Le silence de Benoît XVI

Dans ces temps de bruit et de confusion, nul doute que ce silence, en lui-même, constitue un message à méditer. Une très belle et très subtile réflexion, trouvée sur le site <First Things>, qui rompt avec les banalités habituelles sur la "retraite" de Benoît XVI (9/2/2018).

Février 2012. Silence et neige sur la Place Saint-Pierre

Benoît en silence


PJ Smith
6 février 2018
www.firstthings.com
Ma traduction


Alors que nous approchons du cinquième anniversaire de l'abdication de Benoît XVI et de l'élection de François, nous sommes confrontés à une situation étrange lorsque nous réfléchissons à la trajectoire de l'Église: nous devons considérer les actions de deux hommes, tous deux encore en vie. Il y aura une tendance naturelle à réduire le pontificat de Benoît XVI à quelques faits saillants, parmi lesquels sa décision stupéfiante de se retirer de la papauté. De même, on aura tendance à considérer 2013-2018 comme l'âge de François. Cependant, il serait injuste de ne pas tenir compte des actions de Benoît XVI - ou de leur absence - depuis qu'il a quitté l'Office pétrinien. Il serait injuste d'ignorer le silence profond de Benoît XVI.

Benoît XVI s'est référé avec justesse à lui-même comme à un "moine cloîtré" depuis sa démission. Résidant dans le monastère Mater Ecclesiae du Vatican (fondé au début des années 1990 pour des religieuses cloîtrées, mais libéré en 2012 pour faire place à des rénovations), il donne l'impression de se préparer à la fin de sa vie par la prière et l'étude. Bien sûr, il a des visiteurs, donc il n'est nullement l'anachorète de saint Pierre. Ou plutôt, la façon dont Benoît XVI s'est le plus clairement cloîtré est son discours. Tout au long du pontificat de François, l'ancien pape est resté remarquablement silencieux au sujet de son successeur et de l'état actuel de l'Église.

Le silence de Benoît XVI est d'autant plus extraordinaire que les problèmes qui secouent l'Église aujourd'hui sont nombreux. Il est vrai que Benoît XVI a fait plusieurs remarques publiques - une postface au livre du cardinal Robert Sarah et un message pour les funérailles du cardinal Carlo Caffarra [l'auteur doit confondre avec le cardinal Meisner, ndt] - et certains de ses détracteurs se sont déchaînés contre ces déclarations. Benoît, disent-ils, était censé garder un silence absolu dans sa retraite, bien qu'on ne sache pas qui, à part peut-être François lui-même, pourrait lui imposer une telle règle. Néanmoins, en ce moment de la vie de l'Église - en fait, à l'instigation du Souverain Pontife, qui a appelé à maintes reprises à la parrhésie - il y a beaucoup à dire, et de nombreux prélats s'expriment. Mais pas Benoît.

Il est resté, quant à lui, fondamentalement silencieux dans le débat sur la communion pour les personnes divorcées et remariés civilement. Il a révisé un essai que le cardinal Kasper aimait citer pour appuyer la résolution préférée de Kasper sur la question [cf. benoit-et-moi.fr/2014...la-retractation-de-benoit-xvi]. Mais sinon, l'homme lui-même qui avait autrefois émis Sacramentum Caritatis et qui avait précédemment été préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi lorsque Jean-Paul II avait émis Familiaris Consortio n'est pas intervenu dans le débat. Joseph Ratzinger, un évêque reconnu comme l'un des théologiens les plus intelligents et les plus influents de l'époque, est resté silencieux sur une question qui concentre plusieurs des questions théologiques les plus épineuses de ces dernières années. Qui mieux que lui peut parler de la possibilité de suivre la loi de Dieu dans tous les cas, ou de la viabilité de l'éthique de situation? Qui de mieux pour discuter du développement de la doctrine dans l'Église que l'homme qui a assisté au Concile Vatican II en tant que peritus?

Benoît pourrait, en termes parlementaires, soulever une question de privilège personnel. Le grand débat dans l'Église aujourd'hui n'est pas seulement la controverse sur Amoris Laetitia, mais la question de savoir si l'héritage de Jean-Paul II doit être démantelé. Sur tous les fronts, le consensus forgé par Jean-Paul II est reconsidéré et souvent rejeté. Comme l'un des plus proches collaborateurs de Jean-Paul II pendant la plus grande partie du long pontificat du saint Pape, il est inimaginable que Benoît XVI ne ressente aucun lien personnel avec cet héritage. Benoît XVI a poursuivi, quoiqu'avec quelques modifications, la large trajectoire tracée par Jean-Paul II. Effacer le magistère de Jean-Paul II, c'est effacer le magistère de Benoît XVI. Alors que les forces montent pour saper l'acte véritablement prophétique de Paul VI dans Humanae Vitae, on peut aussi se rappeler que Benoît XVI fut nommé archevêque de Munich par Paul VI et créé cardinal dans le dernier consistoire de celui-ci en 1977.

Malgré sa formidable compétence et sa relation personnelle avec les débats actuels de l'Eglise, Benoît XVI reste silencieux dans son cloître romain. Il le fait sans doute parce qu'il est convaincu que s'il parlait, cela ferait plus de mal que de bien. D'un côté, on a tendance à l'anticiper. En ce moment, l'Église n'a-t-elle pas besoin de la sagesse d'un évêque et théologien qui est au cœur de l'Église depuis le Concile Vatican II? De l'autre, quelle conscience est mieux formée que celle de Joseph Ratzinger? Si même une conscience erronée mais sincère est inviolable [comme le suggère Amoris Laetitia, ndt], juqu'à quel point une conscience peu susceptible d'être dans l'erreur est-elle inviolable? Autant nous souhaiterions une intervention limpide, logique de Benoît XVI sur les questions qui convulsent l'Église, autant nous devons respecter la décision de Benoît XVI de garder le silence.

Ce qui est le plus extraordinaire, c'est que Benoît XVI a gardé le silence à un moment où le silence n'a pas bonne presse. Il y a plus de bruit aujourd'hui que jamais, sans se soucier des conséquences. Les informations diffusées par le câble sont devenues des cris [/engueulades] ponctués de pauses publicitaires, et le fait que les téléspectateurs apprennent ou non quelque chose est secondaire par rapport à la valeur divertissante de CNN, Fox ou MSNBC.

Plus le jour présent est marqué par le bruit - un bruit assoudissant - sur l'éphémère, plus le silence de Benoît sur les choses éternelles, par contraste, se fait profond.

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