Kasper versus Ratzinger

Deux théologiens allemands, deux conceptions de la direction de l'Eglise. Une réflexion de JL Restàn, traduite par Carlota (8/3/2013)

>>> Voir aussi: Les medias et le Conclave: une caricature!
>>> Et aussi l'interviewe de Kasper par Paolo Rodari, qui est le point de départ de la réflexion de JL Restàn: www.paolorodari.com (traduction ici)

     

Le cardinal Kasper (1) participe au conclave "sur le fil", puisqu'il vient tout juste d’atteindre son 80e anniversaire.
Pour lui, ce qui prime depuis toujours, ce sont les questions structurelles et de gouvernement (d’une certaine façon, le point de vue des medias), alors que Benoît XVI a toujours mis en avant la crise de la foi et la nécessité de remettre le Christ au centre.

     

(Carlota, 8 mars 2013)

Je suis en ce moment particulièrement horripilée par les médias et peut-être plus encore ceux spécialisés « religions » qui avancent leur cardinal papabile en fonction de leurs goûts (ceux des journalistes) plus ou moins progressistes, de leur nord-américanophilie ou de leur mélano-épidermophilie, de leurs grandes réflexions géostratégiques entre l’Asie en pleine essor et l’Occident qui se meurt, sans oublier leur détestation unanime de ce qui est italien et d’une curie qui ne pourrait être que la digne héritière des Borgia à la légende noire savamment orchestrée, comme si les Papes de la Renaissance face aux multiples dangers (y compris ceux des galères et cimeterres mahométans), n’avaient pas eu, malgré leurs imperfections humaines, des qualités indispensables pour l’Église et n’avaient jamais transiger sur les dogmes catholiques.
À chaque époque son Pape et tous ces interventions de journalistes ne font que faire grandir la division et le ressentiment en transformant un acte grand et solennel en mesquines et basses ambitions, mais sans doute ne parle-t-on bien que de ce que l’on connaît bien...
Je suis certainement trop sévère car nous sommes évidemment libres de nous interroger, mais n’y a-t-il pas aussi des moments où le silence est la plus grande des libertés, même si je peux admettre que le gagne pain des journalistes consiste aujourd’hui à produire des mots pour des consommateurs de mots.
Mais peut-être que finalement, parmi ces quelques 5000 envoyés spéciaux, certains vont-ils être touchés par la grâce (et ceux qui les lirons ou écouteront) et entendre parler le Christ au fond de leur cœur - les chemins de la providence sont toujours tellement inattendus…

Ma longue digression pour introduire le dernier texte de l’irremplaçable spécialiste espagnol de Benoît XVI José Luis Restán qui revient sur deux prélats allemands… et restitue le vrai centre de gravité de l’Église.
On comprend évidemment pourquoi l’un fut élu, et pas l’autre, pour la gloire de Dieu et de son Église.

     

Le centre de gravité de l’Église
Texte original : www.paginasdigital.es
JL Restàn
----
Walter Kasper, au bord de ses quatre-vingts ans a été surpris par le Conclave. La providence lui a donné ce moment historique quand il profitait déjà de sa retraite. Sa longue relation avec Joseph Ratzinger donne un éclairage à un long morceau de la récente histoire de l’Église.

Tous deux ont été de jeunes et brillants théologiens qui ont pris part à l’enthousiasme conciliaire, tous deux voyaient la nécessité de renouveler la théologie, en revenant aux sources pour l’un, en dialoguant avec la modernité pour l’autre. L’ouverture intellectuelle et l’absence de formalisme leur ont permis d’alterner coïncidences et de divergences sans dissimulation, même quand tous deux portaient déjà la pourpre cardinalice.

Kasper a mis toujours mis l’accent sur les questions structurelles et disciplinaires. Il est préoccupé par la question des relations entre le Pape et les évêques (plaidant pour moins de centralisme et plus de collégialité), la participation des laïcs dans les structures ecclésiastiques et aussi des thèmes comme la participation à la communion eucharistique des divorcés remariés (ndr civilement). Ce ne sont pas des sujets mineurs et son collège Ratzinger n’a jamais évité le dialogue à leur sujet. Mais il est certain qu’il mettait le centre de gravité sur « autre chose », sur la substance de la foi. Quand Kasper parlait de crise il insistait sur la nécessité de moderniser la machinerie, de rendre plus flexible la norme…alors que Ratzinger-Benoît XVI insistait sur la fatigue et la faiblesse de la foi. Bien sûr les deux choses ne sont pas incompatible, pour aucun des deux elles ne l’ont été, mais chacun avait sa clef à l’heure d’interpréter la partition.

Quand Joseph Ratzinger a été appelé en 2005 sur le trône de Pierre beaucoup ont gambergé sur l’avenir de Kasper à la Curie. Durant des années il avait dirigé le Conseil Pontifical pour l’Unité des Chrétiens avec une sensibilité pas toujours concordante avec le nouveau pape. Mais Benoît XVI l’a confirmé dans sa charge et l’a maintenu cinq ans à son côté, c’était sa grandeur d’âme et d’esprit.

Maintenant Kasper est revenu à Rome, et dans l’entretien accordé au vaticaniste Paolo Rodari dans le journal La Repubblica (texte ici) il répète son programme : dé-centralisation, extension de la collégialité à tous les niveaux de l’Église, réforme copernicienne de la Curie, révision de la norme qui empêche les divorcés remariés de recevoir la communion. Je le répète, ce ne sont pas de sujets mineurs. Mais curieusement Kasper ne mentionne pas, ou à peine, la fatigue de la foi en Occident, la faiblesse éducative des communautés chrétiennes ni le défi de communiquer la foi dans un monde marqué par le nihilisme.

Il va de soi que la position qu’incarne Kasper est complètement légitime (???) et représente sûrement une sensibilité présente dans le futur Conclave: celle de ceux qui mettent en avant la solution des problèmes structurels et de gouvernement interne ; spécialement après la crise de Vatileaks et les disfonctionnement détectés à la Curie. Et celle de ceux qui insistent, cinquante ans après, sur la nécessité de redimensionner le « centre » de l’Église.

Précisément en Allemagne, patrie commune des deux protagonistes de cet article, Benoît XVI a prononcé des phrases qui à mon avis éclairent ce débat : « Nous voyons que dans notre monde occidental opulent, il y a des manques. Beaucoup ont besoin de l’expérience de la bonté de Dieu. Ils ne trouvent pas de point de contact avec les Églises institutionnelles et leurs structures traditionnelles (ndt: dans le sens d’établies aujourd’hui pas dans le sens de la Tradition). Mais pourquoi ? Je crois que c’est une question sur laquelle nous devons réfléchir très sérieusement… En Allemagne l’Église est organisée d’une manière optimale. Mais à l’intérieur des structures, y a-t-il une force spirituelle correspondante, la force de la foi dans le Dieu vivant ? Nous devons dire sincèrement qu’il y a un déséquilibre entre les structures et l’Église. Et j’ajoute : la véritable crise de l’Église dans le monde occidental est une crise de la foi. Si nous n’arrivons pas à une véritable rénovation de la foi, toute réforme structurelle sera inefficace » (ndt: Rencontre avec le laïcat catholique allemand - ZDK -, Séminaire de Freiburg im Breisgau, Samedi 24 septembre 2011 www.vatican.va/).

Dans une dernière réflexion sur le centre romain, Benoît nous a montré une manière d’exercer le ministère de Pierre dans lequel le centre ne phagocyte ni n’absorbe les différents éléments du corps ecclésial. Il a été un centre fort par rapport à la substance doctrinale et à la persuasion du témoignage, mais jamais un centre impérial ou envahissant.

C’est aussi en cela que le pontificat de Joseph Ratzinger laissera un sillage. Il est juste de revendiquer la collégialité que conçoit le Concile, mais sans un centre comme celui que nous avons vu en action, une soi-disant collégialité se diluerait. Paradoxes de la modernité. Cette époque du mondialisme et des réseaux sociaux a doté la papauté d’un plus grand poids et de plus de responsabilités, au lieu de le diminuer. Ne fallait-il pas écouter les signes des temps ?

--

Note complémentaire de traduction:
J’ajoute pour finir que si j’ai lu d’abord puis traduit José Luis Restán, c’est parce qu’il m’a semblé tout de suite qu’il avait eu l’intuition de l’immense Restauration de la Foi entreprise par Benoît XVI, en allant rationnellement à l’essentiel et donc en travaillant pour l’Église du Christ et pas celle que nous voudrions qu’elle soit, même si nous ne comprenons pas toujours tout du dessein de Dieu.

     

Note

(1) A propos du cardinal Kasper, je relis le récit par Peter Seewald , dans sa biographie de 2005, Benedikt XVI, Ein Porträt aus der Nähe, de l’annonce de l’élection de Benoît, ce fameux 19 avril 2005 :
---

En ces instants où la fumée blanche tant attendue montait dans le ciel, j'avais le sentiment d'être littéralement debout sur les nuages.
Mais il ne m’a pas fallu longtemps pour revenir sur terre. Pas plus tard qu'avec l'émission spéciale de la ZDF, pour laquelle un réalisateur m'avait invité sur le toit des studios dans la Via della Conciliazione, l'amère réalité s'était déjà dressée entre le ciel et la terre. Au cours de l'émission, on montrait les visages de tristes Allemands dans les zones piétonnes. Ils étaient tristes, car à leurs yeux un si triste allemand avait été élu. Le présentateur était également triste. Et les cardinaux allemands Lehmann et Kasper, qui étaient assis à côté de moi à ma gauche, n'avaient pas vraiment l'air d'avoir tiré le billet gagnant. Ce n'est que grâce à un très grand effort qu'ils réussissaient à garder un visage poli.