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Les cardinaux s'en vont en guerre

Après Sandro Magister et Marco Tosatti, c'est au tour d'Antonio Mastino (sur un ton un peu plus polémique) de se pencher sur les suites du rapport Kasper lors du récent consistoire, en vue du Synode sur la famille (13/4/2014)

>>> Ci-contre: le cardinal Brandmüller (créé cardinal par Benoît XVI lors du consistoire du 20 novembre 2010)

>>> Voir aussi:
¤ La cote du Cardinal Kasper
¤ La cote du cardinal Kasper (2)

     

Les cardinaux s'en vont en guerre

Celle du Synode. Mais Bergoglio, avec qui est-il?
9 avril 2014
Antonio Mastino
www.qelsi.it/2014/i-cardinali-vanno-alla-guerra-del-sinodo-ma-bergoglio-con-chi-sta/
(Traduction benoit-et-moi)

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Sainteté, soyez plus aimable!
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Il y a comme un air de tempête au Vatican, mais surtout dans l'épiscopat italien, avec des retombées sur le clergé international. Un néo-prêtre américain est allé chez son évêque et lui a dit: «Excellence, à ce stade, nous devrions tous démissionner, nous les prêtres». Devant la stupeur de l'évêque, il a expliqué: «Pourquoi, aux dires du pape, les prêtres sont-ils tous mauvais? et pourquoi le meilleur de tous, est-ce justement lui? toujours là à nous humilier». Et le Pape est resté pas peu surpris devant la requête d'un bienfaiteur catholique qui, reçu en audience, au rituel «priez pour moi» au moment de prendre congé, a répondu poliment: «Oui, Votre Sainteté: Mais soyez plus gentil avec les prêtres» (1).

La pomme de discorde serait la «partialité» du pape François, et certaines de ses présumées «imprudences et superficialités» doctrinales et homélitiques. Un évêque italien a commencé à l'appeler «Jorge Mario Badoglio» (2). Et tout y passe, sans regarder à la dépense: l'ambition évidente de ceux qui lui sont les plus proches, comme le jeune jésuite Antonio Spadaro, directeur de la Civiltà Cattolica et intervieweur du Pape, liquidé comme «escaladeur prêt à tout» (3); le «patriarche» de la « cordée » diplomatico-curiale, qui a organisé l'élection de Bergoglio, puis a été récompensé avec les meilleures places, le cardinal Sodano, ancien secrétaire d'Etat. De ce dernier, on se souvient de l'homélie de la messe Pro eligiendo romano pontifice en 2013 (www.vatican.va/sede_vacante), avant d'entrer en conclave, qu'il présidait en tant que doyen des cardinaux, et où en plus de dessiner la figure du futur pape, qui ne ressemblait que trop au cardinal Bergoglio, il indiquait également sa tâche future: «promouvoir sans trêve l'ordre mondial» - nouveau ou pas, on l'ignore. Le fait est que la phrase a été immédiatement censurée par l'Osservatore Romano et le site officiel du Saint-Siège (4). Le nouveau secrétaire d'État Pietro Parolin n'est pas non plus épargné: on souligne qu'il «s'apprête à s'installer dans son méga luxueux appartement de la première Loggia, qui jusqu'à Pie XI était l'appartement du pape, et qui depuis, n'est plus habité par les papes», et sardonique, on ajoute qu'il «pourrait rester à l'hôtel cinq étoiles de Sainte Marthe».


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Kasper le menteur
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Mais la bataille rangée n'est pas encore venue: on n'en est qu'aux répétitions. En réalité, les évêques plus ou moins orthodoxes et les piliers du Collège des Cardinaux campent déjà en vue du Synode de l'automne prochain sur la famille, où s'ouvrira également le chapitre sur la communion aux divorcés remariés. Et c'est là qu'ils ont l'intention de déclencher la vraie bataille.
«Ils sont sur le pied de guerre», confirment des sources de la curie.
En première ligne, pour l'Italie, il y aura, le cardinal Angelo Scola, archevêque de Milan, proche de Communion et Libération, dont on dit qu'il est sorti psychologiquement détruit du conclave dont il était convaincu de sortir pape, mais qui maintenant «s'est repris», et est «furieux» (5): contre le cardinal progressiste Walter Kasper, en premier lieu.
Ensuite, il y a le cardinal de Bologne, Carlo Caffara, envoyé en avant pour préparer le terrain avec une interviewe de poids accordée à Il Foglio (journal qui avait déjà eu sa part dans la «bataille», en publiant par anticipation le discours inaugural complet de Kasper sur le Synode pour la famille) où il explique, entre autre, que sur certaines choses, «les papes ont toujours enseigné que le pouvoir du Pape ne va pas jusque là: sur le mariage conclu et consommé, le pape n'a pas de pouvoir». Un avertissement clair à François.

Et puis il y a le vieux cardinal de curie Walter Brandmüller , allemand et ami de Ratzinger, éminent historien de l'Eglise, considéré par beaucoup en odeur de sainteté. Enfin, un autre allemand: le préfet de l'orthodoxie, Gerhard Müller.
C'est de ce groupe de cardinaux qu'est parti le tir de barrage contre le discours inaugural de Kasper, en plein consistoire, en Février, alors que se dessinaient les lignes directrices du futur Synode sur la Famille, en Octobre.

«Ils ont massacré Kasper». Brandmüller en particulier: il a dit devant tout le monde, pour lui faire honte, que Kasper mentait, utilisant des sources patristiques et théologiques qu'il aurait manipulées. Par exemple, en disant que les divorcés communiaient dans l'Antiquité: l'historien de l'Eglise Brandmüller a cité études sur études qui démontrent le contraire, des études faisant autorité, récentes, dont certaines signées par lui. Et il a fait de même avec saint Augustin, qui en réalité réclamait la repentance et la conversion, «manipulé», lui aussi, par Kasper, pour apporter de l'eau à son moulin «idéologique». Ce n'est pas surprenant: le cardinal Kasper est ce théologien libéral qui osa soutenir noir sur blanc que les miracles de Jésus n'étaient rien de plus que de la «mythologie».

À ce stade, le discours d'introduction confié par le pape - créant surprise et alarme dans les secteurs les plus orthodoxe de l'épiscopat - à Kasper a été en grande partie grillé. Et c'est là qu'est intervenue une exception inattendue à la règle, qui a exacerbé encore plus les esprits: le pape est intervenu directement, avec une tirade visant à sauver Kasper et son discours inaugural: «Hier, avant de dormir mais pas pour m'endormir, eh, j'ai lu - j'ai relu - le travail du Cardinal Kasper, et je voudrais le remercier parce que j'ai trouvé de la théologie profonde et aussi une pensée sereine dans la théologie. C'est agréable de lire de la théologie sereine. J'ai aussi trouvé ce que Saint Ignace disait, ce Sensu Ecclesiae, l'amour à la Mère Eglise. Ça m'a fait du bien et il m'est venue une idée, pardon Eminence si je vous fais rougir, mais l'idée, c'est que ça s'appelle "faire de la théologie à genoux". Merci, merci».
Parler ainsi, publiquement, a fait de ces déclarations, en apparence improvisées, une partie du magistère ordinaire.


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Vers les tranchées du Synode
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Une véritable approbation. L'un des évêques présents, agacé, a souligné: «Mais n'est-ce pas le pape lui-même qui nouvellement élu a dit: "Je ne m'occupe pas de théologie, c'est l'affaire des théologiens" ?»
Le cardinal Caffara, entre ses dents, a dû admettre qu'« une guerre contre Jean-Paul II, Paul VI et Ratzinger est en cours; et en particulier contre Humanae Vitae et Familiaris consortio», les deux encycliques fondamentales sur la vie humaine, la contraception et la famille.

Le fait est grave. Le Pape a sauvé Kasper, mais ce faisant, il a également ouvertement pris parti. Et au contraire, «il pouvait et devait se taire», déplorent-ils. Jusque là, on avait cru que le pape avait utilisé le théologien progressiste Kasper pour faire sortir à découvert les thèses libérales de épiscopat d'Europe centrale, avant de les "fusiller" par anticipation, afin de sauver l'enseignement traditionnel de l'Eglise sur le sujet. Mais après la défense inattendue et passionnée de Kasper, il est devenu clair pour tous que le pape lui avait confié le discours inaugural parce qu'il partageait sa pensée. Et sur cette route, à travers son intervention directe, il souhaite conduire et si nécessaire pousser le Synode. Parce que, en lui-même, il aurait déjà mûri une décision. En utilisant cette technique typique des Jésuites, maîtres dans l'art de donner aux assemblées l'illusion que ce sont elles qui prennent, démocratiquement, les décisions, mais en réalité les menant sans qu'elles s'en aperçoivent à ratifier les décisions qui ont déjà été prises par le supérieur. Même Kasper ne serait, dans ce sens, qu'un «pion» de Bergoglio.

Beaucoup l'admettent, mais ils sont loin d'être résignés, au contraire. Ce qui se profile de plus en plus, c'est la troisième voie pour le Synode: le divorce accepté par l'évêque diocésain avec une déclaration extra-judiciaire de nullité matrimoniale. Qui de fait préserve la doctrine par le sophisme, mais en même temps favorise une pratique hétérodoxe.

A cela s'ajoute une autre prise de conscience: «ce n'est que le début». La révolution étant, de par sa nature, «boulimique», soutient-on, ceci n'est que la première étape pour ensuite légitimer «tout le reste», comme l'ont fait les dénominations protestantes en Europe (se dissolvant presque immédiatement). Et telle serait l'intention de l'épiscopat d'Europe centrale: appliquer étape par étape «tous les points de l'agenda libéral», une authentique «mondanisation» de l'Église. «C'est le commencement, oui: le commencement de la fin!», assure un prélat de la Rote romaine.

Et alors on comprend pourquoi dans ce Synode toutes les composantes pensantes de la catholicité (romaine et orthodoxe) campent en attente de la bataille finale. La seule option qu'ils ont est de se préparer pour le Synode Octobre, par avance: conscientes que derrière le masque exsangue de l'octogénaire Kasper, comme ils l'avaient soupçonné avant de le lui arracher, il pourrait y avoir le pape. Et c'est leur vrai problème.

Mais comment jouer par anticipation face au «monstre» médiatique de François? En sensibilisant les catholiques militants avec des interventions des fers de lance de l'intelligentsia catholique orthodoxe, laïcs et cardinaux inclus: avec des interventions et des interviews ciblées. Et ils ont en effet commencé à parler, comme en témoigne la longue et touchante interviewe Caffara.
Et pendant ce temps-là, il se passe des choses étranges: tous disent que le pape «est formidable», mais si vous lisez entre les lignes, alors vous comprenez qu'au Synode, ce sera la fin du monde, si tout n'explose pas avant, bien sûr. Une fin du monde verbale, théorique, théologique: «pour éviter les dérives».

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Notes de traduction

(1) Sur la sévérité du Pape envers toutes sortes de catholiques, voir ici: Qui sont les pharisiens?

(2) Du nom d'un maréchal italien qui fut Président du Conseil de Royaume d'Italie après la chute de Mussolini en 1943...

(3) En italien, le mot « cordata » désigne une cordée, càd un ensemble d’alpinistes liés par une corde, mais aussi, au sens figuré, un groupe de personnes qui s’unissent pour s’emparer du pouvoir

(4) Les mots « ordine mondiale» (qui ne figurent pas dans la version officielle écrite) ont bel et bien été prononcés, comme en témoigne la video ici https://www.youtube.com/watch?v=daapCt1-RqQ , vers 13'15

(5) On se souvient que le 5 décembre 2013, le Pape, souffrant, avait annulé la rencontre avec une délégation de Milan, conduite par le cardinal Scola, venue pour l'inviter à l'expo 2015 (http://www.blitzquotidiano.it/politica-mondiale/papa-francesco-cancella-udienza-expo-stanco-schiaffo-scola-1736750/ ).
La délégation avait attendu pendant une heure dans l'Aula Paul VI, avant qu'un collaborateur du Pape ne vienne les informer que celui-ci avait eu "un léger malaise".
Certains ne s'étaient pas privés de parler d'esquive, voire de "claque" à Scola.