Cette lumière sur les visages des détenus

Témoignage - écrit le 28 février - de Paola Severino, ministre de la justice du gouvernement Monti, qui avait accueilli le Saint-Père dans la prison romaine de Rebibbia, le 17 décembre 2011 (10/3/2013)

Le 17 décembre 2011, Benoît XVI visitait la prison de Rebbibia.
Andrea Tornielli, sur son blog, titrait "Le Pape rend visite à Jésus derrière les barreaux". Et il écrivait: "La rencontre à Rebibbia est une des pages les plus belles du Pontificat".

Et c'est vrai que ceux qui, comme moi, avaient regardé le direct, à la télévision, avaient eu le sentiment d'assister à un moment où le ciel s'entr'ouvre.
J'avais essayé à l'époque de transmettre - bien maladroitement - mes sentiments (benoit-et-moi.fr/2011-III/):

Le Saint-Père a reçu un accueil triomphal. Une longue ovation, et des cris de Viva il Papa, l'ont accueilli lorsqu'il a fait son entrée dans la chapelle de la prison.
Après les discours de bienvenue du Ministre de la justice, et de l'aumônier (qui a rapporté un rêve qu'il avait fait, du Pape venu leur rendre visite "sans suite", le jour du 15 août), il a lui-même prononcé un discours, commençant par ce rappel de l'Evangile de Saint Mathieu, qui est, a-t-il dit, le sens de sa visite. "J'étais en prison et vous êtes venu me trouver".
"Je voudrais, a-t-il dit, me mettre à l'écoute personnelle de chacun de vous, mais cela n'est pas possible. Je suis pourtant venu vous dire que Dieu vous aime d'un amour infini".
...
Son auditoire de gens "simples" a su reconnaître dans ses paroles, bien mieux que les publics plus "éduqués", souvent blasés, la profondeur de la vérité et la sainteté de l'homme, et les caméras se sont attardés sur des visages en larmes. Pierre visitait vraiment les plus petits, les humbles, les bafoués (dans ses répliques, il n'a fait ni démagogie ni "buonisme" facile, expliquant que le péché avait une double dimension, l'une verticale, dans la relation avec Dieu, et là, si l'on se met à genaox, Dieu pardonne, mais l'autre horizontale, "sociale", dans le mal fait à la communauté).
Finalement, il a su apporter avec lui, l'espace d'un matin, la joie et la fête.
...

J'avais traduit, dans la foulée, l'extraordinaire séquence de questions-réponses avec les détenus .

>> A relire aussi l'interviewe de l'aumonier de la prison, et le beau reportage de Zenit:

---

Le ministre de la justice, Madame Paola Severino, qui lui avait souhaité la bienvenue, et qui venait de prendre ses fonctions dans le gouvernement Monti, a écrit une tribune d'hommage dans Il Messagero, juste au lendemain de l'annonce de la démission.
Il va de soi que par rapport aux lecteurs italiens, nous avons l'avantage - ou l'infortune - de ne pas connaître la personne, ce qui nous permet de lire son témoignage en faisant abstraction de ses prises de position publiques. Mais de toutes façons, un tel témoignage serait impensable dans la "socialie" où nous vivons.

Ma traduction:

     

Cette lumière sur les visages des détenus
Il Messagero, 28 février 2013
Paola Severino
-------------------
J'ai eu la chance de rencontrer le pape Benoît XVI au début de mon mandat en tant que ministre de la Justice, et la rencontre a profondément marqué le chemin que j'ai parcouru dans les mois suivants et que je vais continuer à parcourir jusqu'à la fin de mon mandat.
Tous ceux qui étaient à Rebibbia en ce jour de Décembre ne pourront jamais oublier les sentiments profonds qui ont accompagné la visite, et tous ceux qui ont suivi l'événement à, travers les médias continuent à me demander: mais si nous avons été tellement émus en voyant et en entendant ce qui se passait dans l'église de la prison, qu'avez-vous éprouvé, vous qui étiez plongés dans cette foule de personnes en souffrance, mais en même temps, confiantes?

Il n'est pas facile de donner une réponse qui ne semble pas rhétorique, mais je pense qu'il est juste de le faire - précisément le jour de la résignation - pour souligner le profil d'un pape qui est apparu à beaucoup davantage en sa qualité de théologien qu'en celle de pasteur d'âmes (ndt: toujours le tragique malentendu qui court en fil rouge tout au long du pontificat).

Nous étions entourés par des personnes accusées ou reconnues coupables de délits graves, mais nous ne nous en apercevions pas; nous étions avec des délinquants, parfois dangereux, mais nous ne nous sommes jamais sentis en danger; nous étions parmi des gens simples, mais qui ont su exprimer leur douleur et leurs espoirs avec la maturité de ceux qui ont construit leurculture dans une cellule; nous étions avec un professeur de théologie qui a su répondre, sans aucune mise en scène préparée à l'avance, aux questions des détenus, dans un langage compréhensible à tous, et capable d'apporter un soulagement aux nombreuses personnes qui lui demandaient la raison de souffrances et d'injustice sans fin, dans la prison et au-delà.

Difficile de réfréner une émotion et un transport humain qui nous liaient d'un lien profond, qui pour moi ne s'est plus rompu, à cette humanité souffrante.
Impossible de ne pas percevoir, chez un Pape qui a souvent été considéré comme un intellectuel froid, la chaleur d'un homme bien conscient de la nécessité et de la possibilité de traduire le message de l'Evangile dans un message aux gens ordinaires (ndt: même remarque).
Difficile de ne pas comprendre que ces hommes et ces femmes que la société a dû éloigner et priver de leur liberté n'attendent qu'un signal, un moyen pour être accueillis à nouveau dans la société après avoir purgé leur peine.

Il est clair que dans cette rencontre se traçaient deux chemins différents, mais parallèles: celui de l'autorité religieuse, qui apporte le réconfort de la foi; et celui de l'autorité laïque, qui apporte le réconfort de la légalité. Dans les deux cas, la ferme conviction que le rachat d'une part, et la re-socialisation de l'autre, représentent le seul moyen de conjurer la possibilité de rechute dans le crime et de la réduire à ces proportions minimes que des études récentes ont montrées.

Plusieurs fois, après la rencontre, j'ai pensé au singulier parallèlisme entre ce que j'ai vu dans ce lieu palpitant d'émotions et de sentiments, et ce qui est représenté sur les murs de la froide et rigoureuse salle de la Via Arenula (ndt: siège du Ministère de la Justice, à Rome), destinée au bureau du ministre de la Justice.
La scène de la rencontre entre l'Église et l'État, peinte à l'occasion des pactes du Latran, avec le ton épique et célébratif typique de l'époque, est à comparer avec notre rencontre dans la prison, qui s'est développée avec les tons simples et vrais de qui parle avec le cœur. Dans les deux représentations, bien que de manière différente, on pouvait pourtant entrevoir un chemin très convergent, entre l'Etat qui prend en charge les besoins du détenu, essayant de le rééduquer, et l'Église qui en soutient l'esprit, essayant de l'éloigner de la voie du péché. Sans surprise, dans le discours du Pape, il a été fait plusieurs références à notre gouvernement, et des concepts laïcs et religieux ont fusionné dans un cadre unique, tel que ceux d'«aider à se retrouver soi-même, dans la réconciliation avec soi-même, avec les autres, avec Dieu, afin de revenir dans la société et contribuer à l'avancement de la société».

Dans ce contexte, il n'y avait pas de place pour des interventions solennelles ou célébratives.
Le choix, de ma part, de ne pas prononcer un discours officiel, mais de lire la lettre de «mon premier détenu» retrouvée dans une poche, le jour même où je m'apprêtais à écrire le texte, m'a semblé si naturel et a été si profondément compris et partagé, que j'ai pensé que c'était le seul moyen de communiquer de manière directe les sentiments et les émotions que nous avions tous en commun.

Encore plus direct et inattendu, le choix de Benoît XVI de répondre aux questions des prisonniers avec des concepts simples et compréhensibles, mais non moins profonds, non moins médités, non moins inspirés à de profondes valeurs théologiques et philosophiques.
Quand un détenu du Bénin lui a demandé «pourquoi dans mon pays, parmi les plus pauvres du monde, en dépit de la foi et l'amour en Jésus, les gens meurent-ils de la pauvreté et de la violence? Peut-être que Dieu entend seulements les riches et les puissants qui n'ont pas la foi?», je me suis demandée à mon tour, «mais il y a une réponse adéquate à une question si difficile?».
Et la réponse est venue forte, claire, convaincante, droit au cœur et à l'esprit, en dépit de sa complexité théologique: dans un pays qui souffre comme l'Afrique, «j'ai vu la joie et l'allégresse plus que dans les pays riches comme l'Europe, où la masse des choses que nous avons nous éloignent de plus en plus du vrai sens de la vie».

Aujourd'hui que le pape renonce à son mandat, nous laissant comme il a été écrit dans un très bel éditorial le souvenir d'une «fragile grandeur», me passent devant les yeux les visages des milliers de détenus que j'ai rencontrés au cours des mois suivants et la lumière d'espoir qui paraissait chez chacun en se rappelant de la visite de Rebibbia.

C'est pourquoi, aujourd'hui, alors que s'intensifient les polémiques et les interrogations sur le sens de son choix, j'ai voulu me souvenir de lui pour ses grandes qualités humaines et spirituelles et pour le réconfort qu'il a apporté à une partie faible et souffrante de l'humanité.