La lettre de Benoît XVI (suite)

La présentation, par le journaliste du 'Corriere delle Sera' qui a servi d'intermédiaire. Et quelques réflexions en marge, sur le traitement médiatique (8/2/2018)

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La lettre de Benoît XVI

Voici l'article de Massimo Franco, le journaliste du Corriere della Sera auquel elle était adressée, en présentation de la lettre de Benoît XVI que j'ai traduite en hâte hier.
Il faut lire ce qu'il écrit, pour situer l'esprit de l'initiative, alors que, comme c'était prévisible, les médias mettent presque unanimement l'accent sur la continuité entre les deux pontificats, et l'excellente relation entre les "deux Papes" - que rien pourtant n'évoque dans la lettre. Récupération?

Quoi qu'il en soit, Massimo Franco, bien plus subtil, remet (un peu) les pendules à l'heure: «Si par hasard - écrit-il-, il existait des différences, elles sont restées un secret gardé entre eux».

L'autre aspect qui dérange, dans la façon dont l'information circule, c'est cette insistance à rappeler les récents "pépins" de santé du Saint-Père (comme son oeil au beurre noir, consécutif à une chute, le fait qu'il se déplace avec un déambulateur, qu'il ne joue presque plus du piano et qu'il n'écrive presque plus... - bref, rien de nouveau, un simple "pot-pourri" de confidences faites par son secrétaire au fil des années), le fait qu'il soit à la fin de sa vie, et qu'il se prépare à la mort. Comme si un homme de 90 ans, avec la riche spiritualité qui est la sienne, ne se préparait pas à paraître devent son Créateur! Et ce sont les mêmes qui annoncent sa mort prochaine régulièrement depuis désormais 5 ans, dans un esprit qui est tout sauf charitable!

Mais au-delà de ces considérations polémiques qui risquent d'occulter l'essentiel, reste la très émouvante lettre de Benoît XVI (qui semble étonné de continuer à susciter un tel amour, y compris dans l'opinion publique), dont on a l'impression qu'elle nous est personnellement adressée.

Longue vie, Très Saint-Père!

Benoît XVI et la lettre au "Corriere":
«Je suis en pèlerinage vers la Maison».


Le Pape émérite a répondu aux nombreux lecteurs, qui demandaient de ses nouvelles, dans une lettre remise en main propre au siège romain de notre journal.


Massimo Franco
Il Corriere della Sera
6 février 2018
Ma traduction

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La lettre, «Urgente, à remettre en main propre», est arrivée hier matin au siège romain du Corriere, venant du «Monastère Mater Ecclesiae, V-120 Cité du Vatican»: l'ermitage au sein des Murs Sacrés où le Pape Emérite Benoît XVI s'est retiré depuis sa démission, il y a exactement cinq ans. Mais elle semble arrivée d'un autre monde, beaucoup plus éloigné que les quelques kilomètres qui marquent la distance physique de cet endroit. Peut-être parce que l'enveloppe contenait un carton plié et une autre enveloppe scellée contenant un message de neuf lignes. Mais surtout parce qu'elle transmettait des paroles fortes, vraies, non formelles: un geste d'une attention exquise pour ceux qui, ces derniers temps, demandaient de plus en plus souvent comment se porte «Papa Benedetto»; comment vit-il ce qu'il appelle lui-même, dans le texte, «cette dernière période de ma vie».

Canal confidentiel
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Il y a quelques jours, par un canal confidentiel, nous lui avions posé la question en espérant recevoir une réponse. Après cinq années durant lesquelles il avait pratiquement disparu de l'horizon public, rencontrant peu d'amis, et réduisant ses promenades dans les jardins du Vatican, en s'aidant d'un déambulateur, il pensait peut-être qu'il avait été oublié. Il ne savait pas que sa figure reste très présente, avec la suggestion d'un temps sans précédent où cohabitent "deux papes", expression pas vraiment orthodoxe mais habituelle. En effet, le mystère de ses jours sans écho public, avec des images floues et des apparitions de plus en plus rares dans quelque cérémonie à laquelle il a été invité par François, ont affiné et en même temps magnifié son profil.

Cette signature manuscrite
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Benoît «est là», il flotte dans l'air sans le vouloir. Et même, il est peut-être enraciné dans la mémoire de l'opinion publique précisément parce qu'il a essayé de se dissoudre dans un vide existentiel pour laisser toute la scène à son successeur: le Cardinal Jorge Mario Bergoglio «qui a une écriture plus petite que moi» a noté Joseph Ratzinger. Mais la sienne, à la plume, au bas de la lettre, est maintenant minuscule: presque comme si elle rétrécissait avec ses énergies physiques, mettant en évidence la difficulté même d'écrire. On raconte qu'en privé, il le dit avec un peu de tristesse: il ne parvient plus à consacrer suffisamment de temps pour construire ces textes d'une grande finesse théologique qui ont tracé le chemin de l'Église catholique pendant des années. Pourtant, il accepte sa propre fragilité. Dans ses mots, qui sont un remerciement et en même temps presque un adieu, on en perçoit plus qu'une allusion.

Cinq ans après
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Cette référence au «lent déclin des forces physiques», la confession d'être «intérieurement en pèlerinage vers la Maison», avec un 'm' majuscule, et le «merci» aux «nombreux lecteurs» du Corriere qui continuent à demander après lui: ce sont peu de mots mesurés, mais ils transmettent une grande profondeur. Peut-être, dans l'admiration et dans une pointe de nostalgie pour Benoît XVI, ressentie ici et là [euphémisme!!] dans certains secteurs du monde catholique, devine-t-on le traumatisme de sa démission, pas complètement digéré, le 11 février 2013: un tournant historique. Mais il y a aussi la reconnaissance d'une conduite exemplaire entre lui et le Pape François au cours de ces cinq années. Une cohabitation régie par aucune loi; confiée seulement au caractère de ces deux personnalités si différentes, malgré une insistance, parfois un peu d'office, sur la continuité entre leurs pontificats.

Les deux Papes
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Il n'était pas évident que «deux papes» au Vatican réussissent à conserver des personnalités aussi distinctes, sans se superposer ou, pire encore, en transmettant des messages de division. Si par hasard il existait des différences, elles sont restées un secret gardé entre eux: comme s'ils savaient tous les deux que l'important était d'essayer de maintenir unie une Église parcourue par mille tensions. C'est un signe de force spirituelle et d'humilité, qu'il sublime quand, s'adressant à ceux qui continuent à s'intéresser à lui, il les salue avec un ton presque familier: «Je ne peux que remercier».

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