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Une lettre du Pape à l'Ordre de Malte

Deux jours après la lettre du 25 janvier du cardinal Parolin, François écrit à son tour aux membres de l'Ordre. Analyse du bien informé Riccardo Cascioli (29/1/2017)

>>> Voir aussi l'article d'AM Valli:
Ordre de Malte versus Pape

>>> Ci contre: fac smile de la lettre (cliquez). On observera la signature (il n'y a pas écrit "Franciscus pp", selon la coutume, pas plus que n'est présente la référence au saint du jour). Traduction en Annexe.

Clash avec le Saint-Siège, guerre interne dans l'Ordre, qui loin d'être apaisée par un arbitre super partes, se trouve redoublée, vengeance contre le cardinal Burke , sur un siège éjectable - au final, pagaille ("casino", selon l'expression chère au Pape), ou plutôt chaos. Voilà le résultat de la "reprise en main" de François. Sa lettre n'arrondit pas tant les angles (comme le dit Riccardo Cascioli) qu'elle n'affirme impitoyablement l'arbitraire et l'autoritarisme de ses décisions.

Ordre de Malte, la révolution est servie

Riccardo Cascioli
29 janvier 2017
www.lanuovabq.it

* * *

Evincé, le Grand Maître Matthew Festing; réintégré, le Grand Chancelier Albrecht Boeselager (qui avait été chassé par le même Festing); Fra' Ludwig Hoffmann von Rumerstein nommé lieutenant intérimaire; entrant, le délégué pontifical pour sceller la désignation de facto d'un administrateur de l'Ordre de Malte. Et avec une déclaration apaisante publiée hier après la réunion du Conseil souverain, sur le site de l'Ordre Souverain Militaire de Malte, on pourrait croire qu'ici s'achève la crise de l'Ordre de Malte commencée le 6 Décembre avec la décision de Fra Matthew Festing de suspendre Boeselager.

On pourrait croire. En réalité, la dure intervention du Pape sur le conflit interne à l'Ordre de Malte laisse des blessures profondes tant à l'intérieur de l'Ordre que dans les relations entre l'Ordre et le Saint-Siège, et elle a enclenché un processus qui pourrait mettre en danger les activités caritatives et d'assistance que les Chevaliers de Malte gèrent dans le monde entier.

Du reste, ces derniers jours, on est passé tout près d'un conflit ouvert entre l'Ordre et le Saint-Siège, qui aurait pu conduire à la dissolution de l'Ordre lui-même, ce qui a forcé le pape à rectifier le tir. En fait, le 25 janvier, une torpille est partie du Saint-Siège, pour frapper le Grand Maître Matthew Festing et réinitialiser complètement la réalité des Chevaliers de Malte. Les membres du Souverain Conseil ont en effet reçu une lettre du Secrétaire d'Etat du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, brutale dans les manières et très dure dans son contenu: la fin du magistère de Festing (en dépit de la Constitution qui dit que la décision revient au seul Conseil Souverain) est considérée comme acquise, tous les actes du grand Maître et du Souverain Conseil à partir du 6 décembre de l'année dernière (y compris la suspension de Boeselager) sont déclarés nuls et non avenus, le grand Commandeur se voit accorder les pouvoirs de gouvernement par interim, mais seulement jusqu'à ce que le pape nomme un délégué pontifical lequel, croit-on comprendre, va prendre le contrôle de l'Ordre avec des pouvoirs - écrit Parolin - que «le Saint-Père définira dans l'acte de nomination lui-même». Une authentique tabula rasa.

S'agissant d'une autre situation, loin du Vatican, nous n'hésiterions pas à parler d'un véritable putsch. Une situation qui a suscité de vives réactions au sommet de l'Ordre; et qui doit également avoir préoccupé les «vainqueurs», le courant allemand qui voit s'aplanir la route vers le contrôle total de l'Ordre de Malte et surtout de sa caisse qui, selon des sources internes à l'Ordre, semblerait être la véritable cause de la discorde .

Les réactions doivent être parvenues jusqu'à Sainte-Marthe, si bien que deux jours plus tard, le 27 Janvier, le Conseil Souverain a vu arriver une autre lettre [cf. Annexe]. Cette fois, elle est du pape en personne, qui corrige le tir: d'un côté, François ajoute qu'il mettra la main à la Constitution, de l'autre, cependant, il précise que le délégué pontifical s'occupera surtout du «renouveau spirituel de l'Ordre» et se verra adjoindre - sans être remplacé par lui - le Lieutenant intérimaire en charge du gouvernement par interim de l'Ordre.

Le communiqué final diffusé au terme du Conseil Souverain d'hier précise encore mieux cette division du travail, une façon de préserver - au moins formellement - la souveraineté de l'Ordre. Le Lieutenant intérimaire passera les clés du gouvernement au nouveau Grand Maître, dès qu'il sera élu, et le pape accepte que la responsabilité de gouvernement, notamment en ce qui concerne les relations avec les Etats, ne soit pas dans les mains du Délégué Pontifical. L'Ordre affirme que «le Pape François a précisé que son délégué spécial aura pour tâche de travailler "pour le renouveau spirituel de l'Ordre, spécialement ses membres profès"». Cette concession signifie que l'Ordre Souverain de Malte «assure sa coopération au délégué spécial qui sera nommé par le pape»

Bien qu'il ne soit jamais nommé, il est clair que la formulation finale implique l'éloignement du cardinal Raymond L. Burke comme Cardinal patron: s'il arrive un délégué pontifical (à ce sujet, le nom du Cardinal Coccopalmerio circule) avec les tâches ci-dessus, il est clair que son rôle perd toute signification. Pour Burke, il n'est pas difficile de pronostiquer un avenir loin de Rome, dans une tentative d'affaiblir le front des cardinaux qui ont envoyé au pape leurs "dubia" sur Amoris Laetitia.

Par ailleurs, la référence au «renouveau spirituel de l'Ordre» nécessitant l'envoi d'un délégué du pape, prête à sourire, étant donné que durant ces mois d'affrontements, on n'a jamais parlé effectivement de problèmes spirituels: comme on l'a dit plus haut, le vrai contentieux est de savoir qui contrôle la caisse, vu que l'Ordre manipule des milliards. La "cordée" allemande, grâce à l'intervention du pape, en sort pour le moment gagnante, et pourrait renforcer sa position avec la modification de la Constitution ventilée par François. Selon des sources internes, en effet, les modifications qu'on souhaiterait apporter concernent un plus grand poids dans le gouvernement de l'Ordre des deuxième et troisième classe (tous laïcs) [à propos des classes, voir ICI], au détriment des profès (ceux qui sont religieux), de manière à favoriser une fois de plus la composante allemande, désormais absente parmi les profès, mais bien représentée dans les deux autres classes.

On peut effectivement imaginer que derrière l'apparente harmonie retrouvée, une guerre interne à l'issue incertaine s'est désormais déclenchée. La preuve en est que hier matin encore, le port-parole de l'Ordre de Malte, Eugenio Ajroldi de Robbiate a déclaré à Associated Press que la lettre de Parolin n'est rien d'autre que l'interprétation par le Vatican des faits qui se sont produits, «rien de plus». Certaines décisions, a-t-il dit, ne peuvent être prises que par le Conseil Souverain.

Quoi qu'il en soit, l'intervention du pape François désavoue ce qu'avait en revanche affimé le Pape Benoît XVI à peine deux jours avant de communiquer sa renonciation. Accueillant au Vatican cinq mille opérateurs de l'Ordre de Malte pour célébrer le 900e anniversaire de la bulle Piae postulatio voluntatis, le 9 février 2013, Benoît XVI rappelait l'actualité du privilège accordé par le pape Pascal II à la «toute jeune fraternité hospitalère de Jérusalem, dédiée à saint Jean-Baptiste». La fraternité était placée «sous la tutelle de l’Église et la rendait souveraine en la constituant en un Ordre de droit ecclésial avec la faculté d’élire librement ses supérieurs, sans interférence de la part d’autres autorités laïques ou religieuses».

En quatre ans, beaucoup de choses ont décidément changé.

Annexe

Ma traduction de la lettre du Pape:

AUX MEMBRES DU SOUVERAIN CONSEIL
DE L'ORDRE SOUVERAIN MILITAIRE
DE JÉRUSALEM, DE RHODES ET DE MALTE


Le précieux service que votre Ordre founit pour les malades, les pauvres et les nécessiteux donne un témoignage authentique de la vitalité de notre foi. Pour assurer la continuité et l'efficacité de votre service, la Constitution de l'Ordre prévoit une souveraineté spéciale, reconnue par les Etats au niveau international, et une alternance ordonnée de gouvernement, même dans les cas exceptionnels.
Aujourd'hui, pour le bien de l'ordre, Fra' Matthew Festing m'a présenté sa démission de l'Office de Grand Maître, et je l'ai acceptée, le remerciant pour le service rendu.
Prenant en considération toutes les circonstances, après avoir examiné les aspects juridiques des récentes décisions, et tenant compte de la relation spéciale de l'Ordre avec ce Siège Apostolique, que la Constitution elle-même prévoit, l'Eminentissime Cardinal Secrétaire d'Etat vous a communiqué quelques-unes des conclusions atteintes, parmi lesquelles celle de nommer de ma part un Délégué Spécial en vu du Chapitre Extraordinaire, et de commencer à étudier certains aspects de la Constitution.
Le Lieutenant intérimaire assume la responsabilité de gouvernement ad interim, en particulier concernant tout ce qui a trait aux rapports avec les Etats, y compris l'attention au Corps diplomatique accrédité auprès de l'Ordre, opérant en étroite convergence d'objectifs avec le Délégué spécial, lequel s'occupera du renouveau spirituel de l'Ordre, spécifiquement de ses membres profès.
Le Lieutenant intérimaire et le Délégué Spéciale oeuvreront en étroite collaboration pour le bien de l'Ordre et sa croissance harmonieuse. La spécificité de l'Ordre d'être un Institut religieux laïc, et aussi un sujet de droit international, puissent-elle être un soutien pour un service plus efficace selon son charisme, antique et toujours actuel: tutto fidei et obsequium.
J'encourage tout le monde à marcher avec confiance, dans un esprit de fraternité renouvelée, pour construire un futur meilleur, et dans ce but, j'accorde bien volontiers la bénédiction apostolique aux Membres, à leur famille, et aux amis de l'Ordre.

Du Vatican, 27 janvier 2017

Francesco