Quand le silence du Pape devient complicité

Suite de l'affaire de la décoration attribuée par le Saint-Siège à l'icône hollandaise du mouvement pro-avortement (17/1/2017, mise à jour ultérieure)

>>> Une pro-avortement primée au Vatican.

Lilianne Ploumen et François

L'affaire de la décoration pontificale remise à une pasionaria pro-avortement hollandaise, bien que largement occultée par les médias mainstream (qui ne cherchent même plus à exploiter à leur profit la figure du Pape, comme si la répétition et la banalisation avaient fini par engendrer la lassitude, sinon l'indifférence, de l'opinion publique) fait quand même plus de bruit que prévu [(*)].
Jeanne Smits, qui évoque longuement l'affaire (ICI) écrit non sans malice:

A première vue l’affaire est incompréhensible. Qui donc s’occupe des affaires diplomatiques et politiques du Vatican pour qu’une telle bourde ait pu se commettre? L’explication la plus charitable veut qu’une peau de banane ait été glissée sous la mule du Saint-Père – mais il ne porte plus de mule et il est plutôt connu pour jouer "solo". Quoi qu’il en soit, s’il ne porte aucune responsabilité dans l’affaire, il a au moins un pouvoir, celui de retirer la décoration à une femme qui de toute évidence est délibérément aux antipodes de l’enseignement de l’Eglise et qui ne mérite pas d’être ainsi honorée. C’est en tout cas ce que réclame un jeune prêtre de paroisse de Heemstede près d’Amsterdam, le P. Van Peperstraten, qui s’est pris des volées de bois vert sur Twitter pour avoir osé suggérer la chose.


Et sur Boulevard Voltaire, aujourd'hui, un laïc, Claude Timmerman souligne à la fois le timing (qui est un hasard, car la décoration a été remise il y a plusieurs mois), mais surtout, et c'est important, la cohérence du pape:

À l’heure où les associations « pro-vie » mettent la dernière main à l’organisation de la marche du 21 janvier, cette nouvelle va certainement faire plaisir aux organisateurs et amener évêques et cadres religieux, qui encouragent ou participent à cette manifestation, à se poser quelques questions…
(...)
Après tout, on ne pourrait reprocher au pape François de ne pas être cohérent: il avait bien désavoué et fait démissionner le grand maître de l’ordre de Malte qui avait sanctionné le grand hospitalier coupable d’avoir fait distribuer des préservatifs dans le cadre des actions humanitaires de l’Ordre… Et le grand hospitalier fut alors restauré dans ses fonctions!


Mais l'affaire ne s'arrête pas là.
Avant-hier, je venais de mettre en ligne l'éditorial de Tomaso Scandoglio sur la Bussola quand Marco Tosatti (qui avait interrogé à ce sujet Paloma Garcia Ovejero, l'un des chiens de garde qui "gèrent" - si mal! - l'"image" de François, à défaut de celle de l'Eglise), publiait une énième mise au point du Vatican sur les conditions d'attribution d'une décoration "pontificale" à une abortiste frénétique. Il s'agissait d'une explication si emberlificotée, si maladroite, en un mot si misérable que par charité (c'est du moins ce que j'ai pensé alors), je n'ai pas cru devoir lui donner un écho.
Yves Daoudal a pris moins de précaution, et a résumé l'intervention de dame Paloma dès le lendemain, soulignant à quel point la pièce était pire que le trou:

Ou bien ce n’est pas vrai, et l’on ajoute le mensonge à l’ignominie.
Ou bien c’est vrai. Et alors c’est pire encore. Car cela veut dire qu’on décerne le titre de commandeur de l’Ordre de saint Grégoire le Grand à n’importe qui, sans le moindre examen de ce que fait ou dit le récipiendaire. De sorte que cette décoration, officiellement destinée à distinguer quelqu’un qui a rendu des services exceptionnels au Saint-Siège, est dévaluée et prostituée au point d’être distribuée à tous les membres des délégations, à des gens qui n’ont rien fait pour le Saint-Siège, ou qui œuvrent ouvertement contre la foi et la morale de l’Eglise, et contre l'Eglise elle-même. Et qu’on en fait un principe !


Riccardo Cascioli, qui consacre son éditorial d'aujourd'hui à l'affaire, s'exprime dans le même sens. Il rappelle par ailleurs l'affaire Jimmy Savile, le pervers de la BBC lui aussi "honoré" de la même distinction, à la fin du Pontificat de Jean-Paul II, qui justifie pourquoi, en principe, le saint-Siège était résolu à être plus vigilant dans l'attribution de médailles - en contradiction flagrante avec les pauvres explications de la porte-parole.

Quand on découvre au Vatican un lobby pro-avortement

Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
17 janvier 2017
Ma traduction

* * *

L'affaire de la décoration de l'Ordre Pontifical de Saint Grégoire le Grand concédé à la leader pro-avortement hollandaise Lilian Ploumen a atteint des niveaux d'absurdité tels qu'il est difficile d'éviter de parler ici d'un véritable lobby 'abortiste' au sein du Saint-Siège. Aussi parce que, comme cela a déjà été dit ces derniers jours, ce n'est que le dernier d'une série d'incidents de plus en plus «embarrassants» sur lesquels il serait plus qu'opportun d'apporter une clarification définitive.

Revenons à l'affaire Ploumen, rendue publique ces derniers jours par Michael Hichborn du Lepanto Institute. Comme nous l'avons déjà dit, Ploumen, qui est le ministre du développement des Pays-Bas, est une super-activiste à la fois pour l'avortement et pour les droits des LGBT et, à cet égard, elle a un palmarès à faire pâlir d'envie Emma Bonino. On ne comprend donc pas comment on a pu lui accorder une distinction honorifique qui doit être attribuée à ceux qui se sont distingués pour leur service à l'Église.

Le Vaticaniste Marco Tosatti a posé la question à la porte-parole du Saint-Siège, et le 15 au soir, il a reçu un bref communiqué de presse signé par Paloma Garcia Ovejero, adjointe de Greg Burke, selon laquelle la distinction a été remise à Mme Ploumen en juin dernier à l'occasion de la «visite de la famille royale hollandaise au Saint-Père» et «répond à la pratique diplomatique de l'échange de décorations». Cette distinction, conclut le communiqué, «n'est donc nullement un placet à la politique en faveur de l'avortement et de la contraception promue par Mme Ploumen».

La tentative de minimiser l'affaire est évidente mais la réponse, si c'est possible, aggrave le tableau.
Si l'on donne raison au communiqué, on pourrait penser qu'à l'occasion des visites de délégations de gouvernements et d'Etats, le Saint-Siège prépare sur un plateau des médailles correspondant aux différents ordres chevaleresques que les invités prennent alors un peu au hasard. Mais ce n'est pas le cas, les distinctions sont données ad personam et après examen des «mérites» du candidat. La motivation accompagne ensuite la remise de la croix comme symbole de la distinction. Chose d'ailleurs confirmée par Ploumen elle-même dans la vidéo dont l'information a été tirée. Elle dit, en effet, que son activisme pour l'avortement «n'est pas mentionné», mais «il est intéressant que soit mentionné ce qui concerne les ressources pour la société»; et de toute façon, elle voit cela «comme une confirmation de ce qu'elle fait pour les filles pour l'avortement», confessant qu'au cours des dernières années, elle a fait une longue action de lobbying au Vatican pour coopérer dans certains domaines dans les pays en développement.

Ainsi donc, pas de prix au hasard, au Vatican, on savait parfaitement qui est Ploumen et ce qu'elle fait, d'autant plus que depuis quelques années une décision stricte a été prise sur les décorations après un autre scandale qui avait là aussi affecté l'Ordre de saint Grégoire le Grand. En effet, à l'automne 2012, en Angleterre, on découvrit que le présentateur de la BBC Jimmy Savile, décédé l'année précédente, avait été un violeur en série de femmes et de mineurs, et qu'il avait également reçu l'Ordre de saint Grégoire le Grand. Mais dans ce cas, la décoration avait été remise avant que la vérité sur ce personnage n'éclatât, et les mérites étaient liés aux généreux dons qu'il avait faits au fil des ans. «Assez de décorations de complaisance» était le mot d'ordre de la Secrétairerie d'Etat et depuis lors les contrôles sur les distinctions ont été stricts.

Le cas Ploumen est bien plus grave: ici on sait parfaitement quelles sont les batailles «civiles» que mène la ministre néerlandaise, mais en revanche, on ne sait pas quels mérite lui reconnaît le Saint-Siège; et surtout, le cardinal hollandais Ejik n'a même pas été interrogé, comme il le souligne dans un communiqué publié le 15 janvier. Le communiqué du Vatican - qui ment et n'explique pas - est donc aussi scandaleux que la remise de la décoration.

Il devient désormais évident que dans les hautes sphères du Vatican, il y en a qui profitent de ce pontificat pour faire avancer des projets qui n'ont rien à voir avec le Magistère de l'Église catholique [ndt: la question revient: qui commande au Vatican?, comme le dit le P. Scalese]. Sur la question de l'avortement, force est de reconnaître que le Pape François a toujours été très clair dans ses paroles, même s'il n'intervient pas pour influencer le débat politique sur le sujet, comme il le fait au contraire sur d'autres sujets: «L'avortement est un crime, c'est un mal absolu», avait-il dit par exemple dans la conférence de presse à son retour du voyage au Mexique le 18 février 2016. Il s'est pourtant entouré de personnages qui visiblement tentent d'amener l'Église sur une autre voie, où la promotion de l'agenda LGBT, avec unions homosexuelles, ouverture à la contraception et clin d'œil à l'avortement, marchent main dans la main.

Il est donc temps, et urgent, qu'il y ait une intervention claire du Pape pour mettre un terme à cette dérive, car dans ce cas - qu'on le veuille ou non - le silence devient complicité.

Mise à jour


(*) A la fin de l'article mentionné plus haut, après avoir remarqué que beaucoup de gens, y compris parmi ses lecteurs, avaient d'abord pensé qu'il s'agissait d'une fakenew, Marco Tosatti ajoute:

Un détail, pourtant, est intéressant. Depuis le moment où la première information [càd avant la mise au point de la porte-parole, ndt], accompagnée d'une vidéo de l'intéressée, est sortie - et nous parlons de la soirée du 12 janvier, c'est-à-dire il y a quatre jours -, aucun journaliste des grands médias ou agences qui couvrent l'information du Vatican n'a pensé à demander des éclaircissements sur l'affaire. On ne peut pas dire que la nouvelle d'une leader pro-avortement médaillée par le Vatican ne soit digne d'aucune explication. Il nous faut donc chercher ailleurs les raisons de cette indifférence. Et, malheureusement, ce ne sont pas des raisons qui font honneur à la profession.



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