Sur Zenit, magnifique interviewe de Gregory Solari, directeur des éditions Ad Solem, principal éditeur de Newman en français. Il offre "des clés de lecture de la béatification" (27/9/2010)

Lire ici l'interviewe, par Anita Bourdin: http://www.zenit.org/article-25519?l=french

Je ne connaissais pas John Henry Newman il y a six mois. Ce que j'ai perçu de sa personnalité me le rend extrêmement attachant, et je crois que je vais chercher à en savoir plus. Par respect pour lui, je me limite à reproduire ce qui le relie au Saint-Père. Le reste, je ne le connais pas assez.

Extraits:

L'arc-en-ciel de Cofton Park


ZENIT - D'où vient cette affinité entre Benoît XVI et la personnalité de Newman?


Grégory Solari - Le pape a dit lui-même dans son discours de Hyde Park, samedi soir, combien la pensée de Newman a marqué sa propre pensée. Cette béatification lui tenait à cœur, et la joie qu'il éprouvait dimanche en arrivant à Cofton Park était visible sur son visage. D'une certaine manière, Newman est un vieux compagnon de vie pour Benoît XVI. (...) Deux de ses maîtres, Alfred Läpple (cf. Lectures de vacances (XIII))et Gottlieb Söhngen, étaient des newmaniens, Romano Guardini, le mentor de Joseph Ratzinger connaissait très bien lui aussi la pensée de Newman. En le béatifiant, Benoît XVI a sans doute aussi pensé aux maîtres de sa jeunesse, dont il pouvait ainsi honorer indirectement la mémoire. C'est d'ailleurs quelque chose de très newmanien, car Newman était un homme d'amitié et il a toujours aimé honorer la mémoire de ses amis. Les longues dédicaces de ses livres, ciselées dans un anglais royal, sont une merveille de délicatesse. Voilà pour le motif personnel de cette béatification par Benoît XVI.

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L'autre motif est ecclésial, et rejoint le thème majeur du pontificat, qui est la réception de Vatican II.(...) Théologiquement, sa pensée enracinée dans la théologie des Pères peut aider à recevoir en profondeur, de manière homogène, l'enseignement de Vatican II. Pastoralement, son attitude au sortir de Vatican I est un exemple de patience et de lucidité durant la période de crise qui suivit le concile. C'est ici que la pertinence de Newman apparaît pour notre temps, et sans doute est-ce le message que Benoît XVI veut implicitement souligner. Newman nous donne l'exemple du véritable esprit ecclésial qui doit être celui d'un fidèle catholique durant la période de réception d'un concile. Son attitude, en soi, est un exemple vivant d'herméneutique de continuité, faite de confiance foncière et de patience filiale. Si un concile est l'œuvre de l'Esprit, il est aussi, avait appris Newman en étudiant l'histoire du concile de Nicée et de sa réception, un moment de crise due aux rééquilibrages opérés par son œuvre. Il faut toujours s'attendre que la célébration d'un concile soit suivie d'une période troublée - l'hérésie arienne, pourtant condamnée à Nicée, sembla triompher dans les années qui suivirent, et après Trente il fallut attendre près de 80 ans pour voir s'ouvrir le premier séminaire. La béatification de Newman par Benoît XVI, 45 ans après la clôture de Vatican II, donne une clé d'interprétation et un modèle pastoral à l'Église pour recevoir le concile d'une manière homogène, en lui-même et avec tous les autres conciles qui l'on précédé. C'est en ce sens aussi que le bienheureux John Henry Newman peut être appelé « le penseur invisible de Vatican II ».

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ZENIT - Y a-t-il une image, une parole, un événement que vous retenez davantage de ce voyage?

Grégory Solari -
Il y en a plusieurs, mais on ne peut pas parler de tout. J'en retiens trois.

La première est l'adresse de Rowan Williams à Benoît XVI, lors des vêpres anglicanes à Westminster Abbey, impressionnante par sa profondeur et sa délicatesse. Le primat de l'Eglise d'Angleterre a honoré Benoît XVI en évoquant un autre Benoît - saint Benoît -, et en évoquant saint Grégoire le Grand, le pape bénédictin à qui l'Angleterre doit d'avoir été évangélisée. Avec la venue de Benoît XVI, c'est une nouvelle évangélisation qui commence, et Rowan Williams l'a placée, comme la première, sous l'égide du Successeur de Pierre. Ce sont des paroles lourdes de sens dans la bouche d'un anglican.

La deuxième est l'émotion du pape à l'issue de la messe (superbe) célébrée à Westminster Cathedral. Benoît XVI a été ovationné par des milliers de jeunes catholiques, comme l'a souvent été Jean-Paul II. La simplicité, l'humilité du Pape, doublée de la chaleur de son intelligence ont retourné les Anglais.
Benoît XVI a su toucher un aspect très profond du tempérament britannique, ce que l'on appelle la « fair-mindedness », quelque chose de très pur, comme un ciel lavé par la pluie, un horizon d'être, pur, simple, vrai. On avait l'impression de revivre la rencontre des Angles, au 6e siècle, avec Grégoire le Grand, qui avait remarqué cette «fairness» dans leur regard et avait été touché par elle. Benoît XVI à son tour a été touché par ces jeunes anglais, et sa voix était brisée par l'émotion quand après les avoir béni il leur a dit : « Thank you so much! ». C'est beaucoup de souffrance qu'ils compensaient, je crois.

Je vous parlais de ciel : la troisième chose que je retiens est le ciel de Cofton Park, où a été béatifié Newman. Nous avons passé 4 heures à attendre l'arrivée du Pape, sous le vent et la pluie (Voyage en GB: photos du 4ème jour ). A 9h30, quand on nous a annoncé que son hélicoptère approchait, le ciel a commencé à se dégager au dessus de nous. Un arc-en-ciel est apparu à gauche de l'autel et toute la messe s'est déroulée sous le soleil (Voyage en GB: photos du 4ème jour (2) ). A la fin de la messe, les nuages ont repris leur place et nous avons quitté Cofton Park sous le vent et la pluie. Je sais que cela pourrait faire sourire. Mais c'est ce qui s'est passé. Il y avait quelque chose de féérique (ndlr: voir à ce propos un phénomène analogue à Paris... sans parler du mémorable arc-en -ciel d'Auschwitz). Faut-il s'en étonner? Cofton Park est le lieu qui a inspiré à Tolkien - qui fut élève dans l'école fondée par Newman à Birmingham - les premières lignes du Hobbit, qui deviendra plus tard le Seigneur des Anneaux...

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ZENIT - D'un point de vue catholique, la visite du Pape en Angleterre est un grand succès. Cette impression est-elle partagée par les anglicans?

Grégory Solari -
Pour vous répondre, et conclure, je vous cite ce que m'a écrit mon ami anglican John Milbank, qui est un proche du primat de l'Eglise d'Angleterre, Rowan Williams, et dirige le Centre de théologie et de philosophie à l'Université de Nottingham : « Le Pape a su apprécier de manière exacte le contexte de sa visite, et les ennemis aussi bien de la foi que de l'œcuménisme ont été sévèrement confondus. Leur sens de l'histoire est faux, et ils sous estiment la puissance des gestes symboliques. On peut dire que dans une certaine mesure la paix a été faite entre le Parlement de la Couronne Britannique et le Pape à Westminster Hall. Et cela ne va pas rester sans effet pour l'Europe et pour l'avenir du monde ».