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CE QUE L'ESPAGNE ATTEND DU PAPE
 

Un entretien d'Andrea Tornielli avec le théologien Javier Lopez Prades, qui explique l'importance de l'événement de Madrid pour la société espagnole de plus en plus déchristianisée (9/8/2011)




 

Au moment où j'achevais la traduction de cet article d'Andrea Tornielli, s'entretenant des JMJ avec un théologien espagnol (parfois un peu confus), je constatai que mon ami de Belgicatho avait déjà fait le travail.

Tant pis - ou tant mieux, car cela signifie que l'article mérite l'intérêt du web francophone. Et suscite des lectures pas forcément identiques.

Texte en italien: http://vaticaninsider.lastampa.it/.
Ma traduction.




 

Les JMJ? C'est la possibilité d'une rencontre, pour redécouvrir une foi assoupie
Entretien avec le théologien Javier Lopez Prades, qui explique l'importance de l'événement de Madrid pour la société espagnole de plus en plus déchristianisée: "Avant d'être une crise morale, il s'agit d'une crise anthropologique, elle concerne la conception de la personne"

Andrea Tornielli
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«La crise en Espagne est d'ordre anthropologique, plus encore que morale».
Javier Prades Lopez, né à Madrid en 1960, est un prêtre du diocèse de la capitale espagnole, doyen de la Faculté de théologie et délégué du Grand Chancelier de la nouvelle Université ecclésiastique "San Damaso" à Madrid, en plus de diriger la "«Revista Española de Teologia ».
Quelques jours avant le début des Journées mondiales de la jeunesse, Vatican Insider lui a demandé d'expliquer l'importance que cet événement peut avoir pour la société espagnole de plus en plus déchristianisée.

- La société espagnole semble se séculariser beaucoup plus rapidement que d'autres pays européens. Pourquoi?
- Je signalerais deux facteurs possibles. Premièrement, la société espagnole fait partie du contexte européen et partage certains éléments propres aux difficultés de l'Occident tout entier. Notre époque est une époque de transition, dans laquelle cohabitent certains aspects d'une tradition populaire vivante pas entièrement disparue, et des changements de natures différentes, qui se produisent très rapidement et que nous sommes appelés à comprendre dans leur portée réelle. Dans la société espagnole, cela se voit par exemple dans l'affaiblissement des sujets communautaires, à commencer par la famille, qui a toujours été une réalité très importante, jusqu'à d'autres agrégations et associations typiques de la vie sociale. En ce sens, la société espagnole, aussi pour notre histoire, par rapport aux autres pays européens, est moins articulée, moins douée, et donc plus exposée à l'influence de l'Etat, dans la mesure où le tissu social est fragilisé. C'est l'un des domaines où le débat a été le plus fort, ces dernières années. Il y a le besoin urgent d'une reprise des associations, des communautés, dans le tissu de la vie sociale espagnole, si on ne veut pas finir à la merci d'un étatisme à bout de souffle.

- Quels sont à votre avis les causes de cette crise?
- La crise en Espagne est d'ordre anthropologique, plus que morale. De cette faiblesse viennent ensuite les conséquences morales, mais la racine des difficultés a à voir avec la conception de l'homme, et, en particulier, avec sa religiosité constitutive. En ce sens, la raison de cette sécularisation rapide que je tiens à souligner, est le fait que dans notre société et notre tradition chrétienne, la perception de la correspondance profonde entre ce que nous pourrions appeler la religiosité humaine, le sens religieux de l'homme, et la réponse que lui fournit la foi chrétienne, s'est affaiblie. Et cela est aussi dû au fait que la perception de la condition constitutive religieuse de l'homme s'est affaiblie. C'est pourquoi nous sommes face à un devoir crucial d'éducation et de personnalisation de la foi.

- Quelle devrait être, à votre avis, l'attitude des chrétiens face à une société sécularisée, où même la politique prend des décisions qui sont contraires aux enseignements de l'Église?
- Le défi actuel pour nous chrétiens est de réaliser ce que Benoît XVI a indiqué en parlant d'une «intelligence de la foi», qui devient incidente si elle devient «intelligence du réel». En d'autres termes, nous sommes appelés à une inévitable interprétation culturelle de la foi. Que veux-je dire par là? La foi ne se réduit jamais à la simple culture humaine, mais, comme dit Jean Paul II, la foi vraiment pensée et vécue en arrive à devenir culture, expressivité humaine dans tous les domaines. Dans une société comme celle espagnole, nous avons un besoin particulier d'apporter le message de Jésus-Christ, en montrant toutes ses implications pour la vie humaine, personnelle et sociale, y compris ces grandes questions morales, sur lesquelles ces dernières années s'est produit un affrontement avec les initiatives prises par le gouvernement.

- Comment fait-on dans la société sécularisée, pour proposer à nouveau la foi?
- Les modalités de cette interprétation culturelle de la foi est ce que la tradition de l'Église appelle «témoignage», c'est à dire une manière de s'offrir au monde qui met la vérité face à l'interlocuteur, qui fait naître chez l'autre, le désir de connaître et d'approfondir cette nouveauté humaine que le témoin rend vivante par sa présence, par ses actions et ses paroles. Je crois que notre responsabilité dans les sociétés plurielles de l'Occident, notre contribution au bien commun, passe par cette tension à rendre témoignage de la vérité de la foi chrétienne, sachant montrer à nos interlocuteurs les implications qu'elle offre pour une compréhension de l'humain qui contribue à une bonne vie pour tous. Nous voulons être présents, publiquement, dans la société espagnole pour offrir ce témoignage et servir ainsi le bien commun .

- Le pape s'apprête à revenir pour la troisième fois en Espagne: qu'attendez-vous de cette visite?
- Notre première attente est de lui, de sa personne et sa mission. Sa présence personnelle parmi nous est le signe historique, contingent, mais essentiel, du grand accompagnement que le mystère de Dieu fait à nos vies. Évidemment, par le ministère pétrinien, en tant que Successeur de Pierre, sa présence implique la confirmation objective de notre foi, en étroite harmonie avec le thème des Journées Mondiales de la Jeunesse. De sa présence, de ses actes et ses paroles, nous attendons le témoignage de ce que lui-même a appelé «nouvelle évangélisation». C'est-à-dire, sa capacité à parler aux cœurs de tous, à s'adresser à nos compatriotes comme à des hommes avec un cœur plein d'attente, même si cette attente est trop souvent occultée ou confuse. Le Pape sait accueillir la condition de ceux qui l'écoutent pour relancer encore une possibilité d'annonce et de rencontre. De sorte que nous tous les Espagnols, tant les catholiques que les non-croyants, nous puissions reconnaître dans l'annonce du Christ, que Benoît XVI renouvellera, cette correspondance surabondante que nous désirons pour une vie accomplie.

- Les JMJ sont parfois présentées comme une kermesse, qui tourne à l'épreuve de force. Pouvez-vous dire ce qu'est cette manifestation?
- Au-delà des polémiques de circonstance, que par ailleurs je considère en ce moment très minoritaires en Espagne, il me semble juste de dire que les JMJ sont une grande opportunité de réaliser ce que Benoît XVI a lui-même dit aux espagnols il y a quelques mois, à Barcelone: la contribution de l'Église à la société est très simple et très claire: elle consiste à rappeler à tous que Dieu existe et qu'Il nous a donné la vie et la porte à son accomplissement. Cette perception élémentaire de la réalité comme venant de Dieu, et donc témoignant de la présence de Dieu, y compris à travers notre présence en tant que chrétiens, est je pense l'une des plus importantes contributions que les Journées mondiales de la jeunesse donnent à tous ceux qui y participent. Cela vaut donc la peine de les vivre pour ce qu'elles sont: la possibilité d'une rencontre. Je suis convaincu que pour les centaines de milliers de jeunes arrivant à Madrid, mais aussi pour les millions d'habitants de la ville qui les croiseront, les JMJ, par la condition singulière du geste, seront l'occasion pour que puisse se produire la rencontre avec le Dieu vivant, ou la redécouverte d'une foi assoupie ou oubliée.

- Selon vous, ces grands moments caractérisés par l'enthousiasme, produisent-ils ensuite un changement qui persiste et est destiné à avoir une incidence?
- Les Journées mondiales de la jeunesse, comme toutes les réalités de la vie de l'Eglise, ne sont jamais un phénomène automatique. Les grandes dimensions du geste ne garantissent pas nécessairement qu'un changement va se passer, comme du reste aucun autre geste, même de petite taille ne peut le garantir. Dans la vie chrétienne, rien ne se passe automatiquement. La rencontre entre l'initiative du Christ qui se rend présent à travers son Esprit dans toutes les dimensions de la réalité ecclésiale, et notre liberté, est toujours dramatique. Bien sûr, dans les JMJ, la liberté de Dieu vient vers nous, cherche l'homme et s'adresse à sa liberté personnelle, le rejoint pour croiser la liberté de chacun de nous. La survenue du changement et sa permanence se jouent entièrement dans cette rencontre dramatique entre Dieu et la liberté de chacun de nous présents aux JMJ. L'expérience démontre, par exemple, dans l'éclosion de nombreuses vocations aux différents âges de la vie, que cette rencontre se produit dans les JMJ.

- Comment voyez-vous la situation sociale et culturelle des jeunes en Espagne aujourd'hui?
- C'est une réalité très diversifiée. Il y a bien sûr beaucoup de jeunes qui vivent avec un grand sérieux et une grande intensité leur vie, mais aussi beaucoup de jeunes confus et désorientés, qui expriment leur inquiétude de façon très réduite, parfois même inhumaine. Certaines expressions de la façon dont les jeunes utilisent leur temps de loisir, ou conçoivent le travail ou les affections font penser à une recherche contradictoire du bonheur. Mais il n'y a personne qui n'ait le désir d'être heureux, même si cela se traduit souvent dans des réponses inadéquates, qui ne sont pas à la hauteur d'un désir qui est infini. Il est donc très important que ce désir de bonheur, qui est typique des jeunes, puisse être intercepté par une proposition chrétienne, capable de saisir la profondeur infinie de leur attente.

- Comment la proposition chrétiens peut-elle, selon vous, intercepter cette attente des jeunes?
- Cela est possible uniquement en montrant en action, historiquement, l'accomplissement de ce désir. C'est notre responsabilité envers les jeunes Espagnols: qu'ils puissent découvrir la véritable stature de leur humanité et devenir ainsi des sujets actifs, les acteurs d'une construction sociale qui ne se réduit pas à de simples protestations. Chose que nous avons vu dans de nombreuses manifestations récentes, où l'exigence humaine qui s'était réveillée, s'est immédiatement réduite à certaines revendications et, finalement, à la demande d'un étatisme protecteur. Cela ne peut jamais donner une réponse complète à la condition de l'homme. Nous voulons être les acteurs de notre bonheur et du bien commun.

- Quelle signification a l'institution de l'université ecclésiastique de Madrid, voulue par le pape? Quelle contribution pouvez-vous apporter à l'Espagne?
- Avant tout, c'est un motif de grande joie et de profonde gratitude au Saint-Père qui, à travers la Congrégation pour l'Éducation catholique, a accordé au diocèse de Madrid cette université ecclésiastique. Elles est née pour répondre aux besoins d'évangélisation et de mission de l'Eglise, à travers la Faculté qui étudie les disciplines ecclésiastiques - théologie, philosophie, philologie et droit canonique - avec le travail quotidien d'enseignement et de recherche. Dans notre université, il y a déjà une présence significative d'étudiants d'autres diocèses d'Espagne et de l'étranger, particulièrement d'Amérique latine, d'Afrique et même d'Asie. La dimension missionnaire a toujours été une caractéristique de l'Eglise de Madrid. Aujourd'hui, cette dimension se réalise également dans cette forme, celle d'accueillir des étudiants qui viennent de différentes parties du monde pour leur offrir une expérience ecclésiale.

- Quels sont vos programmes [d'enseignement]?
- C'est notre intention de servir le programme que Benoît XVI avait déjà lancé en 2005, c'est à dire celui d'une juste herméneutique de Vatican II. C'est une question qui s'est rouverte. Nous voulons l'affronter en suivant les traces de Jean Paul II et de Benoît XVI, interprètes et acteurs majeurs de la réception du Concile dans l'Eglise, cherchant à développer un travail universitaire, donc philosophique, théologique, canonique, qui réussisse à faire passer dans le tissu de la vie du peuple Dieu ce grand évènement d'auto-réalisation de l'Eglise qu'a été Vatican II.




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