Le Pape a-t-il vraiment parlé en Pape?

Retour sur les propos de François devant le Forum des Familles, où il a réaffirmé que la seule famille est formée par un homme et une femme, et que l'avortement (enfin, un certain type) est un crime digne des nazis. "Décryptage" catholique par Aldo Maria Valli (18/6/2018)

 

Les propos récemment tenus par François devant une délégation du Forum des Associations familiales (notons qu'il s'agit d'un auditoire confidentiel et que le contexte est donc très éloigné d'une tribune planétaire - ou même d'un angélus dominical -, où il se montre généralement bien plus prudent), où il réaffirmait clairement que le mariage est entre un homme et une femme, et que l'avortment pratiqué en cas de handicap de l'enfant est un crime semblable à celui pratiqué par les nazis, ont créé quelques remous... dans les milieux catholiques. D'abord, une certaine exultation du côté de ceux qui s'obstinent à voir une continuité du magistère, qu'ils soient bergogliophiles enflammés ou simplement aveugles, sur l'air vous-voyez-bien-que-le-pape-est-catholique. Mais des observateurs pénétrants ont remarqué que dans les médias (laïcs, donc généralement hostiles à l'Eglise, mais ceci est un pléonasme!), du moins ceux italiens, la réaction a été plutôt un black-out gêné.

Les mêmes mots, prononcés tout récemment par le néo-ministre de la famille, "liguiste", du gouvernement Conte, ont provoqé un tollé, et du temps de Benoît XVI, des paroles de ce genre étaient si "routinières" qu'elles servaient seulement à alimenter la légende noire du pape arriéré et obtus à pousser coûte que coûte vers la sortie. Rien de tel, apparemment, pour François, lequel continue [pas si] inexplicablement [que cela] à bénéficier d'un régime de faveur.

Embarras à gauche: Bergoglio a fait le Pape.
L'avortement comme le nazisme, et la famille composée d'homme et femme. Les mots pour lesquels Lorenzo Fontana a été lynché. Mais cette fois, seulement un silence embarrassé.

Concernant le second point, quelqu'un aurait dû rappeler au Pape (qui n'avait pas soutenu la campagne pour le non à l'avortement en Irlande, et qui n'a pas eu un mot pour condamner la légalisation de l'avortement - voté par l'Assemblée avant ratification par le Sénat - dans son Argentine natale) que POUR L'EGLISE CATHOLIQUE, L'AVORTEMENT EST UN CRIME DANS TOUS LES CAS et qu'il n'est donc pas question de faire une hiérarchie.
Pour le premier point, les choses ne sont pas aussi simples que cela, à la lecture attentive du discours du Pape retranscrit (partiellement) sur le site du Saint-Siège et de l'épître aux éphésiens qu'il appelle en renfort de sa thèse mais dont il donne - ce n'est pas la première fois - une interprétation fallacieuse. C'est ce que prouve, de façon très convaincante, Aldo Maria Valli, qui a le mérite de la concision, faisant la synthèse de fragments éparpillés dans plusieurs autres commentaires lus sur le web.

Des mots clairs sur la famille? Malheureusement non


www.aldomariavalli.it
18 juin 2018
Ma traduction

* * *

Un ami me dit: «Tu dois être content maintenant que François a parlé en faveur de la famille formée par un homme et une femme. N'est-ce pas ce que vous les "traditionalistes" lui demandez?»
Ma réponse est très simple: je ne suis pas content. Et pour plusieurs raisons.

La première raison est que si nous avons atteint le point d'indiquer comme nouveauté et motif de satisfaction le fait que le pape ait dit quelque chose de catholique, cela signifie que quelque chose ne tourne pas rond.
La deuxième raison est que les mots prononcés a braccio contiennent des erreurs et alimentent les malentendus.
Relisons-les:

«Et puis aujourd'hui - ça fait mal de le dire - on parle de familles "diversifiées": différents types de familles. Oui, il est vrai que le mot "famille" est un mot analogique, parce qu'on parle de la "famille" des étoiles, des "familles" des arbres, des "familles" des animaux.... c'est un mot analogique. Mais la famille humaine en tant qu'image de Dieu, homme et femme, il n'y en a qu'une. Il n'y en a qu'une. Il peut arriver qu'un homme et une femme ne soient pas croyants : mais s'ils aiment et s'unissent dans le mariage, ils sont image et ressemblance de Dieu, mêm s'ils ne croient pas. C'est un mystère: Saint Paul l'appelle "grand mystère", "grand sacrement" (cf. Ep 5,32). Un vrai mystère».


Concentrons-nous sur cette phrase du pape: «Il peut arriver qu'un homme et une femme ne soient pas croyants: mais s'ils aiment et s'unissent dans le mariage, ils sont image et ressemblance de Dieu, bien qu'ils ne croient pas».

Question: en est-il vraiment ainsi? Est-il suffisant qu'un homme et une femme, bien que non croyants, s'aiment et s'unissent dans le mariage (lequel? civil? catholique?) pour qu'ils soient image et ressemblance de Dieu? Et peut-on vraiment en appeler à Paul pour soutenir cette thèse ?
Voyons cela.

Tout d'abord, il faut lire la lettre aux Ephésiens dans son intégralité.

Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur. Comme il convient aux fidèles la débauche, l’impureté sous toutes ses formes et la soif de posséder sont des choses qu’on ne doit même plus évoquer chez vous; pas davantage de propos grossiers, stupides ou scabreux – tout cela est déplacé – mais qu’il y ait plutôt des actions de grâce. Sachez-le bien : ni les débauchés, ni les dépravés, ni les profiteurs – qui sont de vrais idolâtres – ne reçoivent d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu; ne laissez personne vous égarer par de vaines paroles. Tout cela attire la colère de Dieu sur ceux qui désobéissent. N’ayez donc rien de commun avec ces gens-là.
Autrefois, vous étiez ténèbres; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière; conduisez-vous comme des enfants de lumière – or la lumière a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité – et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur.
Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres, elles ne produisent rien de bon; démasquez-les plutôt. Ce que ces gens-là font en cachette, on a honte même d’en parler. Mais tout ce qui est démasqué est rendu manifeste par la lumière, et tout ce qui devient manifeste est lumière. C’est pourquoi l’on dit : Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera.
Prenez bien garde à votre conduite : ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages. Tirez parti du temps présent, car nous traversons des jours mauvais. Ne soyez donc pas insensés, mais comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur. Ne vous enivrez pas de vin, car il porte à l’inconduite; soyez plutôt remplis de l’Esprit Saint. Dites entre vous des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez le Seigneur et célébrez-le de tout votre cœur. À tout moment et pour toutes choses, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, rendez grâce à Dieu le Père. Par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres; les femmes, à leur mari, comme au Seigneur Jésus; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Église, le Christ est la tête, lui qui est le Sauveur de son corps.
Eh bien ! puisque l’Église se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes à l’égard de leur mari. Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : il a aimé l’Église, il s’est livré lui-même pour elle, afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain de l’eau baptismale, accompagné d’une parole; il voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel; il la voulait sainte et immaculée. C’est de la même façon que les maris doivent aimer leur femme : comme leur propre corps (/chair). Celui qui aime sa femme s’aime soi-même. Jamais personne n’a méprisé son propre corps: au contraire, on le nourrit, on en prend soin. C’est ce que fait le Christ pour l’Église, parce que nous sommes les membres de son corps. Comme dit l’Écriture : À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ce mystère est grand : je le dis en référence au Christ et à l’Église. Pour en revenir à vous, chacun doit aimer sa propre femme comme lui-même, et la femme doit avoir du respect pour son mari.


Voilà. Comme on peut le voir, Paul dit que les deux qui vont former une seule chair deviennent un «grand mystère», mais seulement s'ils le font à la lumière du Christ, selon la loi divine et dans l'Église. Soutenir que tout couple, même non croyant, est pour cette raison même un "grand mystère" est une distorsion. Grave.
Il ne suffit pas de s'aimer et de s'unir dans le mariage (même civil?) pour être image et ressemblance de Dieu. Ce n'est pas l'amour humain qui sanctifie le mariage. Ce qui sanctifie l'union et la rend image de Dieu, c'est la présence de Dieu. Si je n'invite pas Dieu à mon mariage, si je ne m'unis pas dans le mariage à la lumière du Christ et dans l'obéissance à la loi divine, si je ne demande pas la bénédiction divine, si je ne vis pas le mariage dans la dimension sacramentelle, je peux aimer autant que je veux, mais je ne peux pas croire que mon union me conduit à être image et ressemblance de Dieu. Je ne peux pas non plus utiliser Paul pour amener l'eau à mon moulin. Aussi parce que les paroles de Paul (jointes à celles de Jésus dans Matthieu 19,3-6) ont une conséquence décisive, qui est l'indissolubilité du lien matrimonial.

C'est pourquoi je ne peux pas être content de la phrase du pape. Parce que, une fois encore, elle est source de confusion.
On me dira : mais vous n'êtes jamais satisfait! Non, j'essaie seulement d'être catholique.

Mais il y a une troisième raison pour laquelle je ne suis pas content.
Le pape qui devant le Forum des Familles défend la famille entre l'homme et la femme et condamne l'avortement est le même qui ensuite invite le Père James Martin, hérault de la cause LGBT, à la Rencontre mondiale des familles à Dublin [cf. L'idéologie LGBT à l'assaut de l'Eglise]. C'est le même qui (revenant de Rio de Janeiro) dit qu'il n'est pas nécessaire de revenir sur des questions telles que l'avortement et les mariages homosexuels, c'est le même qui laisse les représentants de la culture de l'avortement être invités au Vatican, le même qui prétend n'avoir jamais compris l'expression "valeurs non négociables", le même qui dans Amoris laetitia soutient la morale du cas par cas, et ainsi de suite.

Alors? Quel est l'enseignement du pape ?

La réponse est que l'enseignement du pape, avec François, ne veut plus répéter la vérité mais, comme il aime à le dire, «initier des processus». Le professeur Roberto Pertici l'a très bien expliqué dans son essai «La fin du catholicisme romain». Nous sommes face à un pontificat qui entend déconstruire le pape et le pontificat lui-même, à rendre le Magistère plus élastique et adaptable, à affaiblir certains sacrements, à diminuer l'importance de la recherche de principes stables, à soutenir la primauté du (présumé) caractère concret de la réalité vécue sur la (présumée) abstraction de la loi.

C'est de cela que l'on devrait parler lorsqu'on discute du pontificat actuel. Sans jamais se lasser de signaler, à chaque fois, les contradictions internes et les erreurs doctrinales réelles, qu'elles soient ou non intentionnelles.

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