J'ai signé la lettre accusant le pape d'hérésie-4

Cette fois, c'est l'écrivain allemand Martin Mosebach, qui s'entretient avec Maike Hickson, sur LifeSiteNews: redoutant un schisme, il espère qu'il y aura plus d'évêques pour répondre à la crise actuelle dans l'Église. Selon lui, la Lettre sert à garder la plaie "ouverte" et augmente les chances qu'un futur pontife réponde à ses questions (16/6/2019).

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Martin Mosebach est né en 1951 à Francfort. Les medias le considèrent comme un réactionnaire, à la fois du point de vue politique et religieux, surtout à cause de son livre "La liturgie et son ennemie: L'hérésie de l'informe" paru en 2005, dans lequel il prétend au retour du rite antique.

Martin Mosebach a fait l'objet de plusieurs articles dans ces pages (taper son nom dans le moteur de recherche interne), en particulier sous le pontificat de Benoît XVI, qu'il apprécie et admire. Par exemple une très longue interview qu'il avait accorder à Süddeutsche Zeitung en mai 2010, alors qu'éclataient quotidiennement de nouvelles révélations sur les scandales de pédophilie cléricale en Allemagne (benoit-et-moi.fr/2010-II)
A relire aussi une interview qu'il avait accordée au NYT le 30 avril 2005, quelques jours après l'élection de Benoît XVI (benoit-et-moi.fr/2014-II) et une autre d'avril 2012 à Die Tagespost (benoit-et-moi.fr/2012..)

En 2015, il confiait déjà au Spiegel tous les doutes que lui inspirait François (benoit-et-moi.fr/2015-I)

En flirtant avec l'hérésie, le pape François pourrait provoquer un schisme


Maike Hickson
www.lifesitenews.com
12 juin 2019
Ma traduction

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Dans cette interview, l'important écrivain allemand Martin Mosebach, auteur du célèbre livre L'hérésie de l'informe. La liturgie romaine et son ennemi expliquent pourquoi il a signé la Lettre ouverte aux évêques dans laquelle le Pape François est accusé d'avoir commis le crime d'hérésie.
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Le 30 avril 2019, dix-neuf érudits et prêtres ont publié une Lettre ouverte aux évêques accusant le Pape François d'hérésie et demandant aux évêques à travers le monde d'entreprendre une enquête sérieuse sur cette accusation, pour le bien de l'Église. Dans les semaines qui ont suivi, d'autres personnes, dont plus de 20 prêtres et quelques théologiens et avocats canoniques, ont ajouté leur signature à cette lettre ouverte, de sorte que le nombre de ses signataires est maintenant de 92.

Le 13 mai, Martin Mosebach a également ajouté sa signature à la Lettre ouverte. Mosebach est un célèbre romancier et essayiste allemand qui a reçu le prix littéraire national le plus élevé d'Allemagne, le prix Georg Büchner, décerné par l'Académie allemande de langue et littérature.



LifeSite:
Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez signé la Lettre ouverte aux évêques, alors qu'il y avait déjà beaucoup de commentaires qui définissaient cette lettre comme "extrême"? Quel aspect de la lettre ouverte vous a le plus convaincu?

Mosebach: En fait, la Lettre ouverte aux évêques est un témoignage extrême d'un moment historique qui n'a pas de précédent dans l'histoire de l'Église. Elle décrit la situation qui n'était pas prévue et pour laquelle, par conséquent, les instruments font également défaut. Il est vrai qu'il faudrait, en principe, être très prudent avant de qualifier quelqu'un d'hérétique. L'Église catholique est ancienne et revendique à juste titre l'universalité, ce qui signifie qu'il y a eu parmi elle des mouvements très différents, en partie même contradictoires. Mais le Magistère des Papes a toujours prévalu, après une période de discussion plus ou moins longue, se tournant vers la Tradition et prenant ensuite une décision dans son esprit, mettant ainsi un terme à la dispute. Et à présent, pour la première fois, nous avons affaire à un Pape qui, loin de mettre fin à une dispute théologique, va jusqu'à la promouvoir et se soustrait à son devoir d'y mettre un terme. Les moyens qu'il utilise me semblent particulièrement fatals: il "flirte" avec l'hérésie; il montre, par un clin d'œil, une certaine sympathie pour elle, puis il s'exprime continuellement d'une manière tellement ambiguë que les "hérétiques" peuvent ensuite se sentir renforcés, tandis que les papistes "fidèles" espèrent encore pouvoir prouver l'existence dans ses déclarations d'un noyau orthodoxe. Il me semble qu'il est maintenant nécessaire d'ouvrir un large débat sur la question de savoir ce qui est catholique et ce qui ne l'est pas (dans son magistère papal). Le résultat pourrait être dramatique - un schisme - parce que le parti progressiste est très fort, mais le petit parti traditionaliste ne peut plus, selon ses propres principes, faire de concessions.

LifeSite: Face au fait que les évêques ne répondront probablement pas à cette lettre ouverte par une enquête sur les hérésies possibles du Pape, que peut-on obtenir avec une telle lettre ?

Mosebach: Ce qui m'a convaincu, c'est qu'ici, enfin, tous les prélats de l'Église sont pris en considération. Ils participent au Magistère et doivent donc faire une déclaration sur l'essence de la doctrine chrétienne. Tous doivent présenter leurs questions au Pape - lorsqu'ils ont des doutes quant à leur bonne compréhension - et pas seulement ces quatre courageux cardinaux avec leurs dubias. Je ne veux tout simplement pas croire que, dans tout l'Orbis Catholicus, seuls ces quatre cardinaux et les trois évêques kazakhs sont préoccupés par les zigzags du cours romain. Rappelons-nous que l'épiscopat est l'office le plus élevé qu'un catholique puisse atteindre, on est évêque par la loi divine, appelé par Jésus Christ - que peut-on encore craindre alors? De quel malheur peut-on être atteint et touché? Je ne veux pas espérer en vain que les bouches de ces évêques qui sont conscients du désastre - et ils existent, nous les connaissons! - continuent d'être scellées par un faux concept d'unité. Mais même si la peur et le désir de carrière devaient prévaloir et qu'aucun des destinataires ne répondait, la Lettre a une autre fonction importante: elle garde la plaie "ouverte" et augmente les chances qu'un futur pontife réponde à ces questions.

LifeSite:
Un simple catholique peut-il reconnaître quand un pape enseigne l'hérésie - ou la soutient indirectement - ou pensez-vous que seul un catholique ayant une culture théologique profonde peut parvenir à une telle conclusion ?

Mosebach: La religion catholique est peut-être la plus compliquée au monde, et c'est pourquoi son système doctrinal, sa philosophie, n'est connu que d'une petite partie des fidèles; mais tout cela n'est pas nécessaire, car l'Église dispose, sous la forme de la liturgie catholique, d'un instrument accessible à tous, indépendamment de leur éducation, qui leur permet de rencontrer Dieu; et cette rencontre avec Dieu est bien au-delà de toute doctrine. En fait, il y a des questions théologiques qui sont difficiles à résoudre, même pour un expert en la matière. Puisque la discussion des vérités de la Foi ne se terminera jamais dans l'Église, le Magistère a acquis cette signification particulière: les pensées et les conditions de vie de chaque siècle doivent être mesurées selon le standard de la Tradition. Mais il y a aussi quelques phrases simples dont la compréhension ne nécessite pas une culture théologique profonde. "Allez dans le monde entier, enseignez toutes les créatures et baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit", ne signifie pas vraiment "que les nations maintiennent leurs religions parce que Dieu les a voulues et les a créées par son esprit, il n'est donc pas nécessaire de les baptiser". La phrase : "Que personne ne sépare ce que Dieu a uni" ne signifie pas que "l'homme peut diviser ce que Dieu a uni".

LifeSite: En tant qu'observateur littéraire attentif de votre âge, comment décririez-vous l'"effet François" ? Comment l'Église catholique et le monde ont-ils changé sous son pontificat?

Mosebach: L'Église catholique s'est embourgeoisée, a adopté les caractéristiques du libéralisme occidental des démocrates nord-américains et du Parti vert allemand. Elle se présente comme anti-sacramentelle, anti-hiérarchique, engagée vers les exigences ultralibérales de la diversité sociétale, etc. Mais de ces mouvements laïques, elle a aussi adopté un autoritarisme rigoureux que l'on peut décrire avec la devise "aucune tolérance à l'intolérance". Et en vertu de cela, ce qui est intolérable, c'est tout ce qui correspond à la Tradition de l'Église.

LifeSite: Comment décririez-vous le style de gouvernement du pape François ?

Mosebach: Son style de gouvernement est paradoxal : c'est un dirigeant qui a besoin de soumission et d'obéissance aveugle pour détruire - spécialement par ce moyen - le fondement spirituel de toute obéissance. Il utilise l'autorité pontificale pour saper le magistère pontifical. Il devient de plus en plus clair qu'il se considère comme l'agent d'une révolution du sommet vers la base. Avec cela, et rétrospectivement, il devient enfin clair - espérons-le -, même pour le dernier optimiste, que toute l'ère post-conciliaire a déjà été une telle révolution d'en haut que, après quelques ritardandi (ndt: mot emprunté au vocabulaire de la musique: passage musical où l’on doit ralentir progressivement la mesure), elle est finalement parvenue à sa pleine réalisation.

LifeSite: Certains commentateurs disent que François est maintenant accusé de choses - comme la crise des abus cléricaux - dont il n'est pas vraiment responsable parce qu'elles se sont développées il y a plusieurs décennies. Quelle est votre approche face à la crise dees abus?

Mosebach: Il est vrai qu'à l'origine, le Pape n'était qu'un très petit responsable de la crise causée par l'exposition de scandales moraux, mais il a renoncé à cet avantage. Fatalement, on a découvert que ces prélats qui étaient le plus impliqués dans ces scandales faisaient partie des piliers favoris de son pontificat. C'est pourquoi il a eu et a toujours des difficultés à les révéler ou à les abandonner. C'est aussi pour cela qu'il n'est pas prêt à nommer les vraies causes de la crise, mais qu'il invente plutôt des fantômes comme un prétendu "cléricalisme". Évidemment, le "pape de la miséricorde" ne peut pas revenir à l'ancienne loi canonique, tragiquement abrogée par le pape Paul VI, grâce à laqelle on aurait pu maîtriser les problèmes d'une manière très différente. Je crains que le Pape ne considère d'abord les scandales d'abus comme une occasion utile de se débarrasser autant que possible de la Tradition catholique - qui s'était déjà considérablement réduite sous les derniers papes.

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