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Le Pape qui s'est retiré

Les "souhaits" d'anniversaire - en demi-teinte - de Marcello Veneziani à Benoît XVI, le 16 avril dernier (30/8/2017, mise à jour le 31)

>>> Le Pape président d'une ONG

Veneziani et Benoît XVI lors d'une AG Place St-Pierre

Comme promis, voici l'article écrit par Marcello Veneziani à l'occasion du 90e anniversaire du Pape émérite.
C'est un portrait résolument subjectif et surtout très "noir", celui d'un "vaincu", d'un tourmenté, d'un pessimiste, qui nous est présenté ici. Les amoureux de Benoît XVI (et le Saint-père lui-même!) ne le reconnaîtront pas dans l'image, très fragmentaire et démentie par les faits, d'un intellectuel loin du "peuple" (la fameuse image du savant dans sa tour d'ivoire, qui s'est accrochée à lui dès le premier jour et lui a fait tant de mal), reflet de "l'essoufflement des siècles" et de "la terrible vieillesse de l'épouse du Christ" - quand d'autres le décrivent plus justement comme irradiant la joie de la foi - et la gentillesse humaine.
Par ailleurs, le temps se chargera peut-être de révéler que le pontificat de Benoît XVI n'a pas été une déroute - comme c'est suugéré ici, mais pas seulement -, qu'il a même produit beaucoup de fruits, et que lui-même n'a pas été "vaincu par le temps".
Mais l'article contient aussi de très beaux accents, et je ne vais donc pas pinailler.
La photo qui l'illustre représente l'auteur présentant un écrin et des livres à Benoît XVI lors d'une audience générale Place St-Pierre. Soit largement de quoi justifier mon "indulgence"!

Joseph Ratzinger, le pape qui se retira

16 avril 2017
www.marcelloveneziani.com
Ma traduction

* * *

Cela semble faire une éternité, mais il ne s'est écoulé que quatre ans depuis la renonciation de Benoît XVI à la papauté. Désormais pape émérite, Joseph Ratzinger a 90 ans aujourd'hui.

Quand il fut élu pape, il apparut comme le Pape de la continuité, par rapport non seulement à Wojtyla mais à la tradition catholique. Son élection reflétait la centralité allemande dans une Europe unie. Sur le plan pastoral, l'avènement d'un théologien comme Ratzinger indiquait une route et un défi: affronter le nihilisme ou l'athéisme concret, à partir de la tête. Autrement dit de la pensée, mais aussi du lieu crucial de sa naissance, l'Europe chrétienne.

Une sorte de Kulturkampf, de bataille culturelle, avec un pape intellectuel pour relever le défi. Mais la surdité de l'Europe, les préjugés envers l'Eglise et le pape traditionaliste, son langage ardu, les questions bioéthiques qui l'envahirent, les fake news, ou plutôt les médisances contre lui, l'inimitié des pouvoirs en place, conduisirent Ratzinger à la défaite.

L'Eglise préfèra alors miser sur le cœur plutôt que sur la tête, et partir des périphéries du monde, au sud, plutôt que de l'épicentre de la crise, au nord. Avec François, le "papuliste", sont nés la paroisse globale et l'Interclub (rotarien) des religions, avec une prédilection marquée pour les musulmans, y compris migrants.

Si François, avec sa simplicité rusée, est plus proche de la foule et des peuples éloignés, Ratzinger, le pape a latere, dans sa retraite monastique, est plus proche de la solitude spirituelle des Européens. Le pape vaincu par son temps en reflète les tourments et la crise.

Reste le malaise de voir deux papes vêtus de blanc qui vivent à peu de distance et parfois se croisent, engendrant la confusion optique et pastorale. Et reste le choc d'un pape qui a démissionné de son rôle paternel, a abdiqué sa mission pastorale, rompant le fil de la tradition. Mais si parfois la Providence transforme les malheurs en grâce, un pape démis, à l'écart, loin des projecteurs, peut se faire témoin des solitudes répandues, et les partager.

On percevait dans la voix de Ratzinger l'essoufflement des siècles et dans ses yeux qui évitaient de croiser le regard du monde semblait se cacher un secret. Peut-être la perception de la catastrophe spirituelle de notre temps, le spectacle d'une surdité abyssale à la mission religieuse et aux attentes de la foi.

Dans son âge se reflétait la terrible vieillesse de l'Épouse du Christ: églises désertes, vocations en déclin, prêtres qui vacillent dans leur foi. Cynisme qui croît. Quel poids a eu l'incapacité de faire face à l'avancée du désert dans l'euthanasie du pontificat?

Sa démission prononcée en latin sanctionnait avec une sèche netteté le fossé infranchissable qui le séparait de son temps. Le latin la sculpta dans le marbre du passé, la rendit lapidaire et indélébile.

D'un côté, Ratzinger fut un défenseur rigoureux de la foi et de la doctrine contre la dictature du relativisme; mais de l'autre, il y avait en lui le philosophe tourmenté qui se confronte avec l'athéisme et rouvre les comptes avec Nietzsche, Heidegger et la pensée contemporaine.

Il a été un défenseur infatigable de la tradition, lui que le philosophe catholique Del Noce (1910-1989) [ndt: pour approfondir, voir cet article en français de la revue 30 Giorni en 2009] a appelé «le plus haut exemple de culture de droite»; justement lui, qui s'est avancé sur les terres inconnues de l'athéisme plus que tout autre pape.

Il en vint à dire qu'un "chercheur" sans repos, dénué de foi, est plus proche de Dieu qu'un dévot par routine, désavouant ainsi des millénaires de foi transmise et des millions de fidèles par habitude. Il alla ensuite jusqu'à déclarer que la vérité ne vit pas en nous, que personne ne la possède; mais la vérité nous possède, nous sommes dans la vérité. Et donc personne n'a le monopole de la vérité et ne peut en disposer en son nom.
À y regarder de plus près, c'est une révolution par rapport à la foi enseignée au cours des millénaires, mais aussi par rapport à ceux qui tiennent la vérité pour inaccessible sans se rendre compte qu'il sont dans son rayon. Joseph Ratzinger fut déchiré par le conflit entre foi et inquiétude, tradition et recherche, peu compris par le monde.

Par sa fragilité, il était plus aimable que son prédécesseur et son successeur, mais il fut moins aimé qu'eux. Sa démission de Saint-Père fut le témoignage le plus haut et le plus douloureux de la société sans père dans laquelle nous vivons.

Ses regards de douceur effrayée, de tristesse retenue ne s'oublient pas, ni son manque de familiarité avec les choses du monde, son malaise à vivre dans la splendeur royale, ses manières délicates, ses pantoufles rouges,.

Son regard s'excusait auprès du monde et suggérait à l'assistance: "Je suis un penseur qui tient le destin du Pontificat". Il avait ce «je ne sais quoi d'angélique» , comme le dit Pétrarque de Célestin V, le pape qui abdiqua, «inexpert des choses humaines».

Fragile comme un cristal, mais resplendissant de lumière. Parfois, Ratzinger s'abandonnait au sourire, flirtant avec l'humour des anges, ou prenait des airs de sévérité affable qui le faisait ressembler à Paolo Stoppa interprète du pape roi [Pie VII] dans Il marchese del Grillo [Film de Mario Monicelli, en 1981, titre français "Le marquis s'amuse"].

De toutes ses leçons théologiques, c'est la plus enfantine qui reste imprimée en nous. C'était à Milan, quelqu'un lui demanda comment il imaginait le paradis. Se libérant mentalement de la mitre, le pape dit que lui, le paradis, il l'imaginait comme un retour à l' enfance, avec son père et sa mère [ndt: c'était avec une petite fille vietmanienne qui lui posa la question, lors de la Rencontre mondiale des familles à Milan en juin 2012; l'épisode charmant est raconté ici: benoit-et-moi.fr/2012..].
Une confession proustienne, tendre et universelle, qui échappe aux rigueurs de la doctrine et de la foi, qui vient du cœur et va droit au cœur de chacun. Les seul paradis entrevus sur la terre sont les paradis perdus .

Ratzinger est apparu comme un pape de transition entre deux papes de grande popularité et de forte efficacité médiatique. Après, si c'est bénéfique pour la foi et la religion, Dieu seul le sait.

On ne relève que la chute des vocations, les églises désertées, aucune conversion.
Qui qu'il en soit, tous nos voeux, Sainteté.

(MV, Il Tempo, 16 Avril 2017 )