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LE VATICAN RÉPOND PAISIBLEMENT À L'IRLANDE
 

La réponse très argumentée du Saint-Siège au Gouvernement de Dublin à propos du Rapport de la Commission d'enquête sur le diocèse de Cloyne vient d'être publiée. L'analyse de Massimo Introvigne (5/9/2011)




 

J'avoue que je n'ai pas eu le courage de lire le texte d'origine: il a déjà fait couler pas mal d'encre dans la presse internationale. Sans surprise, le NYT (article ici) écrit, avec la scandaleuse mauvaise foi que nous connaissons au moins depuis le printemps 2010: Only with the explosion of a new sexual abuse scandal in Europe last year has the Vatican stepped up its efforts to clarify its procedures (Ce n'est qu'avec l'explosion d'une nouvelle vague d'abus sexuels l'an dernier en Europe, que le Vatican a entrepris des efforts pour clarifier ses procédures)!!!

Massimo Introvigne a comme d'habitude épluché minutieusement le document du Vatican, et avec la clarté pédagogique qu'on lui connaît, il livre un argumentaire solide pour contrer la désinformation de la presse "libérale"!




Sur ce sujet

Tensions entre Dublin et le Vatican (premier article de Massimo Introvigne, avec un historique du clash (22 juillet)
L'Irlande devient dingue (George Weigel propose de remplacer la hiérarchie eccésiastique en Irlande (6 août)



 

Extrait du bulletin VIS du 3 septembre
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Réponse au Rapport Cloyne.
Ce matin, Mgr.Ettore Balestrero, Sous-Secrétaire pour les rapports avec les états, a reçu Mme Helena Keleher, Chargé d'affaires de l'Ambassade d'Irlande, afin de lui remettre la Réponse du Saint-Siège au Gouvernement de Dublin sur le Rapport de la Commission d'enquête sur le diocèse de Cloyne. Le texte officiel complet, en anglais, est disponible ici.

Commentaire du Directeur de la Salle-de-Presse.
Le P.Federico Lombardi, SJ, Directeur de la Salle-de-Presse du Saint-Siège, a commenté aujourd'hui sur Radio Vatican la Réponse au Rapport Cloyne, présenté ce matin: "Il s'agit d'un document structuré avec clarté, qui aborde toutes les questions envisagées en leur donnant des réponses argumentées et documentées et en les insérant dans une perspective plus large".
Le P.Lombardi a également affirmé que "tout le document montre que le Saint-Siège a pris en considération, avec sérieux et respect, les questions et les critiques reçues, et qu'il s'est efforcé de donner une réponse profonde et sereine, sans polémiques inutiles, y compris sur les points sur lesquels il donne des réponses claires aux accusations qui lui ont été présentées". Le Saint-Siège espère que la Réponse "atteindra son objectif fondamental et l'intérêt commun qui s'impose, c'est à dire contribuer à reconstruire le climat de confiance et de coopération avec les autorités irlandaises qui est essentiel pour un engagement efficace de l'Eglise comme de la société entière, pour garantir le bien premier de la sauvegarde de la jeunesse".




L'analyse serrée de Massimo Introvigne

Entre l'Irlande et le Saint-Siège, des preuves techniques de paix
Massimo Introvigne, 09/05/2011
La Bussola, ma traduction.
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Samedi 3 septembre, le sous-secrétaire pour les relations du Vatican avec les Etats, Mgr Ettore Balestrero - qui s'est beaucoup employé pour résoudre cette crise - a confié à la chargée d'affaires irlandaise la réponse du Saint-Siège au gouvernement d'Irlande au sujet du rapport sur les abus des mineurs par le clergé du diocèse de Cloyne, publié le 13 Juillet dernier. Comme les lecteurs de La Boussole s'en souviennent n(ndt: cf. ci-dessus), le 20 Juillet, le Premier ministre irlandais Enda Kenny a commenté devant le parlement le rapport sur Cloyne, dans un discours très dur, tandis que deux ministres annonçaient la présentation d'un projet de loi qui exigerait des prêtres, sous peine de cinq ans de prison, de révéler les informations d'abus sur des mineurs, même apprises en confession. Le 25 Juillet, le Saint-Siège a rappelé le nonce apostolique en Irlande pour consultations. Le 27 Juillet, le Parlement irlandais a approuvé une motion qui censure le Saint-Siège à propos des affaires de prêtres pédophiles.

Le ministère irlandais des Affaires étrangères avait expressément demandé au Saint-Siège une réponse écrite au rapport sur Cloyne. Aujourd'hui, elle est arrivée, et les premières réactions de la presse et du monde de la politique d'Irlande - même si personne ne veut faire marche arrière par rapport aux affirmations de Juillet dernier - indiquent qu'il s'agit au moins d'un premier pas vers une paix raisonnable. Dans la réponse du Saint-Siège, il y a à peine une allusion au caractère inacceptable de mesures qui remettent en question le secret de la confession: évidemment, le Vatican espère qu'il s'agit de projets dictés par l'émotion du moment et destinés à être discrètement abandonnés.
Au contraire, le document du Vatican repose sur trois piliers.

La première est l'admission franche du fait qu'en Irlande sont advenus des épisodes très graves et dégoûtants d'abus de mineurs par des prêtres. Le Saint-Siège se déclare «repentant et plein de honte pour la terrible souffrance à laquelle les victimes d'abus et leurs familles ont dû faire face». Il reconnaît les «graves manquements dans le gouvernement de l'Eglise » de la part des évêques irlandais. Il affirme être prêt à accueillir «dans un esprit d'humilité», «toutes les observations et les suggestions utiles et appropriées pour combattre le crime révoltant d'abus sexuels sur mineurs».
Cette position, fait remarquer le Saint-Siège, n'est pas nouvelle et n'est pas un fruit tardif du rapport sur Cloyne. Elle est contenue - préparée par les interventions précédentes du Pontife lui-même - dans la Lettre aux catholiques en Irlande de 2010 (ici), dans laquelle Benoît XVI criait aux prêtres irlandais coupables d'abus, que «vous avez perdu l'estime du peuple d'Irlande et apporté la honte et le déshonneur sur vos frères», et rappelait aux évêques que «certains d'entre vous et de vos prédécesseurs avez manqué, parfois même gravement, aux normes du droit canonique depuis longtemps codifié, concernant le crime d'abus d'enfants».

Il faut le dire clairement: jamais le Pape et le Saint-Siège n'ont épousé la ligne «négationniste» de certains évêques et journalistes catholiques irlandais - et pas seulement Irlandais - selon lesquels tous les abus sur des enfants auraient été inventés par la propagande des laïques et anticléricaux. Celle-ci existe, elle exagère les chiffres et formule - comme le répète le document du 3 Septembre - des «accusations sans fondement». Mais malheureusement, à la racine du problème, il y a la réalité tragique et honteuse des prêtres pédophiles, que personne plus de Benoît XVI n'a dénoncée comme une blessure grave à l'Église catholique et à l'immense majorité des prêtres, qui n'ont rien à voir avec les abus.

Deuxième aspect du document: le Saint-Siège déplore que dans les réactions à chaud au rapport sur Cloyne, il n'ait pas été pris acte des efforts de l'Église pour améliorer continuellement les instruments du droit canonique pour mieux protéger les enfants victimes d'abus. Le document en retrace l'histoire, dont fait également partie le document Crimen Sollicitationis qu'une propagande persistante - basée sur une lecture erronée - présente comme un outil pour couvrir les prêtres pédophiles, alors qu'à la fois la version originale de 1922 et celle légèrement modifiée en 1962, créaient en fait pour le droit canon des règles plus avancées et plus sévères que de nombreuses lois d'Etat de l'époque relatives aux abus.

Le document de 2011 poursuit en rappelant le Code de droit canonique de 1983, et l'indult pour les Etats-Unis en 1994, étendu à l'Irlande en 1996, qui - pour ces deux pays où les cas d'abus ont été les plus nombreux - allongeait le délai de prescription à dix ans, non pas du crime, mais du moment où la victime atteignait ses 18 ans. Le texte souligne que le rapport sur Cloyne dit, avec raison, que ces règles étaient en vigueur au moment des abus qui ont eu lieu dans ce diocèse; mais qu'elles ont été violés par les autorités ecclésiastiques locales.

La réponse au gouvernement irlandais se poursuit en regrettant que dans les réactions au rapport sur Cloyne, on n'ait pas pris en compte les mesures extraordinairement sévères introduites par l'Eglise catholique en 2001 et renforcées en 2010 - avec le délai de prescription porté à vingt ans à compter des dix-huit ans de la victime, une période sans précédent dans la loi des Etats européens - et qu'on n'ait pas tenu compte de la littérature scientifique internationale qui montre que ces mesures rigoureuses ont prouvé leur efficacité et que le nombre d'abus a été significativement réduit au XXIe siècle par rapport aux dernières décennies du XXe siècle. Le Saint-Siège, donc, travaille sans relâche afin d'améliorer le droit canon, et fait souvent plus et mieux que les États. Les suggestions visant à améliorer sa réglementation sont les bienvenues, mais ils ne peuvent partir que d'une connaissance exacte de la situation actuelle.

Troisième aspect du document: sollicité par le gouvernement irlandais, le Saint-Siège a dû entrer dans les détails d'un problème technique avec une longue explication que certains politiciens irlandais ont décrit comme «légaliste et compliquée». Mais c'est l'argument utilisé contre le Saint-Siège qui était légaliste et compliqué!
Cette explication fait d'abord observer que, dans son discours du 20 Juillet, le Premier ministre irlandais a cité à tort un texte de l'ex-cardinal Ratzinger, où le futur Pontife affirmait que l'Eglise ne s'appliquait pas nécessairement à elle-même «les standards de conduite adaptées pour une démocratie» . Il s'agit d'un passage du paragraphe 39 de l'instruction de 1990 Donum veritatis sur la vocation ecclésiale du théologien, signé par le Cardinal Ratzinger comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Le document du 3 septembre reproduit le paragraphe en entier, permettant à quiconque de se rendre compte que le texte n'a rien à voir avec le respect de la législation pénale des Etats démocratiques tels que l'Irlande, mais affirme simplement que les vérités théologiques de l'Eglise ne sont pas votées à la majorité des théologiens. Pour savoir si le Christ est vraiment ressuscité, on ne convoque pas un référendum parmi les théologiens - peut-être le résultat donnerait-il quelques surprises - proclamant comme un dogme ce qui serait voté par la moitié plus un des professeurs de théologie. La citation erronée a été en son temps également rapporté par La Bussola, soupçonnant derrière ce passage du discours du Premier ministre la petite main ou la grosse main de quelque théologien progressiste irlandais hostile au Pape: après tout, Donum Veritatis est un texte datant de vingt ans, s'adressant aux théologiens - et impopulaire parmi les progressistes - et la probabilité qu'il s'agisse de l'un des livres préférés d'un homme politique irlandais de 2011 semble plutôt modeste.

L'acusation centrale contenue dans le discours du Premier ministre, auquel le Saint-Siège répond aujourd'hui, se réfère à une lettre de 1997, dans laquelle le nonce apostolique en Irlande d'alors, Mgr Luciano Storero (1926-2000), communiquait aux évêques irlandais les « réserves sérieuses » de la Congrégation du Clergé sur la manière dont un document de 1995 sur les abus, préparé pour l'épiscopat irlandais par une commission d'experts, formulait l'obligation de dénoncer aux autorités civiles les affaires de pédophilie. Le Premier ministre et le Parlement irlandais accusent le Saint-Siège d'avoir, avec cette lettre, entravé la lutte contre la pédophilie en Irlande de deux façons: formellement, en déclassant un document sévère des évêques irlandais en une simple «étude» et en refusant de le reconnaître, lui enlevant ainsi l'autorité et permettant à des diocèses comme celui de Cloyne de ne pas le suivre; substantiellement, en donnant l'impression que le Saint-Siège n'était pas d'accord sur le principe du texte irlandais de 1995 selon lequel tout soupçon d'abus de la part d'un prêtre devait être immédiatement signalé aux forces de l'ordre. Le problème est technique, et la réponse ne peut être que technique.

Le Saint-Siège confirme que le document de 1995 n'est pas un texte officiel de la Conférence épiscopale, mais un rapport préparé par un comité d'experts. En l'envoyant par courrier au nonce Storero, les évêques irlandais expliquaient que le texte «n'a pas été promulgué comme décret de la Conférence épiscopale, ni n'a pas été voté et approuvé par la Conférence»; il n'était même pas considéré comme «le dernier mot sur la question» , mais une simple contribution utile écrite par des spécialistes. Donc ce n'est pas le Saint-Siège qui a considéré le texte de 1995 comme une «étude» et non comme un document officiel de la Conférence des Évêques; c'est cette dernière qui l'a présenté comme une simple étude, sans demander, donc, de recevoir une reconnaissance (recognitio) du Vatican, notion prévue dans le droit canonique pour certaines catégories de documents, mais certainement pas pour les rapports des comités d'experts. La contre-preuve, s'il en était besoin - fait remarquer le Saint-Siège - est que le nonce avait même été averti que le copyright sur le texte appartenait non pas aux évêques mais à la commission d'experts, qui ont ensuite revendiqué les droits d'auteur et des royalties en cas de publication.

Le Saint-Siège souligne ensuite que l'Eglise ne fonctionne pas comme une multinationale qui a un siège central (le Vatican), des filiales nationales (les Conférences épiscopales) et des agences (les diocèses). Chaque évêque individuel est un successeur des apôtres, et c'est à lui qu'incombe la responsabilité principale du bon fonctionnement et de l'administration de la justice dans son diocèse. Et chaque évêque a une relation directe avec le Pape, qui est aidé, mais pas remplacé, par les conférences épiscopales. Là aussi, - le commentaire est de moi, et pas du document du Vatican - le gouvernement irlandais semble avoir une idée du statut théologique des conférences épiscopales, qui correspond à une certaine théologie progressiste, mais pas au Magistère de Benoît XVI.
Quoi qu'il en soit, dans la pratique, il ne ressort pas du rapport sur Cloyne que la lettre du nonce Storero ait jamais été cité dans le diocèse, dans les différends entre l'évêque et son vicaire général au sujet du rapport de 1995. L'évêque se déclarait favorable et le vicaire opposé à ce rapport, mais en fait, personne ne l'a appliquée.

Du point de vue du fond, ce qui intéresse aujourd'hui le gouvernement irlandais dans la lettre de Storero, c'est qu'elle soulevait des doutes sur un des conseils des experts: celui de signaler immédiatement à la gendarmerie tout prêtre accusé - par n'importe qui - d'abus sur des enfants, avant même la moindre vérification. Le Saint-Siège constate qu'à l'époque (1996) ce conseil avait un double statut, non seulement du point de vue du droit canonique, mais aussi du point de vue du droit de l'Etat irlandais. Méticuleusement, le document du Vatican rapporte des documents non seulement antérieurs mais aussi postérieurs à la lettre de Storero, dans lesquels le gouvernement irlandais précisait que l'obligation de dénoncer immédiatement les abus possibles - non seulement pour les évêques, mais aussi pour les médecins, les directeurs d'écoles et d'autres - n'existait pas dans la loi de Irlande, et il n'était pas jugé opportun de l'introduire parce que les exemples des Etats-Unis avaient montré combien il était facile de ruiner irréparablement la réputation d'accusés qui ensuite s'avéraient innocents. Si les évêques, avant toute enquête et, éventuellement, sur la base d'une simple accusation malveillante ou isolée, avaient immédiatement dénoncé leurs propres prêtres à la police, non seulement ils auraient agi de façon moralement contestable, mais ils auraient violé la loi de l'Etat d'Irlande de l'époque, s'exposant à des poursuites pénales pour calomnie, et civiles, pour dédommager les accusés qui auraient été reconnus innocents ensuite.

C'est seulement depuis 1999 - face à des cas de gravité exceptionnelle - que le gouvernement irlandais a modifié sa législation, introduisant une obligation de dénoncer même les simples accusations préliminaires, accompagné d'une protection de la vie privée des accusés dans la première étape de l'enquête, pour autant que cette protection, comme nous le savons en Italie, ne fonctionne pas toujours. L'Eglise catholique s'est promptement adaptée à ces nouvelles règles, et le Saint-Siège lui-même a recommandé aux évêques irlandais de coopérer avec les autorités civiles et de ne pas se dérober à l'obligation de dénonciation. Si dans le diocèse de Cloyne, ou ailleurs, cela ne s'est pas produit, les autorités locales ont désobéi au Saint-Siège et n'ont pas suivi ses instructions. Quant au défunt nonce Storero, il est difficile de l'accuser de ne pas avoir cité, et respecté en 1996 des règles de l'Etat irlandais qui ne devaient être introduites - en trois étapes - qu'en 1999, 2001 et 2004. Aujourd'hui, le Saint-Siège réaffirme sa volonté de respecter les lois actuelles et futures, avec pour seule limite - ici réside la seule mention aux récentes propositions - le secret de la confession.

Le document met donc quelques points sur les i, comme il se doit. Mais le lecteur qui veut vraiment comprendre la position du Saint-Siège sur la crise des prêtres pédophiles doit toujours noter que celle-ci marche sur deux jambes. D'une part, il conteste les «accusations infondées» qui viennent souvent, malheureusement, de l'intérieur de l'Eglise: de milieux hostiles au Pape pour des raisons qui n'ont rien à voir avec les prêtres pédophiles et beaucoup avec son Magistère théologique et moral, qui influencent ou même manipulent les politiciens. D'autre part, il réaffirme la volonté de Benoît XVI de reconnaître dans la honte et dans la pénitence que le problème des prêtres pédophiles est un problème très réel et très sérieux, à affronter avec les outils du droit canonique, de la recherche des causes, confiée aux sciences sociales, mais aussi de la prière et du renouveau spirituel.
Sur ce terrain - passé le temps des émotions - la paix pourra éclater, même avec l'Irlande.




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