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Amateurisme (suite)

Eugenio Scalfari a donné hier rendez-vous à la presse internationale, au Vatican, pour expliquer la genèse de la fameuse interviewe du Pape, qui a finalement été retirée du site du saint Siège. Compte-rendu de première main (22/11/2013, mise à jour le 24)

Un journaliste italien, Giuseppe Rusconi, qui a assisté à sa conférence de presse (et qui, à ma connaissance, est le premier à en avoir référé) en fait un compte-rendu minutieux sur son blog Rossa porpora.

>>> Voir aussi:
¤ Amateurisme
¤ Scalfari le destinataire de la lettre du Pape

L'évangile de Scalfari

Titres de La Repubblica, le 1er octobre 2013: Non au prosélytisme; l'Eglise a le devoir de s'ouvrir à la modernité; le Bien et le Mal

* * *

Le vaniteux Scalfari... fait du Scalfari - c'est-à-dire qu'il se met en valeur, et prend de larges libertés avec la vérité - et on n'a aucune raison de le croire davantage aujourd'hui que le jour où il a publié sa version de son entretien avec le Pape. Mais si moi, qui suis un amateur, et en plus même pas italienne, je le connais depuis des années pour ce qu'il est, pour sa haine de l'Eglise en général, et de Benoît XVI en particulier, qu'il avait osé traiter de "médiocre théologien" (sans parler du "Libé" transalpin dont il est le "fondateur"!), qu'aurait-il dû en être des fonctionnaires des Palais Sacrés, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils ont fait preuve d'une légèreté coupable en lui accordant leur confiance?

Par ailleurs, la confession de Scalfari (en gros, «j'ai fait dire au pape ce qu'il n'a pas dit») n'est rien de plus de sa part qu'un investisement sur l'avenir: espérant obtenir une nouvelle interviewe, qui "boostera" ses ventes et surtout assurera sa gloire, ou au moins flattera sa vanité, il a toutes les raisons de ne pas laisser s'élever un conflit, y compris au prix de quelques concessions de forme.
Quant à ceux qui veulent nous faire croire que Scalfari a trompé le Pape, ce sont des naïfs... ou des faussaires. Je n'imagine pas que ce soit le pape qui soit naïf, et de toute façon, on ne peut pas être piégé par un Scalfari. François n'a rien fait pour corriger les erreurs du fondateur de «La Repubblica», il a même donné son imprimatur, et à deux reprises. Il est trop facile de dire qu'il n' a pas relu le texte, que pour lui cela ne compte pas et qu'il a des choses plus importantes à faire que de relire la prose de Scalfari: reste que cette prose s'est servie de ses paroles, qui elles, engagent rien moins que la Papauté.
Ce qu'il y a de grave, du point de vue du symbole, c'est que le fondateur ait eu les honneurs de la première page du journal du pape.
Aujourd'hui, même avec un rectificatif tardif, ce qui a été écrit restera.
Et on peut se demander s'il y aurait même eu un rectificatif, sans les doutes et les critiques en provenance de certains milieux hâtivement catalogués comme intégristes, dans le seul but de les discréditer (je pense à Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro, mais pas seulement).

     

Scalfari: J'ai attribué au Pape certaines choses qu'il n'a pas dites
Giuseppe Rusconi -www.rossoporpora.org
ma traduction
21 Novembre, 2013
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Eugenio Scalfari s'exprimait devant la presse étrangère à Rome, le 21 Novembre. Il a illustré la méthode «créative» de ses interviews. C'est arrivé aussi lors de la conversation récente face-à-face avec le Pape. Mais pour François, ce qui importe le plus, c'est de poursuivre le dialogue avec un non-croyant comme le fondateur de «La Repubblica». Une lettre papale du 23 Octobre va dans ce sens.

Jeudi 21 novembre Eugenio Scalfari s'est rendu au Centre de la presse étrangère (du Vatican), pour répondre aux questions d'une quinzaine de correspondants accrédités. Cela a duré deux heures, suivies très attentivement par les participants: le fondateur de «La Repubblica» a consacré près des trois quarts du temps, à évoquer et à clarifier les origines, les développements, la forme et les contenus de ses relations avec le pape François. Et là, on a assisté à au moins deux moments scalfarens de grand intérêt.

Le premier - en réponse à notre question - quand il a dit que ses entretiens se font sans enregistreur et même sans bloc-notes: «J'essaie de comprendre la personne interrogée, et ensuite, j'écris les réponses avec mes propres mots». Avec le pape François, les choses se sont déroulées ainsi: «Je suis tout à fait disposé à penser que certaines des choses écrites par moi et attribuées à lui, le pape ne les partageait pas, mais je crois aussi qu'il estime que, venant d'un non-croyant, elles sont importantes pour lui et pour l'action qu'il mène».

Deuxième moment de grand intérêt quand Scalfari a donné lecture d'un écrit que lui a envoyé Papa Bergoglio le 23 Octobre (un mois après l'interviewe et trois semaines après la publication sur «La Repubblica»), dans lequel François remercie pour avoir reçu le dernier livre de l'intellectuel 'liberal' (sic) «L’amore, la sfida, il destino» (l'amour, le défi, le destin) disant même avoir «apprécié la dédicace autographe». Le pape ajoutait: «J'aimerais moi aussi que nous nous rencontrions à nouveau pour approfondir les thèmes sur lesquels nous avons commencé notre conversation lors de votre récente visite».
Suit une contre-proposition du fils de saint Ignace, se référant à une proposition d'un nouveau sujet de discussion avancé par l'intellectuel libéral-démocrate: à la place de «Qui a créé le mal?», le pape suggère «Qui a causé le mal?». Et il poursuit: «Nous verrons si la Providence me permet de trouver un moment libre» pour continuer la conversation. La conclusion réclame, comme d'habitude, la prière: François priera pour Scalfari et pour sa «recherche intérieure», et demande à Scalfari de prier pour lui (Scalfari: «Je ne suis pas croyant, alors je ne prie pas, mais je le pense»).

Il faut souligner que, si Scalfari a rapporté de façon «créative» certaines phrases de François, il ne les a pas nécessairement substantiellement déformées. Il les a certes interprétées. Ici, cependant, se pose un problème: pour beaucoup de gens, la parole du pape est un guide précieux: s'ils la voient rapportée entre guillemets, ils en déduisent qu'elle a été effectivement prononcée. L'interprétation, ici - et celle de Scalfari ne fait pas exception - est risquée, puisqu'elle comporte la possibilité de malentendus et de confusion parmi les fidèles. Ce peut être aussi une explication du retrait de l'interviewe scalfarienne du site du Vatican ( www.vatican.va ) qui recueille les écrits pontificaux.

Dans la conversation avec les correspondants de journaux étrangers, Eugenio Scalfari a également dit beaucoup d'autres choses sur le pape François et autour, réévoquant de façon très vivante quelques moments de ses rapports avec lui. Après la publication des deux éditoriaux de questions au Pape (7 Juillet et 7 Août), Scalfari reçoit une lettre de Giovanni Angelo Becciu, sous-secrétaire d'État, dans lequel l'archevêque sarde rapporte que le pape avait lu les articles et répondrait par écrit, mais pas tout de suite parce qu'il avait beaucoup à faire. Remerciements de Scalfari, ajoutant que le fondateur aurait préféré une rencontre face à face.

Plus rien pendant quelques semaines. Mais ... Scalfari était en vacances dans l'Argentario (en Toscane), quand sa femme de ménage équatorienne (!!) l'appelle: «Il est arrivé une lettre avec le tampon du Vatican». «Ouvrez-la». Il y a une feuille, signée par Becciu, dans laquelle il dit transmettre une lettre du Pape François. «Combien de pages?». «Il y a neuf pages».

Scalfari retourne à Rome pour chercher la lettre, datée du 4 septembre dont il prend connaissance. Il téléphone alors à Santa Marta: on lui passe le secrétaire particulier, Mgr Alfred Xuereb («C'est un maltais, avec ce nom, il doit avoir des ancêtres arabes»). Scalfari remercie et préannonce la publication de la lettre papale dans «La Repubblica». Ce qui aura lieu le 11 Septembre. Quelques jours passent et puis, le 20 Septembre, Scalfari reçoit un appel téléphonique de sa secrétaire, avec «la voix toute essoufflée»: «Il y a le pape au téléphone».

Scalfari dit que dans un premier temps, il a pensé que c'était une blague d'un imitateur. Puis, du combiné, sort une «voix unique»: «Sono papa Francesco, buongiorno».
«Santità (*), je suis très confus».
«Pourquoi confus? Vous avez demandé un entretien ... »
Le Pape, dit Scalfari, se parle à lui-même: «Mercredi, non mardi ... est-ce que mardi vous convient? L'horaire n'est pas très commode, 15h00. Si cela ne vous convient pas, nous essaierons un autre jour»
«Non, pas du tout, c'est parfait».
«Il faut que vous veniez à Santa Marta».
«Par où dois-je entrer?»
«Par le Saint-Office, vous trouverez quelqu'un qui vous attendra».

«Santità (*), j'ai lu hier l'interviewe à La Civiltà Cattolica» ...
«Vous l'avez lue en entier?»
«Oui».
«Et vous ne vous êtes pas endormi?»
«Non, cela m'a semblé très important».
Scalfari voudrait embrasser le pape par téléphone. Le pape renvoie à l'accolade physique mardi prochain, le 24 Septembre.

A Santa Marta la conversation dure 80 minutes. A la fin Scalfari demande au pape:
«Santità, vous me permettez de rendre publique la nouvelle de la conversation et aussi de la raconter?».
Et le Pape: «Bien sûr, racontez-la».
Scalfari: «Je vous envoie une copie d'abord».
François: «Il me semble que c'est une perte de temps».
Scalfari: «Cela ne me semble pas du temps perdu. Je reconstruis, vous faites les corrections».
François: «Si vous insistez ... mais, encore une fois, c'est une perte de temps. Je vous fais confiance».

Une fois l'interview (que Scalfari préfère appeler «conversation» ou «dialogue») élaborée, le fondateur [de «La Repubblica»] l'envoie au Pape, écrivant entre autre, en annexe: «Je dois vous dire que j'ai reconstruit afin que l'histoire du dialogue soit comprise par tous. Tenez compte que certaines choses que vous m'avez dites, je n'en ai pas référées. Et que certaines choses dont j'ai référées, vous ne me les avez pas dites. Mais je les ai mises pour que le lecteur comprenne qui vous êtes».
Passent quelques jours, puis j'appelle Mgr Xuereb. «Le pape m'a donné le feu vert pour publication».
Scalfari: «Mais le pape a lu la lettre d'accompagnement?»
«Cela, il ne me l'a pas dit».
«Demandez-lui, s'il vous plaît».
«Ce matin, il est en visite. Il reviendra à deux heures. Je vais vous appelerai après».

En effet, Scalfari est rappelé à deux heures un quart: «Le pape a dit: Redites-lui le OK».
Et le lendemain, 1er Octobre, l'interview / conversation / dialogue apparaît sur «La Repubblica»».
Ainsi parlait Eugenio Scalfari le 21 Novembre 2013, dans la Bibliothèque de la Presse étrangère de Rome, au 83c Via dell'Umiltà..

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(*) Il est assez comique d'entendre Eugenio Scalfari, qui fait publiquement profession de ne croire ni à Dieu ni au Diable (et surtout pas à la "Sainteté" qu'évoque le titre honorifique du pape) de donner du Santità à un certain pape!!!

     

Mise à jour

(24/11/2013)
Je compète cette page après avoir lu le billet d'Yves Daoudal - non pas parce qu'il cite mon article, mais parce qu'il apporte un éclairage tout à fait inédit, et très intéressant (ici).
Il cite l'article du Figaro où Jean-Marie-Guénois affirme que Scalfari a prêté au Pape des propos qu'ils n'a pas tenus, insistant « Sans note et sans enregistrement, Eugenio Scalfari a donc reconstruit une interview, comme il l'a reconnu jeudi à Rome, affirmant qu'il a toujours travaillé comme cela au long de sa brillante carrière. »
Yves Daoudal ajoute:

Mais si Scalfari avait inventé les propos des interviewés, il n’aurait certainement pas fait une « brillante carrière ».

Ce propos de Scalfari n’est en rien une révélation. L’homme est un vieux journaliste, formé à la manière d’un temps où, non seulement il n’y avait pas de magnétophones, mais où l’on apprenait à faire des interviews sans prendre de notes. Le journaliste rentrait tranquillement à son bureau, et là il écrivait l’interview. Il « reconstruisait », comme on dit maintenant. Le fait est que si le journaliste est honnête, cette reconstruction exprime beaucoup plus fidèlement la teneur de l’entretien que des extraits de propos enregistrés. Et si le journaliste est malhonnête, ou simplement s’il n’est pas bon dans cet exercice, il ne fait pas carrière…

Après avoir rédigé son interview, le journaliste soumet le texte à la personnalité interviewée pour qu’elle corrige éventuellement certaines expressions et qu’elle donne son accord pour la publication. Ou non.

Bref, si Scalfari s'est servi du Pape, et a (peut-être), comme je l'ai dit, pris quelques libertés avec la vérité, il n'a pas trahi sa pensée. Et le Pape lui-même n'y a rien trouvé à redire.