Rencontre avec un groupe LGBT au Vatican

- mais sans le Pape (*) et sans le discours "historique" annoncé par Frédéric Martel, après une succession de démentis, et de démentis de démentis. Ou les liaisons dangereuses de François dans le passé et les alliés encombrants d'aujourd'hui. A suivre... (6/4/2019)

 

Cet article est paru hier matin sur le site de La Bussola. Je l'avais traduit tel quel, prévoyant de le mettre en ligne le lendemain (c'est-à-dire aujourd'hui)
Depuis, un fait est intervenu, qui semble le rendre obsolète (mais ce n'est pas le cas) et qui constitue en tout cas une mise à jour importante (cf. Dernière nouvelle).
Voici donc ce que j'ai traduit hier, avec en annexe la "dernière nouvelle"

Pape et LGBT: la rencontre a lieu, mais sans discours historique


Nico Spuntoni
La Nuova Bussola Quotidiana (la version d'hier a été effacée sur le site, et remplacée par la mise à jour de ce matin (*) presque identique, sauf le "chapeau", et le titre - PAPE ET LGBT: PAS DE RENCONTRE ET PAS DE "DISCOURS HISTORIQUE")
5 mars 2019
Ma traduction

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Frédéric Martel, l'auteur du livre "Sodome", avait annoncé ces derniers jours un discours historique du Pape sur l'homosexualité. Il aurait dû avoir lieu aujourd'hui lors d'une rencontre avec des organismes LGBT luttant pour la décriminalisation de l'homosexualité.
Hier, la possibilité d'un discours "historique" du Pape a été démentie, mais la rencontre demeure. Avec un petit roman feuilleton: il y a deux jours, des sources du Vatican ont révélé à la Bussola que la rencontre - qui semble au contraire avoir été confirmée -, serait également annulée. Une démonstration que la pression du lobby gay est très forte.


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Frédéric Martel a lancé la bombe il y a quelques jours en annonçant sur Twitter un discours historique du pape sur le thème de la "décriminalisation de l'homosexualité". Selon le journaliste français, François aurait dû le prononcer aujourd'hui lors d'une rencontre avec une commission de recherche sur la criminalisation des relations homosexuelles, guidée par Eugenio Raúl Zaffaroni.


Avec ce discours, selon l'indiscrétion diffusée par l'auteur du controversé "Sodoma", François a implicitement donné le feu vert à un repositionnement du Saint-Siège sur la question de la décriminalisation universelle de l'homosexualité.

Sur cette matière, la France présenta à l'ONU en 2008 un projet qui fut toutefois rejeté, et même avec le vote contre du représentant du Vatican d'alors, Mgr Celestino Migliore. En effet, à l'époque, le Saint-Siège s'était prononcé contre cette motion accusée de promouvoir - comme l'explique un article de l'Osservatore Romano du 20 décembre 2008 - «une idéologie, celle d'"identité de genre" et d'"orientation sexuelle"», deux catégories qui, «en droit international, ne sont pas clairement définies, constituent de nouvelles catégories de discrimination, que l'on cherche à appliquer à l'exercice des droits humains». Tout cela derrière le masque de la protection des droits fondamentaux.

C'est Martel lui-même qui a révélé au public qu'il n'y aurait plus de discours historique du pape sur le sujet. Il l'a fait hier après-midi avec un tweet qui n'a pas caché sa déception : «Le pape - a écrit l'auteur de "Sodome" sur son profil social - devait participer à la rencontre "privée" de demain sur la dépénalisation de l'homosexualité, mais son "discours historique", annoncé dans 3 lettres officielles, a été annulé. Un nouveau retour en arrière et une autre occasion manquée pour une Eglise en grande partie homosexuelle".


Plus tard, le porte-parole par intérim du Bureau de presse du Vatican, Alessandro Gisotti, a également pris la parole, confirmant qu'il n'y avait pas de discours historique du Pape sur l'homosexualité à l'ordre du jour : «En référence à ce qui a été écrit par certains journalistes, - dit Gisotti - je peux démentir de la manière la plus catégorique que le Saint-Père prononcera ces jours-ci un "discours historique" sur l'homosexualité».

Cependant, il semble que, même sans discours, la rencontre au Vatican aura lieu quand même. Cela ressemble à une sorte de compromis : il y a deux jours, en fait, une source du Vatican avait révélé à La Bussola que la rencontre serait annulée, ainsi que toutes les audiences prévues pour aujourd'hui, pour éviter de créer une "affaire". D'après ce que Martel a tweeté hier, et qui n'a pas été démenti par le Service de presse, on peut en déduire que les fortes pressions qui ont suivi ont conseillé au Pape François de maintenir au moins la rencontre. Il s'agit d'un rendez-vous qui devrait aussi voir, selon ce que Martel a dit, la participation des leaders LGBT mondiaux.
Au-delà du journaliste français, la figure centrale dans cette affaire est celle d'Eugenio Raúl Zaffaroni, source présumée de l'indiscrétion et à la tête de la délégation qui devrait aujourd'hui faire connaître au Pape les résultats d'une recherche sur la «criminalisation des relations sexuelles entre personnes du même sexe dans les Caraïbes». Le juriste argentin n'est pas seulement l'ami personnel de longue date de Bergoglio, c'est aussi le principal membre de l'Inter-American Court of Human Rights qui sera reçue en audience au Vatican.

L'Inter-American Court of Human Rights est le tribunal institué par l'Organisation des États américains (OAS) qui a établi l'obligation de reconnaissance juridique du "mariage" entre homosexuels dans les pays signataires de la Convention américaine des droits de l'homme. Dans plus d'un avis consultatif, le tribunal latino-américain a statué que «l'orientation sexuelle et l'identité de genre sont des catégories protégées contre la discrimination», utilisant les mêmes motivations présentes dans le projet présenté à l'ONU par la France en 2008 et rejeté - entre autres - aussi par le Saint Siège. Et c'est précisément sur le thème de la dépénalisation de l'homosexualité, selon l'indiscrétion rapportée par Martel, que le discours actuel du Pape François aurait dû se concentrer.

L'auteur de "Sodoma", pour prouver sa fiabilité, a prétendu l'avoir appris d'un document écrit et distribué par Zaffaroni. Ce dernier peut être considéré comme un homme très proche de Bergoglio, comme en témoigne, par exemple, la lettre longue et approfondie qui lui a été adressée en 2014, intervenant dans la discussion sur la rédaction du nouveau code pénal en Argentine. La relation privilégiée qui existe entre le pape et l'ancien juge de la Cour suprême a des racines profondes qui remontent aux années durant lesquelles le pape était à la tête de l'archidiocèse de Buenos Aires.

Dans son pays natal, Zaffaroni a toujours été connu pour ses positions très "liberal" : outre son engagement dans la cause de la reconnaissance légale des "mariages" homosexuels, il s'est prononcé à plusieurs reprises contre la criminalisation de l'avortement, tout en affirmant que «les foetus ne sont pas faits de papier, mais sont l'espoir de la vie». Le juge a également avoué dans une interview qu'il avait pensé participer à un défilé de la "gay pride". Déjà à Buenos Aires, la proximité entre Zaffaroni et le cardinal Bergoglio avait coûté à ce dernier quelques polémiques: en 2010, en effet, l'archevêque de avait invité le juge de la Cour suprême à la XIe rencontre archidiocésaine pour les enfants et adolescents détenus. La participation, cependant, avait été contestée par quelques fidèles qui avaient envoyé une lettre de protestation au futur François. Dans la lettre, signée par le Círculo San Bernardo de Claraval, étaient exprimés des sentiments de «surprise, douleur (...) choc et indignation» pour l'invitation adressée à Zaffaroni : «Nous ne croyons pas - y lisait-on - que la défense de l'ordre naturel et le respect de la loi de Dieu dans les questions les plus fondamentales méritent de recevoir discrédit et expressions de dénigrement comme l'a fait impunément dans sa thèse, par exemple le Dr Zaffaroni, dans le cadre de la même rencontre, essayant clairement de diviser les catholiques et de les faire se sentir impuissants face à leur pasteur. Nous sommes profondément attristés par la présence de ce juge, considérant qu'il est un ministre de la Cour suprême de la nation qui appuie publiquement le droit à l'avortement (à un moment où notre pays est en proie à une campagne impitoyable pour le meurtre de personnes innocentes), et s'est prononcé clairement et avec force en faveur des "mariages" homosexuels (avec la possibilité d'adoption reconnue par la loi), également en faveur de la dépénalisation des drogues, et d'innombrables péchés dont l'Église - en tant que mère et enseignante - et ses pasteurs, doivent protéger leurs enfants».

Après son élection, François n'a pas interrompu ses relations avec son compatriote : outre la lettre sur le nouveau code pénal, il l'a d'ailleurs rencontré au Vatican en 2014 dans le cadre de l'audience accordée à une délégation de l'Association internationale de droit pénal. Cinq ans plus tard, donc, les deux devraient se revoir, mais sans ce discours historique du pape dont, selon ce que Martel a écrit, Zaffaroni devait parler dans sa lettre d'invitation aux dirigeants LGBT mondiaux.

(*) Dernière nouvelle (5/4)


La rencontre a bel et bien eu lieu, mais pas comme prévu.
Alerté par ses conseiller de la polémique qui risquait de s'enflammer, le Pape a prudemment décidé de ne pas être présent, et de déléguer à son secrétaire d'Etat, le cardinal Parolin, le soin de recevoir la délégation. Détails sur Vatican Insider.
Cette nouvelle n'invalide pas ce qui vient d'être dit. La réception d'un "groupe LGBT" par le cardinal Parolin est un geste sans précédent, d'une grande portée au moins symbolique, un signe de reconnaissance pour la "communauté LGBT" en opposition frontale avec ce qui avait été fait lors du pontificat de Benoît XVI.

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