Benoît XVI, un pape qui dérange


En marge du "lettergate", une réflexion de Stefano Fontana, qui recense toutes les raisons qui font de Benoît XVI un pape "incommode", impossible à instrumentaliser (25/3/2018)

Le Prof. Stefano Fontana, que nous connaissons bien pour ses contributions à La Bussola, est directeur de l'Observatoire International Cardinal Van Thuân sur la doctrine sociale de l'Eglise.

 

Benoît XVI, un pontife impossible à "truquer"


Stefano Fontana
www.lanuovabq.it
23 mars 2018
Ma traduction

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Dans l'affaire Viganò, il y a beaucoup plus que Viganò. Il y a une attaque contre Benoît XVI, dans laquelle les trucages des médias devaient servir à un trucage théologique et magistériel, dans une tentative de changer les connotations perçues du magistère de Ratzinger, l'entraînant vers d'autres interprétations. Foi et raison, écologie humaine, droit naturel, Quaerere Deum et vetus ordo: un pontificat incommode encore contrarié.

Dans l'affaire Viganò, il y a beaucoup plus que Viganò.
Dans l'éditorial d'hier [cf. Démission de Mgr Vigano], le directeur Cascioli affirmait que derrière l'affaire Viganò, il y avait une attaque contre Benoît XVI, non seulement une instrumentalisation de sa personne, ce qui serait évidemment déjà très grave, mais aussi de sa pensée et de son magistère, dans une tentative de le "bousculer" et de lui faire dire ce qu'il n'a pas dit, en le cantonnant sur des positions qu'il n'a jamais occupées. Le trucage médiatique aurait servi efficacement un trucage théologique ou même magistériel, dans une tentative de changer les connotations perçues du magistère de Benoît et de l'entraîner vers d'autres interprétations.

Benoît XVI, durant son pontificat, a été qualifié par la "Civiltà Cattolica" de "Pape incommode". En tant que Pape Émérite, Benoît XVI continue évidemment d'être incommode si, en le bousculant, on veut le normaliser. Mais il est difficile de le faire de façon correcte, puisque son magistère est là devant tout le monde dans sa clarté.
Quels sont donc les aspects "incommodes" de Benoît XVI que l'affaire Viganò voulait accommoder ?

En premier lieu, l'approche de sa théologie et de son enseignement sur la Vérité du Christ-Logos, sur la rencontre providentielle du christianisme avec la pensée grecque et donc sur la confirmation de l'importance de la métaphysique et de sa relance en théologie, conformément aussi à Fides et ratio de Jean-Paul II.
Il s'agit d'une ligne directrice qui court-circuite une grande partie de la théologie progressiste d'hier et d'aujourd'hui, laquelle au contraire a depuis longtemps abandonné la métaphysique, optant pour le paradigme herméneutique. A la connaissance de l'être, elle a substitué une interprétation de l'existence.
Cette ligne de Benoît XVI est très incommode aussi parce qu'elle impose la récupération de la Sagesse créatrice et, par conséquent, de la défense de la Création selon des modalités non idéologiques, ainsi que la pleine prise en charge de la loi morale naturelle et de la loi naturelle. Choses qui donnent la chair de poule aux cardinaux, évêques et leurs théologiens fidèles qui suivent les signes des temps.

Sur le premier des deux points, Benoît XVI a engagé l'Église dans la défense de la Création non seulement dans la version réductionniste de l'ONU et du mouvement écologiste et populaire, mais aussi dans le sens de l'écologie humaine et sociale. L'homme et la société sont aussi le fruit de la Sagesse créatrice et possèdent donc un ordre. La vie, le mariage et la famille doivent être défendus pour cela. D'autres le font, dira-t-on. Oui, mais seule l'Église est capable de protéger pleinement la loi naturelle, en lui reconnaissant son autonomie, comme l'a expliqué Benoît XVI au Parlement allemand, mais dans le même temps de s'imposer comme son premier protecteur, car elle seule est capable de relier la création au Créateur, la mettant ainsi en sécurité. La théologie de la création est très peu utilisée dans les écoles théologiques d'aujourd'hui, elle est considérée comme trop fixiste et métaphysique, et c'est pour cette raison même qu'il s'agit d'un discours "incommode".

Quant à la loi morale naturelle, innombrables sont les enseignements de Benoît XVI sur ce thème, qui est à la base des enseignements d'Humanae Vitae de Paul VI, de Familiaris Concortio, Evangelium Vitae et Veritatis Splendor de Jean Paul II. Il est difficile de défendre dans l'Église des nouveautés dans le domaine moral sans remettre en question le concept même de loi morale naturelle et la théologie morale qui l'assume dans sa relation avec la nouvelle loi. Il est clair qu'il s'agit également d'une leçon incommode. Il en résulte immédiatement la très incommode doctrine des "principes non négociables", enseignée par Benoît XVI, immédiatement contestée par la théologie progressiste et aujourd'hui définitivement mise de côté.

L'approche correcte de la relation de purification entre la raison et la foi, qui a été sans aucun doute l'un des arguments centraux dans l'enseignement de Benoît XVI, visait aussi à dépasser les nombreuses erreurs de l'ère post-conciliaire et à reconsidérer le Concile lui-même dans sa réalité authentique, en le restituant à l'Église après que de nombreux théologiens en aient permis l'instrumentalisation par le monde. Cela parce qu'il remettait de l'ordre dans la relation entre doctrine et pastorale, réclamait implicitement une révision de ce qu'on appelle le "tournant pastoral" et qu'il recommençait à enseigner que la vérité précède la pratique. Il ne faut pas oublier que la relation correcte entre foi et raison est d'une importance fondamentale pour que l'exégèse biblique puisse aller au-delà de la méthode historique critique que Benoît XVI a remise à sa place.

Le point le plus crucial du "malaise" de Benoît XVI a peut-être été la publication du motu proprio "Summorum pontificum" avec lequel était restauré le vetus ordo dans la célébration de la Sainte Messe, le considérant comme une forme extraordinaire du seul et unique rite de l'Église catholique. Les nombreuses critiques du cardinal Ratzinger sur l'origine et l'évolution de la réforme liturgique post-concile et les profondes réflexions liturgiques du théologien Ratzinger étaient bien connues. C'est ainsi que le motu proprio a voulu faire de la liturgie un point de renouveau général de l'Église dans la fidélité à la tradition. Ce fut certainement la disposition la plus contrecarrée de tout son pontificat.

Benoît XVI a établi la relation entre l'Église et le monde sans céder au sécularisme ou à la confusion entre le sacré et le profane. Il a travaillé pour restaurer la centralité de Dieu y compris dans la construction de la société humaine, "Quaere Deum" était la chose la plus importante dont les bénéfices humains naîtraient aussi, les choses dernières éclairent aussi les choses avant-dernières. Il a ainsi clairement enseigné que la neutralité à l'égard de Dieu était impossible et qu'un monde sans Dieu est un monde contre Dieu. Il a aidé à comprendre correctement la sécularisation et la laïcité. Ces enseignements contrastent avec les nombreuses interprétations de Vatican II comme parité entre le monde et l'Église ou avec de nombreux courants théologiques contemporains qui tendent à réduire l'Église au monde.

Le pontificat de Benoît XVI reste "inachevé", mais cela ne veut pas dire qu'il n'a pas été clair et cohérent dans la lutte contre le gnosticisme, y compris au sein de l'Église. Certainement un pontificat impossible à bousculer sans trucages.

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