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LES LARMES D'UN ÉVÊQUE
 

José-Luis Restàn revient, dans son dernier article, sur les ordinations illicites qui déchirent en ce moment l'Eglise en Chine: "si quand quatre évêques sont traînés par la police pour aller participer à une ordination soumise au pouvoir, les journalistes et les politiques occidentaux ne s’émeuvent pas, c’est que quelque chose de très profond est pourri dans notre culture" (18/7/2011)

Pour comprendre son article (traduit par Carlota, bien sûr), il est indispensable de connaître quelques éléments, que je tente de résumer au mieux ici. On voudra bien me pardonner mon imprécision, je n'ai pas eu le temps de suivre de suffisamment près.




 
 

Les 5,7 millions (? en réalité, le chiffre est inconnu, et ce site en donne de tout autres) de catholiques chinois sont partagés entre une Église officielle, dont le clergé dépend des autorités, et une Église dite «souterraine» tirant sa légitimité de l'obéissance au pape.

Le 30 juin 2007, dans une longue lettre aux catholiques chinois, le Pape avait demandé à Pékin de garantir une «authentique liberté religieuse» et appelé à la «réconciliation», sous son autorité, du clergé divisé entre «officiels» et «clandestins» (voir ici: http://beatriceweb.eu/...).
(d'après AFP)

Depuis quelque temps, les relations entre le Saint-Siège et le gouvernement chinois se sont tendues (pour en savoir plus, lire par exemple cet article du Figaro ), mais ces derniers jours, les choses semblent se précipiter.

* * *

I. Le 29 juin 2011, le Saint-Siège publiait une déclaration de protestation après une ordination épiscopale illégitime dans le diocèse de Leshan, en Chine continentale, stipulant que "Le Père Lei Shiyin a été ordonné sans mandat pontifical et donc de manière illégitime. Il n’a donc pas l’autorité de gouverner la communauté catholique diocésaine ; le Saint-Siège ne le reconnaît pas comme évêque diocésain de Leshan. Le Père Lei Sihyin est sous le coup des sanctions prévues pour violation du canon 1382 du Code de Droit canonique...".

II. Le 11 juillet, quatre évêques catholiques appartenant à l'Église clandestine fidèle au pape étaient enlevés par la police chinoise, pour les contraindre à préparer l'ordination d'un autre évêque appartenant à l'Église officielle chinoise, prévue pour le 14 juillet
Selon l'agence Asia News, l'un des quatre évêques, Liang Jianqsen, "sanglotait pendant qu'il était traîné par des représentants du gouvernement"...

III. Aujourd'hui, un nouveau communiqué officiel du saint-Siège dénonce l'ordination épiscopale du prêtre catholique Joseph Huang Bingzhang, célébrée le 14 juillet à Shantou, province de Guandong, et à laquelle huit évêques en communion avec le Pape ont été contraints de prendre part (VIS)

"1. Joseph Huang Bingzhang ayant été ordonné sans mandat pontifical, donc illégitimement, encourt les sanctions du canon 1382 du CIC. Par conséquent, le Saint-Siège ne le reconnaît pas comme évêque du diocèse de Shantou. Il ne dispose d'aucune autorité pour gouverner une communauté diocésaine. Il savait depuis longtemps que le Saint-Siège n'aurait pas approuvé sa candidature, le diocèse disposant d'un évêque légitime. Et il a perdu plusieurs foi l'occasion de renoncer à cette ordination.
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2. Le Saint-Siège sait que plusieurs évêques, contactés par les autorités, ont dit ne pas être disposés à participer à une ordination épiscopale illégitime. Bien qu'ayant protesté, ils ont été contraints à s'y rendre. Leur résistance est méritoire aux yeux de Dieu et appréciée par l'Eglise entière, comme il est méritoire que des prêtres, religieux et laïcs aient défendu leurs pasteurs en les soutenant par la prière et en partageant leur souffrance.
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3. Le Saint-Siège réaffirme le droit des catholiques chinois à vivre librement, et à demeurer selon leur conscience fidèles au Successeur de Pierre et en communion avec l'Eglise universelle. Une fois de plus, déçu de constater comment l'Eglise est traitée en Chine, le Pape espère une fin rapide de cette situation".




Les larmes de l'évêque

José Luis Restán
Texte original en espagnol: http://www.paginasdigital.es/
Traduction de Carlota
14/07/2011
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L’on peut penser que c’est une frivolité que d’écrire sur les catholiques chinois, alors que l’euro menace de s’effondrer, que les talibans peuvent récupérer l’Afghanistan et que les États démocratiques légifèrent comme s’ils étaient les maîtres de la vie et de la mort.
Mais combien sont-ils? Qu’est ce qui dépend d’eux ?
Et pourtant le Gouvernement de Pékin dépense beaucoup d’énergie pour les effrayer et les soumettre. Les nouveaux banquiers du monde peuvent être élastiques avec le libre marché mais ils ne sont pas disposés à lâcher la bride de la liberté religieuse, surtout s’il s’agit des catholiques, ces gens qui sont étrangement liés à l’évêque vêtu de blanc à Rome.

Ces jours-ci, il est arrivé quelque chose qui devrait laisser atones les champions des droits et des libertés, ceux qui sont si prêts à condamner l’Église devant les tribunaux parce qu’elle condamne l’avortement et ne reconnaît pas le mariage homosexuel.
Mais ils sont restés muets
.
La police chinoise a séquestré, littéralement, quatre évêques de la région de Guangdong (*) fidèles au Pape. Dans ce cas il ne s’agit pas d’une répression générique (ndt: au sens "concernant le catholicisme en général") mais d’un acte violent avec une finalité bien concrète, obliger ces évêques à participer à l’ordination illicite (puisque qu’elle ne prend pas en compte l’autorisation du Saint Siège) du nouvel évêque de Shantou, un prêtre désigné par le régime pour rompre ainsi, de l’intérieur, le lien de communion du diocèse avec le Siège de Pierre.

Non pas que les mandarins du Parti Communiste Chinois se soient pris d’affection pour les subtilités de la théologie. C’est que, comme déjà l’a montré Mao Tsé-toung, ils ont compris que rompre ce lien est vital pour obtenir une église marionnette, une espèce de département catholique dépendant de la structure politique du parti.
Quelques témoins racontent que l’évêque de Jiangmen, Liang Jiansen, sanglotait comme un enfant quand les policiers imperturbables le traînaient hors de sa résidence. Il ne pleurait sûrement pas de peur - là-bas les évêques fidèles au Pape sont bien rompus à ces procédés - mais pour les maux qui menaçaient l’Église en Chine et parce qu’un pouvoir despotique le poussait avec violence à prendre part à cette farce tragique.

Je comprends mes confrères occidentaux.
Évêques légitimes ou illégitimes, fidèles à Rome ou loyaux envers le Gouvernement… mais qu’est ce que c’est que cette histoire ? Pour beaucoup ce ne sera pas plus que des curiosités d’entomologiste, des obsessions archaïques (**), des tracasseries du Vatican.
Bien sûr, ce qui compte, c’est que la Chine a un taux de croissance de 9% et qu’elle est dépositaire de la plus grand part de la dette nord-américaine. Comment peut-on se préoccuper de ces curés !
Et pourtant, à ces confrères, je pourrais rappeler que les libertés de notre Occident somnolent et catatonique (***) reposent sur le fondement de la liberté de conscience, celle que le christianisme a greffé dans le cœur d’un continent alors chaotique qui s’appelait Europe. Cette liberté pour laquelle les martyrs donnèrent leur vie, pour laquelle se levèrent les ouvriers de Gdansk et les intellectuels à Prague, il n’y a pas si longtemps.
Si quand quatre évêques sont traînés par la police pour aller participer à une ordination soumise au pouvoir, les journalistes et les politiques occidentaux ne s’émeuvent pas, c’est que quelque chose de très profond a pourri dans notre culture.

Entre temps un homme courageux, le cardinal Joseph Zen (ndt voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Zen), archevêque émérite de Hong Kong, a adressé un appel public au président chinois Hu Jintao (1er secrétaire du PCC depuis 2002), et au premier ministre Wen Jiabao pour leur demander de freiner d’urgence cette engeance de « fonctionnaires canailles qui violent la Constitution de l’État, qui utilisent la violence pour que ressorte la scorie qu’il y a dans l’église même, qui forcent les évêques chinois, les prêtres et les laïcs à agir contre leur propre conscience ».

Ce vieux lutteur s’est dépouillé de la pourpre, ou mieux l’a revêtu avec sa pleine signification (ndt : le rouge cardinalice évoque en effet le sang du martyre), pour demander au César « qu’il consacre un peu de son temps à s’occuper du petit troupeau de catholiques », des citoyens comme les autres dans le vaste empire de l’autre côté du la muraille. Le cardinal a signé sous le nom de Zen Ze-kiun, ancien citoyen de Hong-Kong. Et il a conclu en affirmant que « Dieu est miséricordieux, mais ne peut bénir ceux qui rendent si difficile la vie de son peuple ».

Ce sont des jours terribles pour la petite communauté catholique de Chine. Des jours où le mensonge, la flatterie et le chantage s’entrecroisent pour soumettre les héroïques témoins que la sanglante dictature des années 60-70 du siècle dernier n’a pas pu faire plier. Maintenant peut-être le danger est encore plus grand. Pour les cyniques c’est une nouvelle sans importance, mais l’Église sent que son cœur se fend. Les larmes de l’évêque Liang sont celles du Christ durant sa Passion. Et nous ne savons pas de combien notre futur dépendra de la fidélité de ces frères.
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NDT

(*) Province côtière du sud de la Chine qui compte environ 80 millions d’habitants avec une importante population émigrée hors frontière. Réputée comme la région la plus riche du pays, elle comprend 21 préfectures dont celle de Canton, Shantou, Jiangmen.

(**) L’on pourra à cette occasion se rappeler que bien avant, la Révolution Française avait promulgué une constitution civile du clergé. Et alors que la guillotine était au bout du chemin, 126 évêques français sur les 130 avaient néanmoins refusé de s’y soumettre, de même que 100 000 curés environ (soit plus de 85% d’entre eux).

(***) La catatonie a été décrite pour la première fois par le médecin français Valentin Magnan (1835-1916) comme étant un désordre psychiatrique caractérisé par une alternance d’inactivité psychomotrice complète et un comportement violent hyperactif. L’image est forte mais assez réaliste




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