Le Pape-Peron

Pourquoi, 5 ans après son élection, François ne s'est-il toujours pas rendu dans son pays natal (qu'on n'ose appeler sa patrie!)? Apparemment, il n'y est pas persona grata, on lui reproche son activisme politique, plus particulièrement sa proximité des syndicats. Tentative d'explication par Andrea Zambrano (4/11/2018)

L'une des clés de la compréhension de la personnalité de François réside dans sa proximité au péronisme. Les similitudes entre sa manière d'exercer le pouvoir et celle du charismatique Juan Peron ont été relevées par de nombreux observateurs, et on trouve plusieurs articles à ce sujet dans ces pages. Par exemple:

Denière analyse en date dans ce sens, celle d'Adrea Zambrano, l'un des chroniqueurs de La Bussola, qui note que même la presse mainstram, représentée par le quotidien la Nacion, qui l'a jusqu'à présent soutenu vent debout, est en train de le lâcher, par la plume de l'une de ses signatures de prestige. C'est l'élection de Macri qui aura joué le rôle de détonateur. On reproche notamment à François son ingérence dans la politique intérieure argentine.

"Le Pape est Peron", l'Argentine s'interroge sur Bergoglio


Andrea Zambrano
3 novembre 2018
www.lanuovabq.it
Ma traduction

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Une signature de prestige du quotidien La Nacion accuse le pape François de vouloir être Péron et de vouloir faire tomber Macri. Complice, égalemment, une messe oecuménique des syndicats contre le gouvernement, soutenue par lui. Les raisons d'incompréhension avec son pays, qu'il n'a pas encore visité.


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«Le rêve du Pape François n'est pas d'être Pape, mais d'être Péron». Sur la figure de Bergoglio, en Argentine, il y a un débat animé qui vaut la peine d'être enregistré, surtout pour se faire une idée de la manière dont le pontife est perçu dans son pays. Un pays qu'au cours de ses cinq années de pontificat, il n'a pas encore visité, déclenchant un flot d'hypothèses et de reconstitutions.

Celui qui a utilisé cette expression colorée, c'est Jorge Fernández Díaz, analyste et écrivain argentin, signature-vedette du quotidien La Nacion, qui dans le passé fut la référence de l'archevêque de Buenos Aires d'alors, et qui semble être aujourd'hui l'un de ses principaux détracteurs. Pour des raisons purement politiques, parce que si en Europe le Pape François est considéré comme le leader du tiersmondisme et du mondialisme, en Argentine cela a des répercussions sur le gouvernement de Mauricio Macri.

Diaz est intervenu dans l'émission de la Nacion, Terapia de noticias et il a analysé le rôle joué par le Pape dans la politique nationale. Les paroles prononcées par Diaz sont d'une force explosive et seraient suffisantes, du moins en Italie, pour que les "gardiens de la révolution" creient au crime de lèse-majesté. Mais en Argentine, qui est son pays natal, il semble y avoir - au minimum - plus de liberté pour juger certains comportements politiques qui, en tant que tels, font l'objet de discussions et non de dogmes de foi.

Par exemple, Diaz a accusé le pape François de diriger un mouvement contre le gouvernement de Macri. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase est la messe œcuménique qui a eu lieu ces derniers jours dans le cimetière du sanctuaire national argentin de Notre-Dame de Lujan. Une messe à haut contenu politique, célébrée par l'archevêque de Mercedes, Agustín Radrizzani (*), évêque considéré comme ultra progressiste et ami de l'ancienne présidente Cristina Kirchner, qui a accepté la requête des dirigeants syndicaux péronistes de gauche, d'une messe œcuménique pour «du pain, la paix et du travail».

Eh bien la célébration religieuse, dans l'homélie de laquelle l'évêque n'a pas manqué de mentionner le Pape François et son invitation «à ne pas se laisser voler l'espérance», a été considérée comme une attaque de l'Église alliée aux syndicats contre le gouvernement. Pour aggraver le tout, il y a eu aussi un épisode qui s'est produit au Vatican lors de l'audience du mercredi. Certains membres du principal syndicat argentin ont eu accès à le pape François et l'ont invité à signer le t-shirt célébrant l'événement.

C'est donc le point de départ de Diaz dans son intervention. «Le Pape joue et fait jouer à un secteur important de l'Eglise un projet politique uni au péronisme et à des secteurs de la gauche qui luttent de façon outrée contre le gouvernement», a dit Diaz à l'animateur, le journaliste Diego Sehinkman.

Pour l'écrivain «Le pape François est un très mauvais politicien puisqu'il a divisé son troupeau et fait une série de désastres politiques depuis qu'il a pris le pouvoir de l'Église». Selon lui «le Souverain Pontife vit le rêve d'être Peron, il a la tendance irrépréssible de diriger ce type de mouvement dans toute l'Amérique latine et principalement dans sa patrie».

Ce qui est intéressant à noter, c'est que dans son pays natal la figure de Bergoglio est vue uniquement avec des yeux politiques. Cela pourrait être un handicap, puisque Bergglio est avant tout un guide religieux et ses gestes et ses paroles ne doivent donc pas toujours avoir des retombées politiques. Mais dans un pays fortement polarisé comme l'Argentine, il est significatif que le jugement exprimé sur le Souverain Pontife soit d'une nature - et d'une nature critique -, éminemment politique.

Mais c'est probablement aussi le jugement de ceux qui ont connu Bergoglio avant même qu'il ne monte sur le trône de Pierre. Ils savent que cette attitude si politique était déjà aussi la sienne avant de quitter Buenos Aires pour le conclave qui l'élira Pape. Mais, au bout de cinq ans, c'est aussi la prise de conscience que le Bergoglio que l'on pensait connaître n'est peut-être plus le même.

Il fut un temps où Bergoglio était considéré comme un évêque conservateur et pas du tout un ami de la gauche, même si en Amérique du Sud la distinction entre conservateurs et progressistes est profondément imprécise. Un péroniste, donc, mais davantage de droite, étant donné qu'en Argentine le péronisme est le dénominateur commun de toutes les expériences politiques, sauf ensuite à coller les étiquettes de droite et de gauche pour les différencier. Et ce changement qui lui est attribué est peut-être l'élément le plus intéressant d'une distance, celle entre le Pape et son pays, qui ne semble plus le reconnaître.

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NDT:

(*) Agustín Roberto Radrizzani, SDB (salésien), est l'actuel archevêque de Mercedes-Luján.

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