Le billet de JL Restàn, traduit par Carlota (20/9/2010)




En déplacement je n’ai, malheureusement pas pu vraiment suivre le voyage du Pape. Je n’ai donc pu qu’entrevoir des informations « choc » en kaléidoscope avec en passant devant un kiosque un titre du Sun Telegraph sur la énième repentance du Pape sur les pédophiles. J’ai entendu aussi sur toutes les radios les comptes rendus de la possible tentative d’attentat par des ouvriers algériens employés d’une entreprise de nettoyage française: en fait des contrôles de police ordinaires transformés en « scoop » journalistique vendeur. Mais j’ai vu aussi les émouvantes scènes du Pape caressant une tête d’enfant malade ou visitant des personnes âgées, mais aussi l’image subtile d’un Pape revêtu de l’étole de Léon XIII (contemporain du Cardinal Newman mais également auteur de la bulle apostolique Apostolicae Curae qui réaffirmait la nullité des ordinations anglicanes), à côté du Dr Rowan Williams «archevêque » anglican de Cantorbery, et puis et surtout sans doute quelques photos de lumière sur la nuit de prière londonienne.
Avant de reprendre en détails tous les magnifiques discours « britanniques » (et directives pour chacun de nous) prononcés par notre Saint Père, avec notamment cette phrase formidable, « Une Eglise qui tenterait de se rendre attractive ne serait pas fidèle à sa mission, qui est d’être transparente en Jésus-Christ », je vous envoie un des derniers textes de José Luis Restán, et je conclus bien évidemment avec lui : Merci encore une fois de votre présence, Très Saint Père.



Et finalement l’Angleterre l’a aimé (texte original ici: http://www.cope.es/... )

Il suffit du silence intense et chargé d’espérance de plus de cent mille personnes devant le Saint Sacrement exposé à Hyde Park pour expliquer le coeur de ce voyage émouvant. Le Pape avait parcouru des kilomètres, entouré d’une multitude de gens qui le saluait dans les rues. À cette heure là c’était déjà un fait que l’Angleterre l’avait adopté: ses hommes de culture, ses politiques, jusqu’aux plus intraitables médias, mais surtout le peuple. Mais lui il ne cherche ni les flatteries, ni les compromis, il continue à aller de l’avant avec ce mélange d’exigence et de mansuétude, d’intelligence et de cœur.

Il veut communiquer à cette multitude assoiffée que la Vérité, ce n’est pas un concept abstrait, ce n’est pas le terme d’un processus intellectuel complexe, mais c’est la personne du Christ que l’on peut rencontrer et aimer dans la vie de l’Église, et qui nous permet d’atteindre notre “liberté ultime et l’accomplissement de nos aspirations humaines les plus profondes”. Et quand cette Vérité est embrassée, quand elle donne forme à notre vie, elle ne peut pas être cachée mais elle demande à être communiquée, même si c’est au prix fort. Pour la vivre à ciel ouvert certains peuvent être « exclus, ridiculisés ou parodiés », mais le chrétien ne peut se soustraire à cette mission.

Maintenant, il est arrivé au centre de gravité de cette visite, et il parle de la mission prophétique de tout chrétien au milieu d’un monde plein de bruit et de confusion, d’angoisses et de mirages. Comme si la figure du grand John Henry Newman se rappelait avec un réalisme inespéré sur le fond de notre actualité, Benoît XVI décrit un temps de crise et de trouble dans lequel les chrétiens “ne peuvent se permettre le luxe de continuer comme s’il ne se passait rien, en faisant abstraction de la profonde crise de foi qui imprègne notre société ou en s’en remettant simplement au patrimoine de valeurs transmis durant des siècles pour qu’il continue à inspirer et configurer le futur de notre société."

À chacun et spécialement aux jeunes qui l’ont suivi avec enthousiasme depuis le début de son voyage, le Pape encourage à irradier la lumière du Christ pour « changer le monde et travailler à la culture de la vie, une culture forgée par l’amour et le respect de la dignité de chaque personne humaine ». L’intensité de l’écoute impressionne de même que le regard intense et chargé d’attente de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants avec des bougies allumées dans une douce nuit durant laquelle le Successeur de Pierre renouvelle sa mission : il confirme dans la foi ses frères, fait paître son troupeau.

C’est vrai qu’à ce moment précis nous touchons le coeur de cette visite, la pertinence de la foi chrétienne en ce XXIème siècle qui a déjà fait ses premiers pas.
Mais en vingt quatre heures Benoît XVI a laissé dans l’air de Westminster Hall un autre discours pour l’histoire, dans la foulée de ceux qu’il a prononcés à Ratisbonne, à l’Université de La Sapienza (en réalité non prononcé, mais écrit), aux Bernardins à Paris. Sa voix a été un écho de celle qui a résonné il y a cinq cents ans dans la même salle, dans la bouche du grand Thomas More, et on s’interroge de nouveau sur la place de la foi dans le processus politique. Devant les grands du Royaume Uni, le Pape indique que « chaque génération doit poser de nouveau quelles exigences les gouvernements peuvent imposer aux citoyens de manière raisonnable et au nom de quelle autorité peuvent se résoudre les dilemmes moraux ». Et ensuite il vise le cœur du problème : « si les principes éthiques qui soutiennent le processus démocratique ne se régissent par rien de plus solides que le simple consensus social, alors ce processus se présente évidemment fragile ». C’est là que réside le véritable défi pour la démocratie.

Nous pouvons ressentir une certaine émotion en pensant que c’est l’Évêque de Rome, celui qui parle en ce moment, en ayant en mémoire l’homme qui fut « bon serviteur du Roi, mais d’abord de Dieu (ndt en référence à Thomas More et son the King's good servant-but God's first). Benoît dit à son imposant auditoire que le rôle de la religion dans le débat politique ce n’est pas de fournir les normes et moins encore de proposer des solutions concrètes, mais bien d’aider à purifier et à illuminer l’application de la raison à la découverte des principes moraux objectifs. Et il trace un chemin à double sens : la religion requiert le rôle purificateur et structurant de la raison, la raison peut être aussi prisonnière de distorsions comme l’ont montré les idéologies totalitaires du XXème siècle. « Pour cela je désire indiquer que le monde de la raison et le monde de la foi…ont besoin l’un de l’autre et nous ne devrions pas avoir peur d’entamer un dialogue profond et continu pour le bien de notre civilisation ».

À partir de cette proposition positive, le Pape n’a pas peur d’attaquer le laïcisme agressif qui essaie d’expulser la religion (spécialement le christianisme) de la cité (ndt l’auteur a employé directement le terme grec latinisé : polis, πόλις), ou qui prétend imposer aux croyants l’obligation de faire abstraction de ses convictions au moment d’intervenir dans le débat public). C’est en lui-même un échec social, en plus d’une injustice et un appauvrissement pour tous. Pour cela il lance l’invitation à la promotion du dialogue entre la foi et la raison dans tous les domaines de la vie de la nation. Un impressionnant discours qui ouvre des chemins d’avenir pour une des questions les plus vitales de nos démocraties dans ce siècle.

Nous devons conclure à Birmingham, au coeur de l’Angleterre, où Newman a vécu comme prêtre catholique et où reposent ses restes. Devant soixante-dix mille personnes, Benoît XVI a reparle du Newman moderne et ancré dans la Tradition, de l’homme de conscience, de droiture et de mansuétude, de l’homme qui avec l’expérience vivante de la foi (raison et cœur) n’a jamais cessé d’affronter « les questions du jour ». Mais aussi le pasteur des âmes qui passait son temps à s’occuper de ceux qui cherchaient, des pauvres et de ceux qui souffraient de la solitude ou de la douleur physique. Et il a fait sienne une phrase du nouveau Béatifié qui est tout un programme : « je veux un laïcat qui ne soit ni arrogant, ni imprudent au moment de parler, ni non plus fauteur de troubles, mais des hommes qui connaissent bien leur religion, qui approfondissement en elle, qui sachent bien où ils sont, qui sachent ce qu’ils ont et ce qu’ils n’ont pas, que connaissent leur credo à un point tel qu’ils puissent en rendre compte, qu’ils connaissent si bien l’histoire qu’ils puissent la défendre ».
Merci, votre Sainteté, pour ce voyage.