n'aura guère cessé de couler, pendant des siècles, et si la Conquête espagnole n'a pas été exempte des abus et des heurts qui sont le lot de toute l'histoire humaine, nul doute qu'elle n'ait eu, pour les populations, le caractère d'une délivrance.