Pourquoi le Pape ne va pas en Argentine

A la veille de son voyage au Chili et au Pérou, la question se pose à nouveau. Complément au dossier de Sandro Magister: la lettre des évêque argentins, la réaction d'un catholique argentin désabusé, et un sondage chilien... (13/1/2018)

>>> L'article de Sandro Magister, avec les liens vers deux articles en espagnol, traduits ci-dessous par Carlota: www.diakonos.be.

>>> Ci-dessous: Une affiche "officielle" de bienvenue au Pérou.

On notera avec quelle bienveillance, voire quelle complaisance, l'AFP (cf. ICI: Le Point.fr ) justifie le refus du Pape de se rendre dans sa patrie; aucune des raisons données ne risquent de ternir sa "noble" image, et toutes viennent de ses amis: "il ne veut pas être manipulé"; "il essaie de ne pas être un facteur de division, d'opportunisme ou de sectarisme" (Gustavo Vera, un activiste social argentin proche du Pape); il souhaite "éviter le risque d'être utilisé par le gouvernement actuel, qui suit une politique sociale qu'il ne partage pas, (..) de privilégier sa patrie par rapport à d'autres nations, parce que le pape veut assumer un rôle universel" (Franca Giansoldati, qui a déjà eu le privilège de l'interviewer); "c'est une sorte de châtiment infligé au gouvernement de Macri qui le mérite" (un anonyme, dont on devine la couleur politique - il n'a pas été choisi au hasard).

Pourtant, on pourrait facilement imaginer d'autres motifs...
En revanche, il n'y a pas un gros effort à faire pour imaginer ce qu'on aurait dit si Benoît XVI avait soigneusement évité de se rendre en Bavière: nos informateurs zélés se seraient fait un plaisir de nous sussurrer que le Pape était persona non grata dans sa patrie, peut-être parce qu'il y conservait quelques "cadavres dans le placard" (mais ce dernier point aurait été problématique, car, à la différence de celui du pape actuel, le passé de Benoît XVI dans son pays avait été passé au peigne fin, et il était parfaitement limpide)

(Carlota)

J'ignore ce que sera la visite pastorale du Pape François au Chili (elle débute le 15 janvier) mais un groupuscule d’extrémistes soi-disant mapuche (population indigène du centre Chili et Argentine, qui déjà s’opposait aux Incas avant l’arrivée des Espagnols) vient de tenter d’incendier trois églises à Santiago du Chili (type d’action qui a déjà eu lieu dans le pays), avec des menaces contre le Pape (ici en espagnol: www.clarin.com, et un résumé de l'AFP: www.lepoint.fr) et qui ont marqué leur action d’inscriptions (territoire mapuche libre et les prochaines bombes dans ta soutane).
Un sondage récemment réalisé dans le pays a aussi montré que les Chiliens n’étaient pas si majoritairement que cela heureux de ce voyage.
Par ailleurs la commission permanente de l’épiscopat argentin a fait paraître un communiqué assez étonnant pour "défendre" le Pape [*] et voilà comment y répond un Argentin anonyme qui a transmis ses impressions à Sandro Magister (en vo ici: infovaticana.com/blogs/sandro-magister).

[*] Sandro Magister y voit, sous une forme cryptée, un dur avertissement... dont "il est difficile pour un non argentin de comprendre qui il vise" (?).

Le communiqué des évêques argentins

François le pape de tous


www.episcopado.org
Traduction de Carlota

* * *

Nous les Argentins nous avons un énorme privilège, cela fait presque cinq ans, un de nos frères a été élu Pape, c'est-à-dire la plus grande autorité de l’Église dans le monde; pour les chrétiens, vicaire du Christ sur la terre. Depuis ce moment, notre cher Pape François a acquis dans tous les pays un prestige et un soutien croissants, et aujourd’hui c’est une référence mondiale incontestable pour l’immense majorité des chrétiens et des personnes de bonne volonté.
Dans notre pays, une grande partie des médias ont porté plus l’attention sur des faits mineurs et même ont identifié le Pape à des figures politiques et sociales déterminées. Quelques uns de ces médias ont été clairs en affirmant qu’ils ne représentent ni ne prétendent représenter le Pape et l’Église. Cependant, cette constante association a généré beaucoup de confusions et justifié de lamentables déformations de sa figure et de ses paroles qui vont même jusqu'à l’injure et la diffamation.
L’immense majorité du peuple argentin aime le Pape François, il ne se laisse pas induire en erreur par ceux qui prétendent l’utiliser, soit en prétendant le représenter, soit en lui attribuant des positions imaginaires en fonction de leurs propres intérêts sectoriels. Le peuple simple veut écouter les enseignements du Saint Père, et le reconnaître par son langage clair et simple.
Accompagner les mouvements populaires dans leur lutte pour la terre, un toit, du travail est une tâche que l’Église a toujours accomplie et que le Pape lui-même promeut ouvertement, nous invitant à prêter nos voix aux causes des plus faibles et des exclus. Cela n’implique en aucune manière qu’on lui attribue ses propres positions ou actions, qu’elles soient correctes ou incorrectes.
C’est pourquoi, à la veille de sa prochaine visite aux peuples frères du Chili et du Pérou, nous voulons répéter que le Pape François s’exprime dans ses gestes et paroles de père et de pasteur, et à travers les porte-parole formellement désignés par lui. Personne n’a parlé ni ne peut parler au nom du Pape. Son apport à la réalité de notre pays il faut le retrouver dans son abondant magistère et dans ses attitudes comme pasteur, et non pas dans des interprétations tendancieuses et partielles que ne font qu’agrandir la division entre les Argentins.
Nous souhaitons ardemment que le Pape François soit évalué et écouté comme il le mérite et comme nous le méritons nous tous les Argentins.

Que la Vierge de Luján nous aide à construire notre Patrie comme des frères.

Buenos Ayres, le 10 janvier 2018
Commission exécutive de la Conférence Épiscopale Argentine.


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Un fidèle argentin désabusé écrit à Magister

Le véritable "effet François"


Sandro Magister
13 janvier 2018
Traduction (de l'espagnol) de Carlota

[J’ai reçu et je publie cette “réponse” à la déclaration de la Commission Permanente de l’Épiscopat Argentin à l’occasion du voyage du Pape au Chili et au Pérou. L’auteur doit « par nécessité » recourir à l’anonymat].

* * *

Je suis un Argentin, croyant catholique romain, et je ne me sens pas représenté par cette déclaration episcopale. Ce que j’écris ne représente certainement pas la totalité des croyants ; peut-être même pas la majorité, mais une large proportion, et en augmentation.

Nous les Argentins, nous avons une grande responsabilité face au monde et face à l’histoire: ce qui a pu être un privilège et une opportunité s’est transformé en une charge et une honte. Le fait qu’un Argentin soit arrivé à devenir Pape et la façon dont il a exercé cette responsabilité durant ces presque cinq ans est quelque chose qui aujourd’hui nous afflige. Son élection a engendré une grande attente et un intérêt inédit du monde sur l’Église: mais très vite, la conduite de François s’est transformée en un processus de dilapidation, de déconstruction de la vie de l’Église qui a frustré les meilleures expectatives.
Nous savons, que les médias dans notre Patrie et dans le monde entier cessent souvent d’être des témoins privilégiés de la réalité pour assumer le rôle de formateurs de l’opinion, un rôle qui ne constitue peut-être pas la mission authentique du journaliste et qui, s'ils ne l’exercent pas avec droiture, les transforme en agents de manipulation et de déformation.
Cependant, en cela aussi le Pape François a neutralisé l’attitude favorable que les médias avaient envers lui, ces médias qui dans un premier temps se firent l’écho de l’enthousiasme sensible d’une grande partie de la population.

L’association du Pape à des personnages liés à la dégradation culturelle et sociale, à la pratique délictuelle systématique et à des idéologies et des conduites contraires à l’identité nationale et à l’intégrité du bien comme (y compris de sa souveraineté) n’a pas été une invention des médias mais une conséquence naturelle des propres gestes, plus nets encore que ses paroles, du Souverain Pontife qui aime à jouer avec les ambigüités.

L’immense majorité du peuple argentin a toujours aimé et continue à aimer le Pape comme Vicaire du Christ, que cela soit François ou qui que ce soit. Et c’est à cause de cet amour, totalement surnaturel, qu’il supporte la douleur et la honte des expressions et attitudes qui frisent le manque de décorum et qui génèrent la confusion. Comme un père avec ses facultés mentales détériorées met à l’épreuve la patience et la force de bons fils qui continuent à l’honorer, en vertu du commandement divin, de même les croyants de toutes les latitudes, mais tout particulièrement les fils de cette terre d’Argentine, bénie et éprouvée, qui ne renonce pas à sa vocation de grandeur, continuent à espérer que le premier Pape argentin et américain se mette à la hauteur des dons reçus de Dieu.

Pendant ce temps, le Pape élève la bannière de revendications sociales contestables, sinon en substance, tout au moins dans leur expression et leurs conséquences, et fomente la confusion dans les enseignements et les pratiques essentielles du Christianisme, en déformant et prétendant reconfigurer l’essence de l’Église.
Et ce qui rend plus douloureuse et préjudiciable cette conduite c’est que les paroles que les gestes de François, ont généralement comme signature l’agression ou la moquerie, causant de la peine à ceux mêmes qui lui ont fait confiance, et recherchant la rencontre avec ceux qui se caractérisent par leur hostilité au Christ et à ses disciples.
C’est pourquoi, la prochaine visite du Pape aux peuples frères du Chili et du Pérou, un Pape qui laisse une fois de plus en dehors de son itinéraire la terre qui l’a vue naître, alors que déjà presque cinq ans se sont passés depuis son élection, doit être une occasion pour un questionnement sincère et une réflexion: pourquoi ne vient-il pas ? Nous ne voulons pas de prétextes. Les échappatoires ne durent pas éternellement. Nous sommes nombreux nous les catholiques qui passons de l’enthousiasme à la déception. Les plus faibles dans la foi courent le risque de s’éloigner de l’Eglise elle-même : c’est cela, le véritable « effet François ». Et ceux qui désirent rester fidèles, souffrent d’une tension constante entre leur adhésion au Christ et l’indignation que produit la manie des « surprises » dont est atteint le Pape François. Cela fait mal de dire que François reçoit ce qu’il mérite : ceux l’ont connu de près en Argentine savent qu’il était plus craint qu’aimé. Le mépris est en lui un art, un mode de vie et un outil de domination.

Peut-être que nous les Argentins avons quelque chose que nous méritons pour nos infidélités à Dieu : nous avons de grandes vertus, mais aussi des façons d’être qui parfois se transforment en grands défauts.
C’est pourquoi, au lieu de demander à Dieu et à sa Mère qu’ils nous donnent « ce que nous méritons » nous leur demandons humblement et en toute confiance qu’ils nous donnent « ce dont nous avons besoin ». Nos mérites sont nuls mais la Miséricorde de Dieu, la vraie, est infinie. En elle nous nous confions, pour le bien du Pape François, de notre Patrie et du monde entier.

Un sondage chilien éloquent

(Carlota)

Bien sûr, on peut faire dire aux sondages ce qu'on veut, mais on peut peut-être y voir certaines tendances.
Le Pape François sera le lundi 15 janvier prochain au Chili. Sa cote de popularité dans ce pays semble plutôt revue à la baisse si l’on en croit l’enquête diffusée sur le portail chilien Emol (la version internet du journal El Mercurio plutôt conservateur fondé à Valparaiso en 1827).
Donc, selon “Plaza Pública Cadem”, quand a été annoncée la venue du Pape François en juin 2017, le pourcentage d’avis positifs atteignait les 71%, il est désormais de 52%. Dans la même lignée, il n’y a que 23% des sondés qui disent que sa visite sera très importante ou assez importante pour le pays, 26% la voient comme quelque chose d’important et la majorité (50%) comme peu ou en rien important, un résultat qui montre une augmentation de 24 points par rapport à la mesure du mois de juin.
Enfin, 41% sont d’accord avec le fait qu’un jour férié spécial soit déclaré dans les villes visitées par François, tandis que 54% sont en désaccord avec la mesure.
De même seulement 16% sont d’accord avec le fait que l’Etat finance les 7 milliards de pesos (sur les 11 que coûtent la visite papale – sécurité et logistique) contre 80% qui ne sont pas d’accord.
Le Pape restera au Chili jusqu’au jeudi 18 janvier (soir puis gagnera le Pérou) [programme ici: w2.vatican.va , avec une visite à une prison de femmes à Santiago, la grande messe dans le parc O’Higgins, et une journée dans le sud du pays, à Temuco, en terre mapuche avec « une messe pour le progrès des peuples »] .
Voir ici en français le problème mapuche: www.cath.ch




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