Le Premier Siège n'est jugé par personne. Et pourtant, certains essaient! Belgique, Etats-Unis, Royaume-Uni, etc.. Un article du professeur Roberto de Mattei, fondateur de la revue Radici Cristiane (19/7/2010)

C'est au plus fort de la crise du printemps dernier, sous la plume du Père Scalese, que j'ai découvert cette expression: "Le Premier Siège ne peut être jugé par personne".
C'était aussi la première fois qu'il était question (en fait, par le juge italien, De Magistris récemment encore évoqué ici), de "citer Ratzinger" à la barre des témoins. Sans que cela ne provoque plus d'indignation que cela.
Depuis, il y a eu un crescendo, avec la descente de police à la cathédrale de Malines en Belgique, la décision de la Cour Suprême des Etats Unis de ne pas accorder d'immunité judiciaire au Saint-Siège, et les prétentions exhorbitantes d'avocats américains appâtés par le gain et aveuglés par la haine idéologique...
Sans parler des menaces d'activistes britanniques, qui rêvent d'arrêter le Pape, à l'occasion de son prochain voyage en Grande Bretagne.
Au point que le Père Scalese, toujours lui, écrivait, le 26 juin dernier : Si j'étais le pape , j'y regarderais à deux fois avant de mettre les pieds en Angleterre: il y aura toujours un juge Garzón, tout prêt à émettre un mandat d'arrêt international ...

Voici un article du professeur Roberto de Mattei , reproduit sur le portail www.corrispondenzaromana.it/ et qui sera publié dans le numéro de Août-Septembre 2010, du magazine «Racines chrétiennes» dont il est le fondateur .

Il fait le point.

"Prima sedes a nemine iudicatur"
Le Siège apostolique romain ne peut être jugé par personne ", dit le canon 1404 du Code de droit canonique en vigueur.

Les origines de cet axiome sur l'impossibilité de juger le Pape sont anciennes et glorieuses . Il a été formulé par saint Grégoire VII dans le Dictatus Papae (1075) contre le "césaropapisme" (ndt: système dans lequel le pouvoir temporel exerce son autorité sur les affaires religieuses, par opposition à la théocratie, où l'autorité est d'essence divine) allemand; il a été proclamé par le pape Boniface VIII dans la bulle Unam Sanctam (1302) contre le gallicanisme de Philippe le Bel; il a été défini par le Concile Vatican I (1870) contre le laïcisme libéral.
C'est de cette déclaration de principe que doit émerger une réaction aux agressions du relativisme contemporain, qui ne doit être ni timide, ni velléitaire. Nous n'avons pas à nous "efforcer" de démontrer que le Pape est "innocent" des accusations ignobles de "complicité" dans les crimes de pédophilie .
Nous devons avant tout rappeler que le Pape ne peut être jugé par personne, et rejeter avec mépris les tentatives d'amener l'Eglise devant les tribunaux.
Nous parlons de l'Eglise , et non des évêques ou des prêtres individuels . Les crimes qui ont pu être commis par des hommes d'Eglise individuels ne peuvent jamais être attribués à l'Église comme telle , parce qu'Elle est une société parfaite, par sa nature "injugeable".

Et pourtant, c'est précisément sur ce point que se déroule l'attaque en cours.
Ce qui se passe doit nous faire réfléchir .

Le 24 Juin à Bruxelles , alors qu'il y avait une réunion de la Conférence épiscopale , une trentaine de policiers , à la demande de la magistrature , ont fait irruption dans l'archevêché et détenu pendant neuf heures en garde à vue , les évêques présents . Le même jour, armés de marteaux-piqueurs , les policiers sont descendus dans la crypte de la cathédrale Saint Rombaut à Malines , et ont profané les tombes des cardinaux Jozef-Ernest Van Roey et Léon-Joseph Suenens , défunts archevêques de Malines-Bruxelles , à la recherche improbable de "documents". Ont également été saisis les 475 dossiers sur la pédophilie , examinés par une commission indépendante nommée par la Curie , et quelques jours plus tard, l'habitation du cardinal Godfried Danneels , primat de l'Église belge de 1979 à 2009 a été fouillée, et ce dernier a passé dix heures d'interrogatoire dans les locaux de la police. Il n'est que trop clair que , sous prétexte d'enquêter sur les cas de pédophilie, on aimerait mettre en jugement, et discréditer médiatiquement , non pas tel ou tel prélat, mais toute l'Eglise en Belgique .

Rien de comparable contre l'Eglise n'était arrivé en Europe depuis la guerre civile espagnole
(1936-1939) .
Mais ce qui est arrivé quelques jours après aux Etats-Unis est encore plus inquiétant .
Le 29 Juin , la Cour suprême a levé l'immunité juridique de l'Eglise en Amérique , admettant que les autorités du Vatican pourraient être accusées en Oregon dans un procès pour abus sexuels commis par un clerc . L'Eglise est de fait privée de sa dimension juridique supranationale et réduite à une société purement privée , où les supérieurs sont responsables des fautes de leurs employés. Théoriquement , donc , ce tribunal pourrait valider la mise en cause comme accusés du Pape Benoît XVI , de son secrétaire d'Etat le cardinal Tarcisio Bertone et du nonce apostolique aux États-Unis , l'archevêque Pietro Sambi .

Cela se produit alors qu'à la veille de la visite de Benoît XVI en Angleterre, plusieurs athées militants ont fait la même demande à la justice de ce pays .

A ce point, plusieurs considérations s'imposent.
Durant les années du Concile, on a dit que l'Eglise devait abandonner un ton ferme et des positions intransigeantes pour rechercher le dialogue avec le monde moderne : un monde qui ne lui était ni hostile ni étranger, mais devait même l'enrichir dans la confrontation mutuelle. L'avant-garde de cette nouvelle «pastorale» se trouvait en Europe centrale et avait son champion dans le cardinal Suenens, Primat de Belgique , l'homme qui en 1968 a conduit la résistance à Paul VI sur Humanae Vitae.
Mais aujourd'hui, la Belgique , qui est le pays le plus sécularisé d'Europe (ndt: la concurrence est rude, avec un autre, qui me reste cher), n'a même pas de respect pour sa tombe. Les catholiques ont changé leur attitude envers le monde en pratiquant un faux dialogue, mais le processus de déchristianisation ne s'est pas arrêté . Le monde ne s'est pas laissé « imprégner » par l'influence de l'Eglise , mais s'est organisé contre elle . Comment peut-on nier l'existence d'une stratégie d'agression anti-chrétienne cohérente et systématique , au point de vouloir supprimer jusqu'à la présence du crucifix dans tous les lieux publics (ndt: cela, c'est pour l'Italie: il y a belle lurette que nous avons dépassé ce stade!) ?
Benoît XVI a annoncé le 28 Juin, la création d'un Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation des pays qui les premiers ont reçu la foi chrétienne en Europe . Le mot de pays "apostats" n'a pas été prononcé, sans doute parce que la meute médiatique, comme l'a noté Jean Madiran , y aurait vu une déclaration de guerre ( "Présent" 3 Juillet 2010) .

Mais Benoît XVI lui-même, le 24 Mars 2007, a déjà utilisé le terme «apostasie» pour indiquer le chemin vers l'arrière que parcourt l'Europe de nos jours : de la foi chrétienne à un tribalisme dissolvant, où il ne reste rien des principes et des institutions qui ont rendu notre continent grand. Quand les États imposent à leurs peuples l'éducation sexuelle obligatoire , le «mariage» homosexuel, l'avortement , l'euthanasie , la destruction des embryons , ils commettent l'apostasie , car ils renversent l'ordre naturel et chrétien que leur ont envoyé les premiers évangélisateurs. C'est la suite d'un plan précis promu par des "centrales" anti-chrétienne , qui désormais lèvent le tir.

Dans la bataille en cours, l'Eglise n'a pas de force politique, économique ou médiatique à opposer au monde. La seule arme dont elle dispose est celle de la vérité religieuse et morale dont elle est la gardienne . L'Église , disait Pie XII , " est un pouvoir religieuse et moral , dont la compétence s'étend à l'ensemble du domaine de la religion et la morale qui à son tour embrasse l'activité libre et responsable de l'homme , considéré en lui-même et dans la société » ( Discours du 12 mai 1953) . Elle revendique le droit de juger les hommes et les sociétés au nom de la loi divine et naturelle, qu'elle garde , mais ellene peut être jugée par une autorité humaine, parce qu'aucune autorité sur la terre ne lui est légalement ou moralement supérieure . Définir la vérité , condamner l'erreur, fait partie de sa mission. Cette mission postule la liberté et l'indépendance du pouvoir civil .

L'Église tout au long de son histoire , a toujours lutté pour défendre sa liberté contre les abus du pouvoir du moment.
« En confiant à Pierre son troupeau , le Seigneur n'a certainement pas voulu faire exception pour le roi », écrivait saint Grégoire VII , en revendiquant le principe de la juridiction universelle du Souverain Pontife sur tous les hommes , sans en excepter les rois , résumée dans les 19 sentences de Dictatus Papae . Dans son homélie du 29 Juin, le Pape a revendiquée, comme saint Grégoire , la "Libertas ecclesiae" et a observé que " si nous pensons aux deux millénaires d'histoire de l'Eglise, nous pouvons observer que — comme l'avait pré-annoncé le Seigneur Jésus (cf. Mt 10, 16-33) — les épreuves n’ont jamais été épargnées aux chrétiens, qui à certaines périodes et dans certains lieux ont pris la forme de véritables persécutions. Mais celles-ci, malgré les souffrances qu'elles provoquent, ne constituent pas le danger le plus grand pour l'Eglise. Le plus grand dommage, en effet, elle le subit de ce qui pollue la foi et la vie chrétienne de ses membres et de ses communautés, en touchant à l'intégrité du Corps mystique, en affaiblissant sa capacité prophétique et de témoignage, en voilant la beauté de son visage.".
Mais il y a "une garantie de liberté assurée par Dieu à l'Eglise, une liberté à la fois vis-à-vis des liens matériels qui essaient d'en empêcher ou d'en contraindre la mission, et des maux spirituels et moraux, qui peuvent en entacher l'authenticité et la crédibilité" (cf. www.vatican.va/ ) . Cela signifie que c'est à l'intérieur que l'Eglise doit trouver les ressources de sa renaissance . Benoît XVI en semble convaincu .

L'Église, comme au XIe siècle , a besoin d'une grande réforme spirituelle. Mais cette réforme (..), doit avoir son cœur dans la prise de conscience de la primauté religieuse et morale du Pontife romain sur toute autre créature .