Benoît XVI au palais de Lambeth. Et le commentaire décapant de Vittorio Messori (17/9/2010)

Dans l'après-midi du vendredi 17 septembre, le pape s'est rendu au palais de Lambeth pour une visite de courtoisie au Dr Rowan Williams, archevêque de Cantorbéry et primat de la Communion anglicane

Lu dans la presse:
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Au 2e jour de son voyage au Royaume-Uni, Benoît XVI s'est félicité cet après-midi des "progrès remarquables" du dialogue avec l'Eglise anglicane, malgré des tensions avivées ces derniers mois. Il s'exprimait au cours de sa visite historique au palais londonien de Lambeth, la résidence de l'archevêque de Canterbury Rowan Williams, chef des anglicans.
Les tensions entre anglicans et catholiques ont été particulièrement avivées par la publication en novembre 2009 par le pape d'une "Constitution apostolique". Elle offre aux anglicans déçus par les évolutions de leur Eglise (sur la consécration de femmes et la bénédiction de mariages homosexuels, notamment), de rallier l'église catholique en conservant une liturgie "propre à la tradition anglicane". L'initiative a été très mal perçue par nombre d'anglicans.


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Ça, c'est ce que disent les medias. Que le pape, en se rendant chez l'Archevêque de Cantorbéry, voulait "lisser les angles", sinon s'excuser.
Ce n'est pas exactement le message du Saint-Père:

Vous avez évoqué, Monseigneur, la rencontre historique qui s’est tenue, il y a presque trente ans entre deux de nos prédécesseurs – le Pape Jean-Paul II et l’Archevêque Robert Runcie – en la Cathédrale de Cantorbéry. Là, au lieu même où saint Thomas de Cantorbéry a rendu témoignage au Christ en versant son sang, ils ont prié ensemble pour le don de l’unité entre les disciples du Christ. Nous continuons aujourd’hui à prier pour ce don, conscients que l’unité voulue par le Christ pour ses disciples ne peut être que le fruit de la prière, par l’action de l’Esprit Saint qui renouvelle sans cesse l’Église et la guide vers la plénitude de la vérité.

Il n’est pas dans mon intention aujourd’hui de parler des difficultés que les chemins de l’œcuménisme ont rencontré et continuent d’expérimenter. Elles sont bien connues de tous ici présents. Je voudrais au contraire m’unir à vous et rendre grâce pour la profonde amitié qui s’est développée entre nous et pour les progrès remarquables qui ont été accomplis en de nombreux aspects du dialogue au long des quarante années qui ont passé depuis que la Commission Internationale Anglicane-Catholique a commencé ses travaux. Confions les fruits de ces travaux au Maître de la moisson, sûrs qu’il bénira notre amitié en la faisant grandir encore.

Le contexte dans lequel le dialogue s’établit entre la Communion anglicane et l’Église catholique, a évolué de manière spectaculaire depuis l’audience privée qui eut lieu entre le Pape Jean XXIII et l’Archevêque John Fisher en 1960. D’une part, la culture ambiante s’éloigne toujours davantage de ses racines chrétiennes, en dépit d’une faim profonde de nourriture spirituelle ressentie par beaucoup. D’autre part, la dimension multiculturelle de la société, qui ne cesse de s’accentuer et qui est particulièrement marquée dans votre pays, donne l’occasion de rencontrer d’autres religions. Pour nous, chrétiens, cela ouvre la possibilité d’explorer, avec des membres d’autres traditions religieuses, les moyens de témoigner de la dimension transcendante de la personne humaine et de l’appel universel à la sainteté, et cela nous conduit à la pratique des vertus dans notre vie personnelle et sociale. La coopération œcuménique, pour cette mission, reste essentielle et portera certainement des fruits en faveur de la paix et de l’harmonie dans un monde qui, si souvent, semble au bord de l’éclatement.

En même temps, nous chrétiens, nous ne devons jamais hésiter à proclamer notre foi dans l’unique salut qui nous vient du Christ, et à rechercher ensemble à avoir une perception plus profonde des moyens qu’il a mis à notre disposition pour accéder à ce salut. Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2,4), et cette vérité n’est pas autre chose que Jésus Christ, le Fils éternel du Père, qui a tout réconcilié en lui par la puissance de sa Croix. Pour être fidèles à la volonté du Seigneur, telle qu’elle est exprimée dans ce passage de la première Lettre de saint Paul à Timothée, nous reconnaissons que l’Église est appelée à être compréhensive, jamais toutefois au détriment de la vérité chrétienne. D’où le dilemme auquel sont confrontés tous ceux qui sont engagés de manière authentique sur les chemins de l’œcuménisme.

Dans la figure de John Henry Newman, qui sera béatifié dimanche, nous célébrons un homme d’Église dont la vision ecclésiale fut nourrie par la tradition anglicane et s’est approfondie durant ses nombreuses années d’exercice du ministère sacerdotal dans l’Église d’Angleterre.
Il peut nous enseigner les vertus que l’œcuménisme exige : d’une part, suivre sa conscience était un impératif, même au prix de grands sacrifices personnels, et d’autre part, la cordialité de l’amitié sans faille avec ses collègues d’antan, qui le conduisit à explorer avec eux, dans un pur esprit irénique, les questions sur lesquelles ils différaient, en privilégiant le désir profond de l’unité de la foi. Votre Grâce, dans ce même esprit d’amitié, puissions-nous renouveler notre détermination à poursuivre le but de l’unité dans la foi, l’espérance et l’amour, selon la volonté de notre unique Seigneur et Sauveur, Jésus Christ !

C'est le moment de lire une interviewe que Messori a accordé à La Stampa.
Je crois qu'il a touché au coeur du message que le Saint-Père veut transmettre lors de son voyage en Grande-Bretagne:

Célibat? Mariage gay? Le vrai problème est la foi.
Benoît XVI n'est pas là pour chercher le consensus.
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- Est-ce Newman, sa béatification à Birmingham, le point de départ pour comprendre le choix du voyage? Quel rapport y-a t-il entre eux?
- Ratzinger l'aime beaucoup. Newman est un homme moderne qui se demande si la foi et la raison sont conciliables. Il n'est pas clérical, c'est un intellectuel agile qui se pose la question fondamentale: comment pouvons-nous croire?
Et c'est aussi l'axe qui porte la pensée de Ratzinger, comme cardinal, puis comme Pape. Newman lit les journaux, affronte le monde, et les non-croyants, il les fréquente, et les connaît. Et en cela, Ratzinger voit en lui son précurseur. Il se reconnaît en lui. C'est pour cela qu'il se rend au Royaume-Uni pour le béatifier.

- En juillet, le Pape a annoncé la création d'un Conseil Pontifical pour la nouvelle évangélisation de l'Occident. Partir de Londres, et de son rapport ambigu au monde catholique, c'est la première étape?
- Le Pape est convaincu que la crise de l'Eglise ne dérive pas de raisons structurelles. Ce qui ébranle la structure, ce n'est pas le mariage gay, ou le célibat. Le problème, c'est la foi. Souvent, les prêtres et les évêques ne croient plus. Même les désordres sexuels qui ont caractérisé l'Eglise dérivent d'un affaiblissement de la foi.

- Quel rapport avec Newman?
- Le cardinal avait le même problème, au XIXe siècle. Lui alors, comme Ratzinger aujourd'hui, voulait convaincre de la foi.

- Une entreprise difficile aujourd'hui, non?
- Le Pape en est conscient, mais c'est précisément pour montrer la foi qu'il s'est rendu là-bas, avec joie. "Prenez garde à ceux qui vous applaudiront", dit Jésus. Ratzinger ne se soucie certes pas des acclamations. Mais ce ne sont pas les discours, qui compteront. Ce qui compte, c'est la force de l'exemple d'un personnage comme Newman, un homme qui s'est interrogé sur la vérité de la foi, démontrant qu'on peut être chrétiens sans être crétins (ndt: allusion à une polémique ayant opposé Messori à un certain Odiffredi, mathématicien et néanmoins idiot, athée). Montrer la force de la foi est la première évangélisation.

- Quelle Eglise anglicane Benoît XVI trouve-t-il? Peut-il dialoguer, ou bien brutalement attirer ses adeptes dans les rangs du monde catholique?
- L'Eglise anglicane est une plaisanterie tragique. C'est une institution de la monarchie. Certains disent que c'est "la chambre des Lords en prière". Les anglicans ont tout fait pour ruiner l'oecuménisme. Ils se sont toujours montrés sourds aux suppliques de Rome: ils ont ordonné des femmes, des pasteurs gays, et ont toujours cédé au politiquement correct. Ce n'est pas un hasard si, depuis des décennies, il y a un exode vers le catholicisme. Le Pape n'aura rien à faire pour les "conquérir". Je crois qu'il suffira d'attendre un peu, et ce sont les livres d'histoire qui s'occuperont de l'anglicanisme.