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Les messages brouillés du pape en afrique

Le Figaro, 23 mars, Yves le Guénois
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Les Pygmées du Cameroun ont tout compris. En offrant, vendredi matin, une tortue vivante à Benoît XVI, ils ont voulu honorer «la sagesse» du visiteur puisque cet animal symbolise, à leurs yeux, cette vertu. Mais ces redoutables chasseurs donnaient au Pape un autre symbole, celui de la carapace ! Durcie par l'âpreté de l'Afrique, mais joliment tuilée par la nature, elle n'était pas de trop pour affronter les turbulences de ce premier voyage de l'hôte blanc sur le continent noir.

On l'a vu en effet sourire, souffrir et… sortir souvent un mouchoir de sa manche pour s'éponger le front comme un travailleur à la peine. Il faisait très chaud pour le pape bavarois, mais l'atmosphère morale du voyage, commencé mardi par le Cameroun et continué vendredi par l'Angola, s'est révélée très pesante. Joseph Ratzinger, qui fêtera ses 82 ans mi-avril rentre, épuisé, lundi soir à Rome.

Carapace ne veut pas dire armure. Benoît XVI et son entourage ont ainsi été intimement choqués et peinés d'apprendre, deux heures après la fin de sa rencontre avec les jeunes, samedi après-midi à Luanda, capitale de l'Angola, que deux d'entre eux, «dans une bousculade à l'entrée du stade» étaient morts pour le voir et quarante autres avaient été blessés dans les mêmes circonstances.

Une autre version non officielle, mais reçue de scouts chargés du service d'ordre, directement témoins parlait, elle, de «déshydratation». Les malaises se succédaient et les civières allaient et venaient à un rythme impressionnant, samedi après-midi devant le podium du Pape. Des groupes de jeunes se sont mêmes violemment accrochés pour de malheureuses bouteilles d'eau qui manquaient effectivement… À 16 heures, ils étaient dans la cuvette du stade depuis 7 heures du matin. Et aucun nuage dans le ciel n'adoucissait le soleil tropical.

Dimanche matin, un pape au visage très grave a donc ouvert la messe de célébration des cinq cents ans de la fondation de l'Église catholique angolaise. Il a appelé au recueillement pour ces deux jeunes filles de 20 ans, mortes et pour ces blessés. Mais la fête prévue a soudain pris un goût amer et l'esplanade pouvant accueillir un million de personnes était à moitié vide. Ce qui est considérable vu les conditions d'accès de ce lieu à 14 km du centre de la ville. L'Angola, ancienne colonie portugaise est catholique à près de 56 %.

La veille, sœur Rosaria, portugaise de la congrégation des sœurs de Notre-Dame de Fatima, qui travaille dans le très pauvre quartier de Bairro da Maianga, en périphérie de Luanda expliquait combien cette «violence» était habituelle. Omniprésente dans ce pays sorti il y a seulement sept ans, le 4 avril 2002, d'une guerre civile de vingt-sept ans. «Il y a encore beaucoup de mensonges dans la vie sociale et même ecclésiale. Et beaucoup de violences. Nous connaissons, près de chez nous, une jeune fille de 14 ans qui se préparait au baptême et qui a été violée par une bande qui a pénétré dans sa maison. La pauvreté génère cela. Beaucoup de jeunes ne vont pas à l'école et n'ont rien à faire. Le grand travail de l'Angola qui se reconstruit petit à petit, c'est l'éducation pour une formation humaine.» Elles s'y emploient, avec ses sœurs, dans une ville où des grilles aux fenêtres, des barbelés sur la moindre clôture et des gardiens soupçonneux, indiquent que «la loi du plus fort», dénoncée par le Pape dès son arrivée, règne en maître.

Là, comme au Cameroun, Benoît XVI a donc délivré un message de «réconciliation, de justice et de paix» pour tout le continent. Ce sera le thème, cet automne, du synode romain dédié à l'Afrique. Et ce fut le sens de ce périple de 11 400 km où celui qui n'avait posé qu'une fois le pied en Afrique, a symboliquement laissé l'Instrumentum laboris, le document de travail préparatoire du synode d'une cinquantaine de pages.



Main tendue vers l'islam africain

L'accompagnaient seize discours tout aussi exigeants avec des dénonciations - la «corruption» notamment - peu entendues dans la bouche de leaders occidentaux souvent muets sur le sujet. «La soif du pouvoir provoque le mépris de toutes les règles élémentaires d'une bonne gouvernance, utilise l'ignorance des populations, manipule les différences politiques, ethniques, tribales et religieuses et installe la culture du guerrier comme héros (…)» lit-on dans l'Instrumentum laboris. Ou encore : «Les multinationales ne cessent d'envahir graduellement le continent à la recherche des ressources naturelles. Elles écrasent les compagnies locales, achètent des milliers d'hectares expropriant les populations de leurs terres avec la complicité des dirigeants africains.»

Le Pape n'a pas non plus ménagé les responsables de l'Église africaine qu'il voudrait exemplaires. Il les a appelé à lutter contre les démons du «tribalisme» qui touche aussi les chrétiens. Il leur a demandé d'éviter «toute dichotomie entre ce qu'ils enseignent et la vie qu'ils mènent tous les jours», ce qui ne cache rien des problèmes internes de cette Église.

Toute la logique de son message repose sur une idée-force : c'est par l'exemple d'une vie chrétienne accomplie que les catholiques qui pèsent près de 150 millions de personnes sur les 900 millions d'Africains (dont 45 % a moins de 15 ans) pourront, là où ils sont, aider ce continent à éloigner le spectre des guerres civiles et ethniques.

Il estime que l'Église catholique a la responsabilité d'insuffler cette culture de paix, ou «théologie de la fraternité» chère au défunt cardinal béninois Bernardin Gantin qu'il a cité. Et c'est en cette direction qu'il entend stimuler cette Église contradictoire, mais florissante qui refuse des candidats pour des séminaires déjà pleins.

D'où enfin, une remarquable main tendue vers l'islam africain - à trois reprises cette semaine - et un avertissement sévère aux sectes et aux pratiques de sorcelleries qui enferment les gens dans «la peur». D'où, également, un appel sans précédent de justice, comme dimanche, en fin d'après-midi, lancé par un pape souriant et totalement détendu devant une assemblée exclusivement féminine, pour que «la femme africaine» soit vraiment respectée, non sujette à l'exploitation ou à la violence, et reconnue, pour son rôle majeur au sein de ces sociétés pauvrement villageoises ou misérablement sous-urbaines, mais qui tiennent souvent à bout de bras… maternels.

Ces messages de poids auront-ils une portée ? Peu, au plus haut niveau, l'Église le sait. En 1994, les évêques africains avaient envoyé les résultats du premier synode africain aux 57 présidents de la République : un seul avait répondu ! Mais jeudi, à Yaoundé, Marcelline Mange, une jeune femme rétorquait : «En Afrique, quand quelqu'un est âgé, c'est beaucoup. Quand quelqu'un est prêtre ou évêque, c'est beaucoup. Alors pour le Pape… Il ne peut pas y avoir de mal en lui : notre vie va changer au Cameroun !» De fait, à voir les visages réjouis partout où cet avocat de l'Afrique est passé, sa visite, sauf le deuil de l'accident du stade, a été une fête pour les milieux catholiques et populaires. Une joie palpable qui reste pourtant le facteur le plus difficile à mesurer. Il faut aussi l'inscrire au bilan du voyage, même si ce réconfort et cette espérance ne changent pas la rudesse de la vie : en Angola, premier producteur africain de pétrole, la population sous le seuil de pauvreté atteint 83 % ; et plus de 40 % au Cameroun.



Une rupture symbolique

En Occident, en revanche, c'est un autre voyage de Benoît XVI qui a été perçu. Comme s'il y avait eu deux voyages, l'un réel, avec les Africains, l'autre ­virtuel pour les Occidentaux. Ce qui a aussi provoqué une rupture symbolique, dont deux sondages publiés ce week-end en France donnent une idée : 43 % des Français seraient pour «le départ du Pape» selon le Journal du dimanche et 55 % auraient une «mauvaise opinion» de lui, selon Le Parisien.

Sauf que ces deux sondages ont fait réagir l'opinion sur des propos mal interprétés de Benoît XVI dans le contexte déjà chargé des affaires Williamson et de l'avortement brésilien. Le premier propos portait sur le sida et le préservatif. En isolant de son contexte une phrase, des agences de presse ont fait dire au Pape qu'il pensait que «le préservatif aggravait le problème du sida» alors qu'il mettait plutôt en doute l'efficacité des campagnes uniquement fondées sur le préservatif. Dans une seconde dépêche, une phrase du Pape contre l'avortement a été interprétée comme «un refus de l'avortement thérapeutique» alors que le Pape n'en a absolument pas parlé et que l'Église le permet dans certains cas, comme l'a expliqué le Vatican dimanche.

Si la presse a sa responsabilité, beaucoup de spécialistes qui suivent ce voyage se sont toutefois demandés pourquoi le Vatican et le Pape traitaient de sujets aussi graves que le sida ou l'avortement en aussi peu de mots et aussi peu de temps.
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Départ de Rome Images de la messe à Luanda