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L'ABBÉ CARMIGNAC
 

Frère Maximilien Marie rappelle sur son blog la mémoire d'un prêtre français: l'Abbé Jean Carmignac (1914-1986), "à la fois un très grand savant et un homme d'une très haute spiritualité", devenu l'un des plus grands spécialistes (mais en quelque sorte maudit) des fameux manuscrits de la Mer Morte. A ne pas manquer! (30/9/2011)




 
 

C'est Vittorio Messori qui dit l'essentiel, comme le lui a rapporté le savant lui-même:

“J'ai commencé par hasard à m'occuper de la naissance des Evangiles. En traduisant les textes de Qumrân, je constatais beaucoup de rapports avec le Nouveau Testament et j'ai pensé que je pourrais en tirer un commentaire à la lumière des documents de la Mer Morte. J'ai décidé de commencer par l'Evangile de Marc et, pour mon usage personnel, j'ai voulu voir quel son il rendait traduit dans l'hébreu de Qumrân.”
Et là commencèrent les surprises : “J'imaginais qu'une semblable traduction aurait été très difficile à cause des différences considérables entre la pensée sémitique et la pensée grecque. Et au contraire j'ai découvert aussitôt, stupéfait, que la traduction se révélait extrêmement facile. Après une seule journée de travail - c'était en avril 63 - j'étais déjà convaincu que le texte de Marc ne pouvait pas avoir été rédigé en grec : ce devait être, en réalité, la traduction grecque d'un original hébreu".


Son travail titanesque et méconnu ne peut manquer de rappeler le souci du Saint-Père, à travers son Jésus de Nazaeth, de ne pas séparer le Jésus historique de celui de la foi.

Où l'on voit aussi à quel point l'idéologie pèse sur la recherche biblique... et combien certains membres du clergé peuvent manquer de charité.




 



 

Le site de l'Association Jean Carmignac http:// http://www.abbe-carmignac.org nous apprend que "l'abbé Jean Carmignac est un éminent savant hébraïsant dont les travaux scientifiques arrivent à démontrer, d'une façon qui semble décisive, que les Evangiles, écrits trés tôt et en langue sémitique, ont une valeur historique de premier ordre et sont les témoignages de disciples qui ont suivi et écouté Jésus ou de ceux qui les ont interrogés".




 



 

Le Blog du Mesnil lui consacre trois textes passionnants, parmi lesquels le récit de l'auteur du blog lui-même qui raconte dans quelles circonstances il a eu l'occasion de connaître personnellement (et même de converser avec lui) le savant et saint prêtre.
Ici: http://leblogdumesnil.unblog.fr/
Suivent deux autres pages.




1. Notice bibliographique

(Texte complet ici)
Né à Paris en 1914 dans une modeste famille de paysans français, il a passé son enfance dans un village des Vosges.
Au séminaire de Sain-Dié, ses maîtres, frappés par sa vive intelligence et son goût pour l'étude, l'envoient au Séminaire français pontifical de Rome, où il restera de 1934 à 1939. Il y commence l'étude de l'hébreu biblique.
La guerre arrive. Il ne sera pas mobilisé, car il est atteint de lésions pulmonaires. En 1943, il est terrassé par la tuberculose, ce qui lui permettra d'échapper à la déportation "puisqu'en novembre 1944 les Nazis envoient tous les hommes de la région de Saint-Dié à Dachau."

En 1954, il obtient une bourse pour l'Ecole Biblique et Archéologique française de Jérusalem: "Ma bourse, dit-il, comportait l'obligation de rédiger un travail pour l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. J'ai choisi l'étude du déchiffrement d'un manuscrit de la Mer Morte, et cela m'a amené à me spécialiser dans les fameuses découvertes faites à Qumrân, près de la Mer Morte".
Devenu l'un des plus grands experts mondiaux de l'hébreu qumrânien, l'hébreu du temps du Christ, il fonde en 1958 la “Revue de Qumrân“, seule revue au monde consacrée à ce sujet.

La suite de sa vie le voit persécuté par sa hiérarchie à cause d'un litige très grave autour d'une nouvelle traduction du Notre-Père: "L'opposition à son encontre prendra même la tournure d'une véritable persécution (par ses confrères!) et retardera pour un temps ses publications scientifiques, lorsque on commencera à apprendre que ses travaux exégétiques sur les sémitismes attestent l'origine hébraïque des Evangiles ainsi qu'une datation proche des événements qu'ils relatent".

Travaillant pendant plus de vingt ans à accumuler tout le matériel nécessaire à une publication scientifique capable de convaincre ses pairs du substrat hébraïque des Evangiles, il collationne à travers toute l'Europe plus de quatre-vingt rétroversions des Evangiles en Hébreu et, tout en publiant cinq tomes de ces rétroversions entre 1982 et 1985, il réalise la première rétroversion en hébreu qumrânien de l'Evangile selon Saint Marc, travail très important pour la confirmation de ses hypothèses.
En 1984, il publie l'essentiel de ses conclusions dans le livre “La Naissance des Evangiles synoptiques“, dont les rééditions postérieures comportent ses réponses, point par point, aux virulentes critiques dont ce livre fut l'objet.

Atteint d'une grave bronchite, il meurt dans la solitude le 2 octobre 1986, à Paris.

Quelques lignes rédigées d'une écriture tremblante sur une enveloppe à l'hôpital désignaient un exécuteur testamentaire et demandaient que l'ensemble de ses papiers soit déposé à l'Institut Catholique de Paris afin d'y créer un fond d'études et de recherches dans la continuité de ses propres travaux.

Mais ses dernières volontés de l'abbé ne seront pas respectées : pendant des années, les personnes qui demandèrent à avoir accès au “fond Carmignac” se heurtèrent à une fin de non recevoir . Il semblerait mêmeque l'archevêché de Paris soit intervenu pour faire retirer du “fond Carmignac” laissé à l'Institut Catholique un certain nombre de documents importants dont on ne peut dire aujourd'hui ni où ils sont ni si on les reverra un jour…




2. Le récit de Vittorio Messori

Enfin, Frère Maximilien-Marie nous offre la traduction d'un chapitre du livre de Vittorio Messori “Inchiesta sul Cristianismo” (1993): on lit comme un roman le récit de sa rencontre mystérieuse, en 1984, dans une pauvre chambre du XVIIe arrondissemnt de Paris, à côté de la paroisse Saint-François de Sales avec le vieux prêtre souriant et cordial qui l'accueille parmi ses livres.
Lire en entier
ici.
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(...)
Des écritures hébraïques de la Mer Morte aux Evangiles et à leur origine sémitique : ce fut un tournant pris en 1963, et, depuis lors, poursuivi avec détermination, jusqu'à sa mort près de vingt-cinq ans plus tard. Il me raconta comment les choses s'étaient passées.
“J'ai commencé par hasard à m'occuper de la naissance des Evangiles. En traduisant les textes de Qumrân, je constatais beaucoup de rapports avec le Nouveau Testament et j'ai pensé que je pourrais en tirer un commentaire à la lumière des documents de la Mer Morte. J'ai décidé de commencer par l'Evangile de Marc et, pour mon usage personnel, j'ai voulu voir quel son il rendait traduit dans l'hébreu de Qumrân.”
Et là commencèrent les surprises : “J'imaginais qu'une semblable traduction aurait été très difficile à cause des différences considérables entre la pensée sémitique et la pensée grecque. Et au contraire j'ai découvert aussitôt, stupéfait, que la traduction se révélait extrêmement facile. Après une seule journée de travail - c'était en avril 63 - j'étais déjà convaincu que le texte de Marc ne pouvait pas avoir été rédigé en grec : ce devait être, en réalité, la traduction grecque d'un original hébreu.
Les grandes difficultés auxquelles je m'attendais avaient toutes été résolues par le traducteur hébreu-grec qui avait transposé mot pour mot, en conservant jusqu'à l'ordre des termes requis par la grammaire hébraïque”. En somme “plus j'avançais dans mon travail et plus - d'abord chez Marc et puis chez Matthieu - je découvrais que le corps visible du texte était en grec mais que l'âme invisible était sémitique, sans aucun doute possible”.

Dans la conclusion de son petit livre - véritable pierre jetée dans la mare de l'exégèse biblique moderne - Carmignac a résumé en huit points ce qu'il définissait comme “les résultats provisoires de vingt années de recherche sur la formation des Evangiles Synoptiques”. Les mots sont mesurés, les degrés de probabilité attentivement gradués :
“Primo il est certain que Marc, Matthieu et les documents utilisés par Luc ont été rédigés en langue sémitique”. Suit un deuxième point : “Il est “probable” que cette langue sémitique soit l'hébreu plutôt que l'araméen”. Troisième point : “Il est “assez probable” que l'Evangile de Marc ait été composé en lanque sémitique par l'apôtre Pierre lui-même”.

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Paolo Sacchi, l'hébraïsant de l'université de Turin, dans un des premiers compte rendu sur le livre-bombe de Carmignac jugeait “évidente” la thèse de la composition en langue sémitique des Evangiles, à tel point que, écrivait-il, “on se demande spontanément avec quel poids les problèmes idéologiques ont pesé sur la recherche biblique pour que jusqu'à aujourd'hui la thèse opposée ait prévalu”. En réalité, continuait Sacchi, qui est un des spécialistes les plus estimés en cette matière, “toute la question est grevée de problèmes idéologiques et je doute donc que la thèse de Carmignac soit retenue".
En effet, Sacchi fit une prophétie facile. Pierre Grelot, prêtre, bibliste célèbre de l'Institut Catholique de Paris (ndlr: tendance progressiste!), une des plus grandes universités catholiques, est intervenu comme la foudre avec vingt-deux observations critiques qui s'efforçaient de démolir, même de tourner en ridicule le travail de son collègue et confrère Carmignac. Lequel répondit avec autant de contre-observations.
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Personne ne peut dire si sur sa fin subite a de quelque façon pesé l'amertume due à ce qu'il a défini dans une lettre privée comme “une authentique persécution” organisée par ses collègues, souvent confrères dans le sacerdoce. En effet, avant la publication de son petit livre, il était estimé et étudié par ceux-là même qui ensuite se refusèrent à le saluer et, ce qui est pire, lui fermèrent les portes des maisons d'édition, si bien qu'il se vit contraint d'écrire en anglais de publier ainsi à l'étranger, comme si elle était un texte clandestin, cette oeuvre dans laquelle il comptait donner des preuves irréfutables de ses affirmations et qu'il pas eu le temps de terminer.
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Mais pourquoi la certitude de Carmignac a-t-elle suscité tant de réactions dures et méchantes : cette certitude (atteinte à l'issue d'un travail acharné l'ayant conduit à retrouver jusqu'à 90 traductions hébraïques du Nouveau Testament) que Matthieu, Marc et les documents utilisés par Luc ont été écrits non pas en grec mais dans une langue sémitique?
Comme me l'expliqua de vive voix le vieux savant, en me rappelant ce qu'il avait écrit, si la langue des Evangiles à l'origine était l'hébreu (ou l'araméen, même s'il penchait, lui, pour la première éventualité), c'était le signe qu'ils ont été composés alors que le Christianisme naissant était encore confiné en Palestine et n'avait pas déjà explosé dans les territoires de l'Empire, où pour se faire comprendre il fallait s'exprimer en grec, l'anglais de l'époque.

Mais alors, observait-il, “toute la datation des Evangiles doit être révisée et située à une date antérieure. Si vraiment, comme cela semble certain, les Evangiles ont été écrits en hébreu, ils “collent” aux évènements, ils rapportent des paroles et des faits contrôlables directement par ces témoins encore vivants, sur les lieux même où ils se sont passés. Ce ne sont donc pas des compositions suspectes du point de vue historique, elles n'ont pas été soumises à ces longues manipulations de la communauté croyante dont parle l'exégèse aujourd'hui dominante. Il s'agit au contraire de documents historiques, presque de chroniques, de toute première main : et par conséquent leur niveau de crédibilité s'élève d'un coup, les certitudes de la foi viennent s'appuyer sur des confirmations historiques”.

Si on tient la datation qui jusqu'à présent est reconnue presque partout, Marc aurait été composé vers l'an 70, date cruciale parce que c'est celle de la destruction de Jérusalem par les Romains, avec en conséquence la disparition définitive de ce monde hébreu qui avait été celui de Jésus et de ses premiers disciples ; Matthieu et Luc auraient été composés entre 80 et 90 ; Jean à la fin du siècle (quelqu'un s'est avancé même jusqu'à parler de 170…).

A travers des considérations qu'ici la place empêche d'exposer, le savant solitaire enfermé dans son ermitage parisien proposait cette datation : Marc n'a pas été écrit postérieurement à 42-45 et ce serait Saint Pierre lui-même qui l'aurait écrit, même si l'Evangile a pris le nom de son traducteur grec, peut-être par un acte d'humilité de la part du chef des Apôtres. Matthieu aurait été écrit vers l'an 50 et Luc peu après, en grec, mais en utilisant des documents écrits en hébreu.
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Quoi qu'il en soit, l'enjeu ici est de la plus haute importance : l'objet du débat implique les biblistes mais concerne tout le monde, ce n'est certes pas un problème de rats de bibliothèque. Il s'agit des bases mêmes de la foi, de la personne de Jésus de Nazareth et de la possibilité qu'il soit vraiment ce que les croyants croient qu'il est.




Homme et femme il les créa | Joseph Ratzinger et la nouvelle évangélisation