Cardinal Bergoglio de Buenos Aires

Les questions (sans réponse) d'Henri Sire, l'auteur de "Dictator Pope". A lire absolument (13/9/2018)

Ce texte a été publié sur le site
OnePeterFive

 


Henri Sire
onepeterfive.com
11 septembre 2013
Traduction d'Isabelle

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Lorsque j’ai écrit The Dictator Pope, j’ai souligné le fait que les cardinaux, en 2013, ont omis de s’informer du bilan du cardinal Jorge Bergoglio en tant qu’archevêque de Buenos Aires ; en effet, s’ils en avaient eu connaissance, même superficiellement, ils n’auraient pas voté pour lui. Plus on en apprend sur ce bilan, plus les choses deviennent claires. Il est de plus en plus évident que le cardinal Bergoglio n’était pas simplement en-deçà du standard qu’on attend normalement d’un candidat à la papauté ; mais dans ses contacts rapprochés, sinon dans sa conduite personnelle, il représentait un lien avec ce qu’il y a de plus corrompu dans l’Église sud-américaine. Les lignes qui suivent en fournissent plusieurs exemples.

1. L’arnaque contre la « Sociedad Militar Seguro de Vida »


Dans mon livre, j’ai évoqué un scandale financier à Buenos Aires, qui a éclaté peu de temps avant que Bergoglio ne devienne archevêque. Les révélations faites depuis lors sur la figure centrale de ce scandale, Mgr Roberto Toledo, lui donnent un aspect encore plus sinistre qu’il n’y paraissait à l’époque.
Voici l’histoire. En 1997, Jorge Bergoglio était depuis cinq ans évêque auxiliaire de Buenos Aires et s’était vu conférer, comme coadjuteur, le droit à la succession du cardinal Quarracino, qui était malade et devait mourir l’année suivante. Quarracino était lié à une banque, nommée « Banco de Crédito Provincial » (BCP) et qui appartenait à la famille Trusso, considérée comme un pilier de l’Église et amie proche du cardinal. Quarracino avait joué un rôle d’intermédiaire important pour obtenir, en faveur de la BCP, les comptes considérables de la caisse de retraite militaire argentine, la « Sociedad Militar Seguro de Vida ». Et en 1997, on demanda à cette caisse de retraite d’octroyer un prêt de dix millions de dollars à l’archidiocèse de Buenos Aires, souscrit par la BCP. La réunion où devait se rédiger le contrat se tint dans les bureaux de l’archidiocèse, mais le cardinal Quarracino, trop malade pour y assister, était représenté par son secrétaire général, Mgr Roberto Toledo. Lorsque vint le moment de signer le contrat, Mgr Toledo sortit le document de la pièce sous prétexte de le porter au cardinal et le ramena rapidement avec une signature dont il s’avéra plus tard qu’il l’avait contrefaite lui-même.

Mgr Toledo était un exemple caractéristique de ce clergé corrompu dont la présence importante dans l’Église est de plus en plus mise en évidence par le pontificat du pape François. Homosexuel et connu pour avoir un amant, professeur de gymnastique, il servait de courroie de transmission à l’influence financière de la famille Trusso au sein de l’archidiocèse. Quelques semaines après la conclusion du prêt, mais pour des raisons qui n’ont rien à voir avec cela, la BCP fit faillite. Il apparut qu’elle avait des dettes importantes qu’elle ne pouvait pas acquitter, et l’argent de la « Sociedad Militar », déposé à la banque, fut perdu. Lorsque la « Sociedad » tenta de récupérer son prêt de dix millions de dollars auprès de l’archidiocèse, le cardinal Quarracino affirma n’avoir jamais signé le contrat.

Le cardinal mourut peu de temps après et Bergoglio lui succéda comme archevêque. Dans sa biographie, The Great Reformer, Austen Ivereigh présente Bergoglio comme l’homme qui a introduit la probité financière dans la gestion de l’archidiocèse de Buenos Aires (1), mais il omet de signaler un certain nombre de détails cruciaux pour l’affaire dont il est question. Le premier est la manière dont Mgr Bergoglio traita la demande de la « Sociedad Militar » de se voir restituer ses dix millions de dollars. Il engagea, comme avocat de l’archidiocèse, l’une des figures les plus ténébreuses du monde judiciaire argentin, Roberto Dromi, un homme poursuivi pour de nombreux actes de corruption (2). Le simple fait que Mgr Bergoglio fasse appel à un tel homme devrait être une cause majeure de scandale. Dromi harcela tellement la « Sociedad » qu’elle fut finalement obligée de renoncer à la restitution de son prêt.
La famille Trusso fut ruinée par l’effondrement de sa banque et certains membres de la famille ont affirmé avoir été victimes d’injustice. En 2002, la journaliste Olga Wornat interviewa Francisco Trusso et lui demanda pourquoi il n’avait pas parlé à Bergoglio de la signature falsifiée. Il répondit : « J’ai demandé une audience. Ma femme a demandé une audience. Mon fils. Mon frère. Il ne nous recevra pas … Il se dérobe, il ne veut pas entendre. Ça doit être parce qu’il a des choses à se reprocher. Il doit avoir signé quelque chose » (3).
Ce qui est encore plus significatif, c’est le ménagement témoigné par l’archevêque Bergoglio à l’égard de Mgr Toledo. Celui-ci fut d’abord renvoyé dans sa ville natale sans aucune sanction. En 2005, il fut cité en justice pour fraude, mais aucune peine ne fut prononcée. Ce traitement s’inscrit, certes, dans l’inertie habituelle de Bergoglio face aux délits, mais il y a un détail particulier : c’est Mgr Toledo qui, en 1991, en tant que secrétaire du cardinal Quarracino, sauva le Père Bergoglio de l’exil intérieur auquel les jésuites l’avaient consigné et le fit nommer évêque auxiliaire de Buenos Aires. Depuis, Bergoglio s’est efforcé d’empêcher que la réputation du cardinal Quarracino ou de Mgr Toledo ne soit entachée par les scandales qui se sont accumulés autour d’eux (4).
Un post-scriptum macabre est venu s’ajouter à cette histoire en janvier 2017, lorsque Mgr Toledo, qui officiait depuis dix-huit ans comme curé dans sa ville natale, toujours impuni, fut accusé d’avoir assassiné un de ses amis de longue date dont il aurait falsifié le testament (5). Nous avons ici un aperçu des conséquences de la fameuse clémence de Bergoglio et nous commençons à avoir une idée des personnalités à qui il doit son ascension dans l’Église et avec lesquelles il s’est allié dans les charges qu’il occupait.

2. L'Université catolique d'Argentine et l'IOR


Un autre incident mentionné dans mon livre concerne l’Université catholique d’Argentine, dont Bergoglio, comme archevêque de Buenos Aires, était le chancelier d’office. Son agent dans cette affaire était Pablo Garrido, directeur financier de l’archidiocèse, que Bergoglio avait également nommé directeur financier de l’université (poste dont il a été démis en 2017). L’université, ayant obtenu une dotation considérable de 200 millions de dollars, fournit à l’archevêque Bergoglio les ressources financières dont celui-ci avait besoin pour gagner de l’influence au Vatican, où les activités illégales de Mgr Marcinkus et de son successeur, Mgr de Bonis, avaient laissé les finances dans un état désastreux.
Entre 2005 et 2011, quelque 40 millions de dollars furent transférés de l’Université catholique d’Argentine à l’IOR (la Banque du Vatican), une transaction qui devait être un dépôt mais que l’IOR a jusqu’ici considéré comme un don. (Nous apprenons que, justement cette année, on a commencé à corriger cette situation, mais seulement en partie). Pablo Garrido était le responsable de ce transfert, contre lequel protestèrent des membres de l’université, faisant remarquer que l’université, en tant que fondation à but éducatif, ne pouvait pas faire un don à une banque étrangère. Avec l’affaire de la « Sociedad Militar Seguro de Vida », il s’agit bien ici d’un autre épisode obscur de la gestion financière de l’archevêque Bergoglio, qui mériterait d’être examinée en profondeur par un enquêteur spécialisé.

3. Les évêques amis de Bergoglio


Tout aussi révélateur est un coup d’œil sur les proches confrères du cardinal Bergoglio à Buenos Aires. Le premier à considérer est Mgr Juan Carlos Maccarone, que Bergoglio a nommé évêque auxiliaire au début de son mandat, en 1999. En 2005, Mgr Maccarone fut limogé comme évêque par le pape Benoît pour avoir été filmé tandis qu’il avait un rapport homosexuel avec un prostitué dans la sacristie de la cathédrale. Pourtant, le cardinal Bergoglio le défendit publiquement, affirmant que le film visait à faire faire tomber l’évêque en raison de son engagement politique de gauche. Il convient de noter que Mgr Maccarone a déclaré que tout le monde était au courant de ses activités homosexuelles et qu’il avait été nommé évêque malgré elles.
Un autre ami et protégé du cardinal Bergoglio était Mgr Joaquín Mariano Sucunza, qu’il consacra évêque auxiliaire en 2000, alors qu’il savait que Mgr Sucunza avait été cité dans une affaire de divorce : il était en effet l’amant d’une femme mariée, dont le mari l’accusait d’avoir détruit son mariage (6). Mgr Sucunza a néanmoins poursuivi son ministère comme évêque auxiliaire et fut même désigné par le pape François comme administrateur diocésain de Buenos Aires en 2013, après l’élévation de Bergoglio à la papauté.

4. Protection des abuseurs sexuels


Ces dernières années, rien n’a fait plus de tort aux évêques que l’accusation de ne pas avoir agi avec diligence contre des prêtres soupçonnés d’avoir abusé sexuellement d’enfants. Plusieurs évêques ont vu leur carrière ruinée sur cette question, parfois même alors que leur culpabilité n’était pas évidente. Le pape François lui-même a annoncé une politique de « tolérance zéro » dans ce domaine et aurait inauguré, à ce qu’on dit, une nouvelle ère de transparence. Pourtant, si nous examinons cette question, nous constatons que sa propre carrière, dans le passé, est semée d’épisodes méritant autant d’attention que ceux qui ont entraîné la chute d’autres prélats.
Le premier cas à signaler est celui du prêtre Rubén Pardo, qui a été dénoncé à un évêque auxiliaire de Buenos Aires en 2002 pour avoir invité chez lui un garçon de quinze ans dont il a sexuellement abusé au lit. La mère du garçon a eu beaucoup de mal à convaincre les autorités ecclésiastiques de reconnaître le bien-fondé de l’affaire ; elle considérait que le cardinal Bergoglio protégeait le prêtre coupable et s’indignait de voir qu’il lui donnait un logement dans une résidence diocésaine. Elle s’est plainte d’avoir été éjectée par le personnel de sécurité lorsqu’elle tentait de parler au cardinal au palais archiépiscopal. Le prêtre est mort du sida en 2005 ; en 2013, un tribunal de Buenos Aires a obligé l’Église catholique à verser à la famille une indemnisation pour le préjudice subi. Voici l’opinion de la mère sur le traitement de l’affaire par les autorités religieuses : « L’engagement de Bergoglio, c’est juste des paroles » ( Ese es compromis de Bergoglio: de la boca para fuera) (7).

Un autre cas instructif est celui du Père Julio Grassi, condamné en 2009 pour avoir abusé sexuellement d’un adolescent (8). Ce qui surprend dans ce cas, ce sont les efforts exceptionnels déployés par la Conférence épiscopale argentine, sous la présidence du cardinal Bergoglio, pour l’acquittement du père Grassi : elle a fait rédiger à cet effet un document de 2 600 pages qui a été soumis aux juges après la condamnation de Grassi, mais avant que la peine ne fût fixée. L’avocat Juan Pablo Gallego a qualifié ce procédé de « cas scandaleux de lobbying et de pression sur la Cour ».

Loin de nous de nier l’importance de défendre des personnes innocentes contre de fausses accusations ; mais l’impression qui se dégage ici n’est pas celle d’un prélat qui aurait un bilan de « tolérance zéro » contre les abus sexuels. Plus significative peut-être est une remarque du cardinal Bergoglio au rabbin Abraham Skorka, publiée en 2010, un an après la condamnation du Père Grassi et selon laquelle des cas d’abus sexuels commis par des clercs « ne se sont jamais produits » dans son diocèse (9). Voilà un exemple de l’habitude caractéristique de Jorge Bergoglio de s’arranger de faits incommodes en niant leur existence.

Un autre exemple de ce travers est le cas du père d’un élève du collège jésuite de Buenos Aires, où le jeune Bergoglio avait enseigné dans les années 1960. Quarante ans plus tard, lorsque Bergoglio était cardinal-archevêque, ce père apprit de son fils que l’aumônier de l’école lui avait fait des propositions indécentes au confessionnal. Le père signala la chose au cardinal et fut choqué de constater que celui-ci n’entreprenait rien : la réponse de Bergoglio que nous retrouvons toujours face à des méconduites de toutes sortes. Peu de temps après, le père s’étonna d’entendre le cardinal Bergoglio déclarer, en réponse à une question lors d’une réunion de parents de l’école, que le problème des abus sexuels et du clergé homosexuel était virtuellement inexistant dans son diocèse.

À la lumière de ces faits, les récentes révélations sur la complicité du pape François dans la dissimulation d’abus sexuels aux États-Unis sont faciles à cadrer, – bien dans la ligne d’un homme qui, tout au long de sa carrière, s’est montré totalement indifférent aux accusations de corruption cléricale quand il en a pris connaissance. Quand on considère les promotions de Mgr Maccarone et de Mgr Sucunza, on n’est pas étonné de voir qu’il ait été un ami du cardinal McCarrick, qui, dans les années qui ont précédé l’élection de Bergoglio, avait déjà été sanctionné par le pape Benoît XVI pour ses agressions répétées de garçons et de jeunes hommes mais qui n’en a pas moins pu jouer un rôle influent dans l’élection de Bergoglio. Il est tout à fait conforme à la manière d’agir de Bergoglio, que celui-ci, devenu pape, ait pris, comme alliés principaux, des prélats comme le cardinal Danneels, connu pour avoir couvert des actes de pédophilie en Belgique, et le cardinal Wuerl, dont le rôle aux États-Unis s’avère tout aussi trouble.

Nous en revenons au fait que, si les cardinaux avaient eu la moindre idée de la situation de l’Eglise du cardinal Bergoglio à Buenos Aires, ils n’auraient jamais voté pour lui. Il était peut-être difficile de prévoir l’attitude cavalière de Bergoglio à l’égard de la doctrine catholique ; mais ce qu’ils recherchaient, c’était un homme qui s’attaquerait aux problèmes épineux qui avaient fait échouer Benoît XVI : la réforme financière et morale du Vatican et le fléau endémique des abus sexuels commis par des clercs. S’ils avaient été conscients du manque d’intégrité morale des clercs dont Bergoglio s’était entouré à Buenos Aires, des scandales financiers dans son diocèse, de son inertie habituelle en cas d’actes répréhensibles, de la manière dont il a toujours renvoyé ceux qui venaient se plaindre à lui et de son refus systématique des critiques, il aurait été clair pour eux que Bergoglio était le dernier candidat qui correspondît au profil d’un réformateur

Notes de l'auteur


(1) Austen Ivereigh, The Great Reformer, 2014, p. 244.
(2) Voir les articles « Acusan a Dromi de cobrar sobornos. Guillermo Laura dice que el exministro recibió US$ 7 millones de firmas viales » (Dromi accusé d’avoir reçu des pots de vin. Guillermo Laura dit que l’ex-ministre a reçu 7 millions de dollars des entreprises de travaux publics), dans La Nación (9 septembre 1999) et « La Justicia un embargo millonario contra Menem y Dromi. Presunta venta irregular d’un terreno de 241 ha. a Radio Nacional », dans La Gaceta (Tucumán) (23 avril 2008).
(3) Olga Wornat, Nuestra Santa Madre , Buenos Aires, 2002.
(4) Voir Urgente24 (journal en ligne argentin), 23 mars 2013: « Una causa judicial que todavía le importa al papa » (un procès qui concerne malgré tout le pape). Dans cet article, publié juste après l’élection du pape Bergoglio, l’auteur rapporte également les propos rapportés par Mgr Justo Laguna, évêque de Morón : au moment du conclave, en 2005, le cardinal argentin Leonardo Sandri en 2005, en référence à Bergoglio: « Vous feriez bien de prier saint Joseph que cet homme ne devienne pas pape ».
(5) Voir https://www.infobae.com/sociedad/2017/01/29/una-muerte-dudosa-una-herencia-millonaria-y-un-cura-bajo-sospecha/ («Une mort suspecte, un héritage de millions et un prêtre suspect »).
(6) Voir l’article de Marcelo González dans Panorama Católico Internacional, 20 septembre 2010: « Obispo Adúltero : Nombre y Pruebas » (Évêque adultère: nom et preuves).
(7) Voir l’article de Público du 3 mai 2013 : « Le papa encubrió al cura que abusó de mi hijo ».
(8) Voir BBC News, 24 septembre 2013, « Le prêtre argentin Julio Grassi a été incarcéré pour abus sexuel ».
(9)Sobre el cielo et la tierra, livre d’entretiens entre le cardinal Bergoglio et le rabbin Abraham Skorka, publié à Buenos Aires en 2010.

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