Rechercher:

Pages spéciales:

Page d'accueil

Vatileaks

Consistoire

Mexique et Cuba

Rétrospective 2011

Benoît XVI sur le Rhin

JMJ de Cologne, 18 août 2005

Le naufrage du navire de croisière "le Concordia" n'est pas qu'un fait divers, et Mario Palmero prend le large, nous offrant une réflexion magnifique dans son éditorial de La Bussola. [Image ci-contre: le capitaine de NOTRE navire] (17/1/2012)

Pour tout savoir sur le naufrage du Concordia au large des côtes italiennes, rendez vous dans les pages actualités d'Internet. Vous y trouverez en particulier le portrait au vitriol d'un commandant de bord incompétent et lâche (il l'est peut-être, je ne juge pas, ne le sachant pas) dont le proccès est déjà instruit avant même que l'enquête ne soit sérieusement commencée. Une enquête qui pourrait durer des années, mais les medias sont pressés, et la présomption d'innocence ne vaut que pour certains.
Il est rafraîchissant, purifiant pour l'esprit de lire ce magnifique commentaire de Mario Palmero sur la Bussola, qui élève le débat, et tente de voir plus loin. Les limites de la technologie, l'attitude qu'on peut avoir face à une catastrophe inimaginable (a-t-on le droit de jeter la pierre à un homme qui a failli par lâcheté? après tout, la lâcheté est un sentiment bien humain, et les petits journalistes qui se déchaînent contre lui, auraient-ils été plus courageux, dans une telle situation? et qui de nous peut s'en targuer, la main sur le coeur?), l'héroïsme et l'abnégation qui se révèlent comme on l'a déjà vu à Tchernobyl, le 11 septembre 2001 dans les tours jumelles, et à Fukushima, le caractère indépassable, incontournable (et insondable) du facteur humain.
Et surtout, le naufrage du Concordia est une parabole, sur la nécessité, en temps de crise, d'avoir un capitaine qui accepte d'être le dernier sur le bateau, pour servir, qui n'abandonne pas le navire et sait prendre les mesures qui s'imposent, dans la tempête.
L'Eglise, ce capitaine-là, elle l'a: c'est le Pape!

Le titre de l'article me semble reprendre celui d'un poème célèbre de Walt Whitman écrit en 1865, en hommage à Abraham Lincoln, qui venait d'être assassiné (1).

Capitaine, mon capitaine
Mario Palmaro, La Bussola
17/01/2012
-------------
Le naufrage du Concordia au large de l'île de Giglio est une pilule amère dure à avaler. Pas tellement parce que les navires ne peuvent pas couler à pic: cela arrive de temps en temps, pour des raisons que nous considérons comme respectables, voire inévitables, comme une tempête furieuse ou une défaillance mécanique. Mais l'histoire du Concordia est quelque chose de complètement différent.

Il est de règle que ce ne soit pas aux journaux de faire les procès, et dans ce cas aussi, il serait bon d'attendre les résultats de l'enquête. Mais nous pouvons commenter les faits révélés par les journaux, pour affronter le nœud le plus important de toute cette histoire: le comportement du capitaine. Qui a entièrement le droit de se défendre, et qui ne mérite pas d'être lynché par les médias. Cependant, certains aspects de sa conduite présumée - dans l'attente de démentis et d'explications toujours possibles - méritent un commentaire.

La première réflexion concerne l'erreur humaine: un navire important et prodigieux comme le Concordia semble fait justement pour oublier le rôle que l'homme continue de jouer dans la réalité. La technologie - et pire encore la techno-science - tendent à nous faire surestimer les facteurs mécaniques, et à rabaisser l'importance de l'acte humain. Le résultat est que les navires insubmersibles, les avions supersoniques et les banques infaillibles continuent respectivement à couler, à tomber, à faire faillite. Dans ce jeu tragique et fascinant qu'est la vie, la liberté humaine, le génie, la légèreté, le courage et la lâcheté du cœur de l'homme continuent à être décisifs. Des instruments sophistiqués, des systèmes informatiques incroyablement complexes, des matériaux de science-fiction ne peuvent rien par rapport au facteur humain. A partir d'aujourd'hui, il sera bon de se le répéter chaque jour, un peu comme le "memento mori" (ndt: souviens toi que tu mourras) de la sage tradition catholique.

La deuxième idée est liée par un double fil à la première, et se rapporte à la pratique de la vertu dans les situations d'urgence. Lorsque quelque chose de terrible, d'absolument nouveau et de jamais expérimenté se produit - comme le début du naufrage du bateau de croisière que vous commandez - vous êtes confronté à la nécessité de prendre des décisions rapides, dont dépendent la vie de nombreuses personnes, et surtout la vôtre. Là aussi, la technique de la prévention du risque peut faire beaucoup, en établissant des procédures, et en vous forçant à vous entraîner à les exécuter.
Mais entre un exercice d'évacuation et un navire en train de couler, il y a vraiment une différence énorme, presque la même qui court entre la théorie et la vie.
Le capitaine d'un navire - c'est proverbial - sait qu'il doit être le dernier à quitter sa créature, pensant d'abord à tous les autres. Celui qui pense qu'il est facile de le faire est un imbécile. Mais c'est ce qui est attendu de celui qui commande un navire.

Comment peut-on faire pour se préparer au moment terrible de l'urgence absolue? Notre histoire humaine et religieuse nous dit que les vertus ont besoin d'être endurcies par l'entraînement et la volonté, qu'il faut suivre tous les jours un habitus buono, une familiarité constante avec le bien. Et ceci est aujourd'hui un discours qui est devenu impopulaire, non seulement pour les capitaines des navires, mais aussi pour les économistes, les opérateurs de bourse, les médecins, et toutes les catégories que vous pouvez imaginer. Peut-être qu'un capitaine qui s'enfuit avant les autres nous fait peur parce qu'il nous fait réaliser combien peu nous sommes aujourd'hui prêts à nous sacrifier pour les autres, où que ce soit.

Troisième réflexion: dans cette tragédie du Concordia, il y a énormément de gens qui ont agi d'une façon digne d'éloges, voire héroïque, s'attardant sur le navire et risquant la mort, ou - qui sait - la trouvant même. Et cela prouve, encore une fois, que le bien est possible, même quand tout autour de vous chavire, s'écroule, coule et que peut-être vous vous sentez en proie à la panique et à la foule hurlant qui vous pousse à vous sauver, - tant pis pour l'altruisme. Ce mystère qu'est l'homme est vraiment quelque chose de plus profond qu'un ensemble de connaissances techniques sur le sauvetage; c'est bien plus qu'un faisceau de muscles, de vaisseaux sanguins et d'humeurs internes activées par l'énergie corporelle. L'homme est son âme.

Quatrième et dernière considération: même au XXIe siècle, à l'ère du débat, de la confrontation, du régime d'assemblée et de la démocratie comme principe sacré; même dans ce scénario, nous avons encore besoin de capitaines. Lorsqu'il y a besoin de décisions rapides et sûres, de garantir le bien commun, de conduire une communauté vers le salut, nous avons besoin de quelqu'un qui commande, et qui entende le commandement comme un service aux autres. Quelqu'un qui, se faisant le dernier, prenne cependant la responsabilité de décider. C'est une leçon pour les institutions laïques.

JMJ de Sidney

Mais ça l'est aussi pour la communauté catholique. Laquelle a bien un capitaine - le Pape ! Le genre de capitaine qui, sur la barque de Pierre - comme tout souverain pontife - reste jusqu'à la fin, coûte que coûte. Et si l'équipage veut aussi l'aider, tant mieux!

Notes


Des images du capitaine de la barque de Pierre sur le Rhin en août 2005 à Cologne ici: http://esprit-photo.com/

* * *

(1) Ô Capitaine ! Mon Capitaine !

Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! Notre voyage effroyable est terminé
Le vaisseau a franchi tous les caps, la récompense recherchée est gagnée
Le port est proche, j'entends les cloches, la foule qui exulte,
Pendant que les yeux suivent la quille franche, le vaisseau lugubre et audacieux.
Mais ô cœur ! cœur ! cœur !
Ô les gouttes rouges qui saignent
Sur le pont où gît mon Capitaine,
Étendu, froid et sans vie.

Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! Lève-toi pour écouter les cloches.
Lève-toi: pour toi le drapeau est hissé, pour toi le clairon trille,
Pour toi les bouquets et guirlandes enrubannées, pour toi les rives noires de monde,
Elle appelle vers toi, la masse ondulante, leurs visages passionnés se tournent:

Ici, Capitaine ! Cher père !
Ce bras passé sous ta tête,
C'est un rêve que sur le pont
Tu es étendu, froid et sans vie.

Mon Capitaine ne répond pas, ses lèvres sont livides et immobiles;
Mon père ne sent pas mon bras, il n'a plus pouls ni volonté.
Le navire est ancré sain et sauf, son périple clos et conclu.
De l'effrayante traversée le navire rentre victorieux avec son trophée.

Ô rives, exultez, et sonnez, ô cloches !
Mais moi d'un pas lugubre,
J'arpente le pont où gît mon capitaine,
Étendu, froid et sans vie.


Walt Whitman.