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Leonardo Boff veut un Vatican III

C'est ce qu'il affirme dans une contribution à un petit livre regroupant les échanges entre le Pape François et Scalfari (7/8/2014)

     

Les échanges, épistolaires et verbaux, entre Eugenio Scalfari et le pape François, qui culmineront avec la fameuse interviewe du 11 septembre 2013, rendue publique trois semaines plus tard (y compris sur le site du Vatican, sur lequel elle a récemment effectué une série d'entrées/sorties) ont fait l'objet d'un opuscule, traduit en français aux éditions Bayard (sorti en mars 2014), sous le titre «Ainsi je changerai l'eglise», sous-titré "Dialogue entre croyants et non-croyants": 140 pages d'un volume de tout petit format, en gros caractères, avec des hauts de page et des pieds de page imposants, vendus au prix de 14,9 euros (!!).

La dernière partie du livre est constituée par des "Réponses": entre autres, celles de Scalfari (se répond-il à lui-même?), d'Enzo Bianchi, de Hans Küng et de Leonardo Boff.
La contribution de l'incontournable Küng est le texte que m'avait signalé Monique, qui avait été publié sur le site <culture-et-foi> (cf. benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/hans-kueng-le-neo-romain)

J'ai scanné celle de Leonardo Boff, le même qui se réjouit bruyamment via Twitter de la levée de la suspension du prêtre sandiniste annoncée avant-hier (A peine pardonné, le P. D'Escoto tape sur Wojtyla).
Bien sûr, on dira une fois de plus que Boff prend ses désirs pour des réalités, qu'il "déforme" François à son profit. Mais en réalité, les gens qui disent cela n'en savent pas plus que moi.

Les soulignements sont de moi.


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Voir aussi:
¤ l'interviewe de Boff par Andrea Tornielli en juillet 2013
¤ un autre texte récent du même Boff, encore du site <culture-et-foi>

     

VERS LE CONCILE VATICAN III
(«Ainsi je changerai l'eglise», éd. Bayard, 2014, page 137)
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Écrire une lettre à un journal pour répondre aux questions que lui posait dans ce journal Eugenio Scalfari: le geste accompli par le pape François est d'une importance extraordinaire. Non seulement parce qu'il l'a fait sous une forme sans précédent, mais parce qu'il l'a fait comme un homme qui parle à un autre homme, dans le contexte d'un dialogue ouvert à tous, qui nous amène à nous mettre tous au même niveau.
Et de fait, François qui, nous le savons, préfère le titre d'évêque de Rome à celui de pape, a répondu à Eugenio Scalfari avec cordialité, avec l'intelligence du cœur plutôt que celle de la doctrine. On peut parler pour lui d'une « raison sensible », une raison qui parle directement à l'autre sans se dissimuler derrière les dogmes et les institutions.
En ce sens, il n'importe guère à François que Scalfari soit ou non un croyant, parce que chacun a sa propre histoire, a parcouru son propre chemin : ce qui est important, c'est la capacité d'être à l'écoute. Pour citer le grand poète Antonio Machado : « Ta vérité ? Non, la Vérité, et viens avec moi la chercher. La tienne, tu peux la garder pour toi. »
Par sa lettre, François a montré que nous cherchons tous une vérité plus pleine, plus ample, une vérité que nous ne possédons pas encore. Pour la trouver, point besoin de dogmes et de doctrines, mais uniquement du sentiment qu'il y a encore des réponses à chercher, qu'il existe un mystère, et que cette recherche nous met tous sur le même plan, croyants et non-croyants, fidèles d'autres Églises, chacun ayant le droit d'apporter sa propre vision du monde.

Ce n'est pas un hasard si chaque religion connait des difficultés profondes, et que l'une de ces difficultés en particulier les rassemble toutes. C'est la contradiction terrible qui tourmente croyants et athées, la question : comment Dieu peut-il permettre les grandes injustices du monde? C'est la question que le pape Benoît s'est posée lui aussi dans l'angoisse d'Auschwitz, oubliant un instant son rôle de souverain pontife et parlant simplement comme un homme, à cœur ouvert : « Où était Dieu quand tout cela arrivait ? »
Nous tous chrétiens, nous devons accepter le fait qu'il n'y a pas de réponse, que la question est toujours ouverte. Que la seule intelligence ne peut avoir réponse à tout, que la Genèse, comme le disait Ernst Bloch, le théologien de l'espérance, n'est pas au commencement mais au terme du parcours, que les choses progressent dans une bonne direction que nous ne comprendrons qu'à la fin.

Voilà pourquoi j'ai moi-même une grande confiance en ce que François pourra faire, et je me sens en dialogue avec lui.
Il a déjà lancé une importante réforme de la papauté, et il en fera une de la curie ; il a dit dans de nombreux discours que l'on peut débattre de tout : affirmation impensable tout récemment encore. Des thèmes comme le célibat des prêtres, le sacerdoce des femmes ou la morale sexuelle étaient tout simplement interdits aux évêques et aux théologiens (ndlr : c’est évidemment faux, Benoît XVI, et Jean-Paul II avant lui, n’ont jamais hésité à aborder ces questions, même en tant que pape, le leur a -ton assez reproché, d'ailleurs, prétendant qu'ils ne parlaient que de cela!) maintenant, ils ne le sont plus.

Je crois que ce pape est le premier à ne pas vouloir un gouvernement monarchique, le « pouvoir » dont parle Scalfari, mais qu'il veut au contraire rester au plus près de l'Évangile (!!!), en tirer les principes de miséricorde et de compréhension, garder l'humanité au centre.

Voilà aussi pourquoi son dialogue avec les non-croyants peut se développer véritablement, et ouvrir un temps nouveau de modernité éthique qui ne se borne pas à prendre en compte la technologie, la science, la politique, mais qui peut permettre aussi de surmonter l'attitude d'exclusion jusqu'ici typique de l'Église catholique - et l'arrogance de qui voit en son Église l'unique véritable héritière du message de Jésus.

C'est pour cette raison, comme je l'ai déjà écrit au pape François, qu'il est urgent de réunir un concile Vatican III, ouvert à tous les chrétiens - et non aux seuls catholiques -, à toutes les personnes, y compris les athées, qui peuvent nous aider à analyser les menaces qui pèsent sur la planète et réfléchir aux moyens de les contrer. Les femmes en premier lieu, étant donné que c'est la vie même qui est menacée.
Je ne vois pas chez François la volonté de conquérir - il en a déjà donné la preuve en Argentine -, mais plutôt celle de témoigner : le christianisme est en mouvement, tout comme Jésus qui marchait avec les apôtres. Et dans tout cela, la dimension éthique est plus importante que l'appartenance ou non à une Église, comme dans le cas d'Eugenio Scalfari.
Nous devons fixer notre regard sur la lumière de l'histoire plutôt que sur ses zones d'ombre, vivre comme des frères et des sœurs dans le respect des différentes options, sous un seul, immense arc-en-ciel.

Un long hiver a pris fin, un printemps nous attend avec ce qu'il apporte de joie, de fleurs et de fruits, un printemps qu'il vaut la peine de vivre en humains, y compris dans l'acception chrétienne du terme.

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