Benoit-et-moi 2017
Vous êtes ici: Page d'accueil » Actualité

Un très grand homme d'Eglise

Deux ans après la mort du cardinal Biffi, sort en Italie une correspondance qu'il a entretenue avec une carmélite. Quelques pierres précieuses extraites... (3/7/2017)

>>> G. Biffi, Lettere a una carmelitana scalza, Itaca, 2017

>>> Voir aussi: benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/mort-du-cardinal-biifi

Biffi raconte Biffi: Les lettres d'un homme authentique

Thomas Scandroglio
www.lanuovabq.it
2 juillet 2017
Ma traduction

* *

Socrate a dit un jour que les écrits sont comme les statues, quand on les interroge, ils ne répondent pas. Les morts non plus, fallait-il lui rappeler. Heureusement, donc, qu'il y a les livres qui nous permettent, sinon de dialoguer, au moins d'écouter ce qu'avait à dire ceux qui ne sont plus.

Le 11 Juillet 2015, le cardinal Giacomo Biffi, archevêque de Bologne pendant de nombreuses années, montait au ciel, et ces jours-ci sort un recueil de lettres que le même Biffi a écrit sur une période de plus de 50 ans, entre 1960 et 2013, à une Carmélite déchaussée, Soeur Emanuela Ghini, (G. Biffi, Lettere a una carmelitana scalza, Itaca, 2017). Les thèmes abordés sont les plus variés, mais dans ce micro-univers de papier, il y en a toujours deux qui éclairent la curieuse correspondance pluridécennale: le Christ et l'Église. De cette collection de lettres, on voit émerger à quel point le Biffi public est parfaitement conforme au Biffi privé - preuve que les hommes de Dieu sont toujours authentiques - et combien la sainteté d'un homme rime avec simplicité et profondeur.

La critique des livres médiocres suit une route en pente descendante. A l'inverse, les recensions des excellents livres sont en montée et ne peuvent qu'être vouées à l'échec parce qu'elles apparaissent toujours comme un pâle reflet des richesses qu'ils contiennent. Alors je laisse volontiers la plume au cardinal Biffi.

Quelques portraits de personnages célèbres.

Le Père Turoldo [*]: «Sa "théologie" est incohérente, sa fréquentation habituelle des gens riches et cultivées l'induit à se faire l'annonceur d'une Eglise pauvre et simple. Son affinité élective avec ceux qui ont le pouvoir des médias (télévision, Corriere della Sera , etc.) lui donne une résonance et une amplification tout à fait disproportionnée et injuste».

Don Giuseppe Dossetti [**]: « Ce fut angoissant pour moi de m'apercevoir que sa vision théologique (et en particulier son ecclésiologie) ne me semblait pas conforme à la Révélation et était idéologiquement conditionnée».

Le cardinal Gianfranco Ravasi: « Personnellement, je le connais peu: il me donne l'impression que chez lui, le "spécialiste de littérature hébraïque" prévaut sur la recherche sur le dessein de Dieu».

Le cardinal de Milan Giovanni Colombo, envers qui Biffi nourrissait une grande estime, «continue à remodeler et à reconstruire, parce que ses œuvres (et encore moins celles des autres) ne le satisferont jamais. Je crois que quand il entrera dans la vision béatifique, son premier jugement sera: "Je pensais que je c'était mieux"».

Le cardinal Carlo Caffara pour lequel il a de très belles paroles dans la correspondance: « puisque personne n'est parfait, il a deux défauts graves: il ne boit pas une goutte d'alcool et il est supporter de Milan (pour un fan de l'Inter comme moi, c'est presque impardonnable)».

Pensées éparses:

« Le discours sur l'Eglise des pauvres n'a pas eu beaucoup d' écho en moi parce que ni l'environnement religieux qui m'a élevé, ni celui où j'ai jusqu'à présent exercé mon ministère ne se composait de riches ou d'intellectuels»;

« Dans les fascicules de 'Il Regno' [revue catholique progressiste, ndt], «église» est toujours écrit avec une minuscule. [...] Mais ensuite, je rencontre souvent: Communauté méthodiste, Communauté de base, Chambre du travail, Conseil pastoral, Nations Unies, et parfois même Etat, tous avec une majuscule. [...] Pourquoi cet acharnement implacable uniquement contre l'Eglise? Pourquoi cette rigueur stylistique qui ne se relâche jamais, réservée à la seule Eglise? [...] Cette volupté, au moins dans l'orthographe, d'avilir l'Epouse du Seigneur - qui est aussi le fait de beaucoup d'excellentes personnes - mérite à mon avis, une analyse de l'inconscient»;

« Pour la pensée moderne, chercher compte plus que trouver. [...] Je crois que c'est Lessing qui a dit que ce qui compte, c'est de chasser le lièvre. Mais c'est peut-être parce qu'il n'a jamais mangé le lièvre»;

« Quand je suis enrhumé je trouve qu'il est impossible d'être saint. [...] Le Seigneur Jésus - qui n'a pas eu la chance de lire mes pages - a ressenti face à la douleur et à la mort, de la peur, de l'ennui et de la tristesse, et a demandé de ne pas mourir, avec des prières et des supplications, des cris et des larmes. [...] Il a été exaucé pour sa piété, par un Père qui, par la façon d'exaucer les prières de ses enfants, doit avoir le sens de l'humour».

« Je ne me sens pas particulièrement attiré par certaines formes du mouvement [CL], mais à coup sûr, voir des milliers et des milliers d'étudiants qui face à l'arrogance du Mouvement étudiant parlent de Jésus-Christ comme s'ils le rencontraient tous les jours à l'heure de l'apéritif m'impressionne un peu»;

« Les éditeurs catholiques [...] identifient peut-être leurs intérêts avec celui du Royaume de Dieu, et donc, ils considèrent que tout l'argent qu'ils sont obligés de débourser est soustrait au Royaume»;

«J'ai été nommé vicaire épiscopal pour la culture, et j'en suis très désolé. La culture ne m'a jamais intéressé et ce que peut faire un Vicaire épiscopal, je l'ignore. [...] Dans le monde de la culture, je me trouve dépaysé. Il me semble si peu cohérent et dénutri. Mais ne le dites à personne, ou je perds mon emploi»;

« L'Église ne doit pas être crédible, mais croyante; alors elle sera également crédible ».

Rappelant sa première rencontre avec Sœur Emanuela [sa correspondante] au séminaire de Venegono, qui avait eu lieu des années plus tôt, quand elle n'était pas encore entrée au Carmel: «Moi, qui ai toujours eu tendance à être polygame, je t'aurais certainement accueilli avec joie comme un don de la Providence. »

L'humour, c'est «aimer passionnément toutes les créatures sans jamais identifier aucune d'entre elles avec leur Créateur»;

« La chose la plus comique, ce sont les catholiques engagés et les intellectuels en général, qui pointent fièrement leurs fusils du côté où il n'y a plus d'ennemis (et où il n'y a aucun danger)»;

« Le Nonce apostolique m'a confié, dans la réserve luxueuse qui entoure habituellement les sièges diplomatiques, que l'Australie est un continent et qu'il faut faire la génuflexion devant le Saint Sacrement; je te recommande de ne pas le dire autour de toi»;

« Une intelligente phlébite m'a contraint à réaliser le rêve de ma vie: rester au lit au calme, sans fièvre et sans grande douleur et pouvoir annuler tous mes engagements de travail»;

« A entendre tellement de gens parler de la communauté primitive et de l'impossibilité de remonter au Christ historique, on a l'impression que le jour de l'Ascension de Jésus, tous les témoins de sa vie sont montés au ciel. Si bien que tout a dû repartir de zéro»;

« Tu sais que j'adore le conformisme. Dans un monde auusi déchiré en lambeaux, la seule philosophie vraiment imaginative et originale me semble l'orthodoxie».

Un jour, la voiture dans laquelle il voyageait tomba en panne. Ce contretemps «a permis une expérience intéressante: une longue conversation de plus d'une heure en attendant le camion de remorquage, entre un évêque en grande tenue et les deux fils d'un vendeur ambulant de fleurs, l'un de quatre ans et l'autre de sept ans, sur le thème ardu du célibat ecclésiastique. Nous avons conclu que tous trois ne se marieraient jamais, moi pour des raisons apostoliques et aux parce qu'ils trouvent les filles antipathiques. Mais je pense qu'avec le temps, certains d'entre nous vont changer d'avis»;

«De toute façon, le déclin que nous vivons est grave. [...] Je pense qu'il peut être comparé à la crise qui a suivi le concile de Nicée, quand le monde s'est réveillé arien: aujourd'hui, la chrétienté s'est retrouvée séculariste, sauf qu'elle ne s'est pas encore réveillée».

En ce qui concerne la remise du mandat de la charge d'archevêque : «Le pape m'a déjà fait comprendre qu'il voulait que je reste encore un peu, alors que moi, il me semble opportun de conclure au plus vite. Étant donné que le pape est infaillible, je vais l'aider à ne pas se tromper; autrement dit à décider selon mon désir».

En ce qui concerne l'élection de Benoît XVI: « En choisissant, en seulement vingt-quatre heures, celui qui dans l'imaginaire collectif était naturellement associée à la 'foi' et à sa sauvegarde, le Collège des Cardinaux a déclaré que, parmi les nombreux problèmes graves, celui de la foi authentique et complète est le premier et le plus impératif».

Et nous terminons avec ce qui est peut-être l'aphorisme le plus important de toute la correspondance: «Le monde est une forêt de signes et allusion. Toutes les choses font allusion à l'invisible».

* * *

NDT:
[*] La notice Wikipedia en italien dresse le portrait d'une autentique synthèse du prêtre progressiste: «David Maria Turoldo, de son vrai nom Giuseppe Turoldo (1916-1992), prêtre , théologien , philosophe, écrivain et poète italien, membre de l'Ordre des Servites de Marie. Non seulement un poète, mais aussi figure prophétique dans le milieu ecclésial et civil, soutiendes instances de renouveau culturel et religieux, d'inspiration conciliaire. Il est considéré par certains comme l'un des représentants les plus importants d'un changement du catholicisme dans la seconde moitié du XXe siècle, ce qui lui a valu le titre de 'conscience inquiète de l'Eglise'».

[**] Autre éminente figure de l'Eglise progressiste conciliaire (it.wikipedia.org/wiki/Giuseppe_Dossetti ). Il est le fondateur de l'Institut pour les sciences religieuses, à Bologne, à l'origine de la fameuse "Ecole de Bologne" qui défend une herméneutique de rupture de Vatican II.